écologie, Choses politiques, Décroissance, Sermocination

Marchands de canon

Ce matin, je lis cet article paru dans le 24Heures sur le vandalisme dans les stations de ski. Pour les gens qui n’ont pas suivi l’affaire, je vous résume le truc : certaines stations de ski (Villars, les Diablerets, les Gets et la Clusaz) ont connu des épisodes de vandalisme, plus ou moins revendiqués par des activistes climatiques qui s’en sont pris aux canons à neige. L’opinion publique dit Ouh là là c’est pas bien, c’est des dommages à la propriété, nous on veut juste skier alors retournez à votre quinoa espèces d’extrémistes. L’anonyme se défend en expliquant que l’industrie touristique a transformé la montagne, que tout le monde cherche à faire du fric avec ça et qu’il faut a) accepter qu’il n’y ait plus de neige et b) refuser le système thermo-industriel.

J’ai beaucoup de sympathie pour le journaliste Erwan Le Bec, qui fait un super-boulot de couverture des actualités du Nord vaudois. J’ai encore en mémoire une question très directe à l’encontre de Jean-Daniel Carrard qui venait de se faire tèj du premier tour des élections, c’était émouvant et en même temps courageux. Mais ce souvenir n’a rien à voir avec le sujet, comme la plupart des questions posées dans l’interview.

Plutôt que de montrer les failles de l’entretien – qui reste quand même très inspirant –, je procède à un hold-up. Je reprends donc mot pour mot les questions du journaliste, et j’y réponds tout seul. Comme ça quand j’aurai pété les plombs en dynamitant l’arrache-mitaines des Rasses, j’aurai déjà ma ligne argumentative.

Pourquoi vous en prendre aux canons à neige?
Parce que c’est un symbole. Alors qu’on nous demande – à juste titre – des économies d’énergie, on veut rallonger la durée de vie d’un hiver qui n’en est plus un, plutôt que d’accepter qu’on pourrait ranger les lattes et faire de la rando tranquillou ou des jeux de société au chalet.

Avec du sabotage et de l’écologie radicale?
Je vous vois venir : vous agitez le mot « radical » comme un épouvantail, mais faire de l’écologie radicale, c’est aller à la racine des choses, au coeur du problème. Le sabotage est effectivement une infraction, et je regrette d’avoir estimé que c’était le dernier recours. Enfreindre la loi pour thématiser le débat, c’est toujours une pesée d’intérêt. Si j’étais Bill Gates, j’achèterais des pages de pub dans les journaux avec des argumentaires tirés des bouquins de Timothée Parrique.

Admettez que ce n’est pas bon pour l’image de l’écologie… Il n’y avait pas d’autre méthode que de saboter du matériel?
Faisons l’inventaire des moyens que j’ai à disposition pour faire de l’activisme écologique… et leur efficacité : 1) Je peux faire confiance à la politique en place… qui ne prend pas la mesure de l’urgence, avec l’échec de la loi sur le CO2 et l’UDC qui fait aboutir un référendum autour de l’initiative pour les glaciers. 2) Je peux lancer mon propre parti et mes initatives… avec un Conseil d’Etat qui invalide l’initiative d’AG!SSONS ou des années de procédure pour aboutir souvent à un demi-échec. 3) Je peux tenter de convaincre les gens avec des arguments rationnels… quand la tâche est titanesque face aux lobbys de la communication et un système sous hypnose. 4) Et enfin, je peux attirer l’attention sur les contradictions du système avec des actions ciblées et symboliques… donc oui, au bout du compte, l’action directe peut se défendre. Il y a diversité des moyens pour convergence des luttes : en matière d’écologie, il faut essayer à peu près tout (parce que le camp adverse, lui, n’hésite pas à faire complètement n’importe quoi).

Ces canons permettent à l’économie régionale de prolonger un peu la saison. N’est-ce pas une logique assez circulaire et locale?
Partez-vous du principe que tout ce qui est circulaire et local est bon à sauver ? Je veux dénoncer la contradiction d’une saison de ski qu’on veut maintenir sous perfusion dans un contexte de manque de neige; ça ne remet pas en cause l’idée d’une économie circulaire et locale. Il faut distinguer les buts des moyens.

Alors qu’on trouve enfin des canons à neige plus écolos…
Je peux vous opposer l’effet rebond : les canons vont devenir plus efficients, donc on va en mettre davantage; donc la consommation absolue n’aura pas diminué. Mais de toute façon, le coeur du problème, c’est de se demander si l’activité est utile, bonne, morale : si vous diminuez une activité néfaste de 50%, c’est toujours 50% de gaspillage de trop.

Mais les canons ne représentent même pas 14% de la consommation de certaines stations…
Ouais mais alors bon, c’est quand même vachement plus compliqué de saboter une dameuse. Et puis le sabotage, c’est toujours symbolique; il faut bien commencer par quelque chose, sinon tout le monde aura toujours une excuse. Poutine : Mais enfin, il y a plein d’autres guerres dans le monde ! Je ne représente que 14% des conflits mondiaux !

Est-ce pour dire aux gens qu’ils polluent alors qu’ils descendent une piste?
Technique de l’homme de paille : vous voulez insinuer un message dans ma bouche pour mieux le démonter. Si je voulais vraiment m’adresser aux skieurs, ce serait quelque chose comme « Par votre abonnement, vous financez une activité qui gaspille une énergie précieuse. Le ski de randonnée c’est super aussi. Et tâchez de venir en train, bande de fripons canaillous. »

Vous n’avez jamais fait de ski?
Et ta soeur ?

On s’éloigne des canons à neige, là…
C’est vous qui posez des questions qui tendent vers une attaque personnelle. Le fait que je fasse du ski ou pas ne remet pas du tout en cause le fait que je puisse critiquer cette activité. Le fait que j’évolue dans un système capitaliste ne m’enlève pas le droit de critiquer ce même système.

Attendez. Le ski a aussi son volet populaire. Des abonnements à bas prix, des écoles d’ici et d’ailleurs…
C’est la même question que précédemment, sur l’économie « circulaire et locale » : ce n’est pas parce qu’une activité a des bienfaits collatéraux qu’elle est défendable moralement ou économiquement.

Et la classe de neige de banlieue qu’on vient de croiser?
C’est encore la même question : vous ne pouvez pas extraire un bienfait pour dédouaner le côté néfaste d’une activité. Si la classe de banlieue partait en voyage d’études au Mexique, ça ne rendrait pas l’avion moins polluant. En 2023, on pourrait s’attendre à ce que les buts économiques soient renégociés.

Dites ça à des petites stations familiales, portées par des villages entiers en basse altitude. Les Paccots, Sainte-Croix…
Là encore : si l’activité est néfaste sur le long terme, pourquoi s’acharner ? C’est bien le mal du XXIe siècle que ne pas se poser la question des buts. On se pose la question des moyens, des ressources, des possibilités d’économie mais jamais des buts. Quel est le but de skier ? Se divertir et faire du sport. À quoi bon chercher à le faire alors qu’il n’y a pas de neige ? Le capitalisme a ce côté pernicieux de nous faire croire que tout est toujours possible, à condition que ce soit rentable économiquement. Mais la tache aveugle du système, c’est qu’il ne prend pas en compte le très long terme. Ici, le très long terme c’est qu’il n’y aura de moins en moins de neige et de moins en moins d’énergie disponible.
Le capitalisme ne comprend pas à leur juste valeur les intérêts de nos enfants et petits-enfants : il ne sait pas calculer le prix futur de l’énergie, ou le coût futur de la biodiversité. Le capitalisme est myope, et si je dois continuer à saboter des canons à neige pour faire tomber les écailles de nos yeux, je le ferai.

Je vends des canons 
Des courts et des longs 
Des grands et des petits 
J’en ai à tous les prix 
Y a toujours amateur pour ces délicats instruments 
Je suis marchand d’canons venez me voir pour vos enfants 
Canons à vendre ! 

Le Petit Commerce, Boris Vian

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Le goût des proportions

Cher Raphaël Mahaim, j’ai lu avec attention votre proposition relayée par le 24H et le Courrier de promouvoir 4 journées sans e-mail par an. J’ai énormément de respect pour vous et votre travail, notamment au cours des actions en justice pour les grévistes du climat, mais là, je pense que vous vous épuisez pour pas grand-chose.

4 jours par an, c’est 2% de 210 jours ouvrables. L’administration cantonale compte 39’000 employés. Par rapport à la population active du Canton de Vaud, c’est moins de 10%. Comme le dit 24H, on n’est pas sûr que ces « journées sans e-mail » fassent autre chose que déplacer le problème sur la journée suivante. Autrement dit, vous espérez viser 2% de l’activité de 10% de la population active sans réelle garantie d’efficacité.

L’article du 24H (ou votre communiqué de presse, peut-être), cite cet article de CarbonLiteracy, dont les données d’empreinte carbones « e-mail » sont tirées d’un bouquin de 2010 de Mike Berners-Lee (mis à jour en 2020) qui admet avoir fait des « maths de cuisine » dans cet article de la BBC. Autre problème : c’est l’auteurice de CarbonLiteracy qui a extrapolé (de sa propre utilisation) le chiffre de 1,5kg de CO2 par jour. Un bouquin de 2010 truffé d’estimations, relayé par une auteurice qui prend sa propre expérience pour déterminer un chiffre « scientifique », est-ce que c’est valable pour élaborer une politique, monsieur Mahaim ?

Je sais que je devrais éviter de mettre des bâtons dans le roues (de cycliste) d’amis écologistes, et la convergence des luttes, et la diversité des stratégies et tout et tout; mais là, sérieusement je pense que vous faites fausse route. Si l’objectif est de diminuer l’empreinte numérique dans l’administration, je vous propose les mesures suivantes :

  • Éduquer les employé·e·s du canton à ne pas « répondre à tous » quand c’est évitable
  • Apprendre au personnel à compresser des images ou pièces jointes
  • Se désabonner des newsletter internes et externes non pertinentes
  • Décourager le partage des vidéos en HD à l’interne

Mais vous pourriez même aller plus loin. J’ai vu que vous étiez fan de statistiques. Si la mesure est de réfléchir à l’impact écologique du numérique, peut-être qu’un autre chiffre vous intéressera :

Chaque minute sur PornHub, il y a 80’000 nouvelles visites (pour un équivalent de 12’550Go de données).

Autrement dit, chaque minute, il y a l’équivalent de 167 millions de mails qui circulent entre des serveurs pour que les gens se paluchent le bobichon (calculé sur une taille moyenne de mail de 75Kb) (mais c’est pas la taille qui compte). Ça veut dire qu’à la fin de la journée (bon, il faudrait environ 30 heures par jour, mais change pas de main on y est presque), on arriverait à… 300 milliards de mails, soit le chiffre de mails quotidiens planétaires. Donc si je résume,

Chaque jour, le trafic de donnée sur Pornhub équivaut au trafic de données des mails échangés sur terre.

Comme le dit mon pote Clément Montfort de la chaîne Next, peut-être qu’une véritable économie, ça serait de demander la limitation de la qualité vidéo pour le porno. Après tout, en 4K ou en 360p, une bite reste une bite.

Voilà un modèle de lettre. Bonne soirée.

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Paul Bullshit, président de Nestlé

Ce matin dans le 24Heures, le président du conseil d’administration de Nesté (Paul Bulcke, appelons-le Popol) s’exprimait contre l’initiative pour des multinationales responsables. Au printemps dernier, j’étais au Forum des 100, je me trouvais par hasard sur le siège derrière lui. Depuis que j’ai lu les bêtises qu’il déblatère dans le journal, je sais que je mourrai avec un regret : celui de ne pas lui avoir copieusement entarté sa face avec de la double-crème de Gruyères en criant Justiiiiice !

Voici ses 4 contre-vérités et 5 erreurs d’argumentation; accrochez-vous, ça ressemble à un MasterClass de sophismes. En voiture Simone, en route Popol.

Contre-vérité n° 1
« L’initiative veut rendre les entreprises responsables au-delà de leurs activités. C’est incompréhensible. Nous serions responsables des actes de tous ceux qui sont liés de près ou de loin à Nestlé. « 
C’est entièrement faux. Le texte de l’initiative est très précis à ce sujet (art. 2, alinéa b et c) en précisant que la responsabilité ne s’étend que sur les entreprises contrôlées par la multinationale. Dans le fascicule de vote, il y a un très zouli graphique qui résume tout ça. Même ma fille de 14 mois a tout compris, Popol :

Paralogisme n°1l’argument de la pente glissante
En expliquant que « [Nestlé serait] responsables des actes de tous ceux qui sont liés de près ou de loin à Nestlé.« , Popol invoque un argument de la pente glissante (restez concentrés, ça n’est pas le dernier). C’est l’argument de l’appel à la peur, de l’hyperbole, des paranoïaques, des prophètes de mauvaise augure, des corbeaux de mauvaise foi, des psychopathes de la terreur, des hérauts de l’économie immorale. Pas bien. Lorsqu’on s’exprime sur un texte de loi, on n’est pas en train d’ouvrir une brèche pour en glisser une autre.

Contre-vérité n°2
« Avec l’initiative, pour chaque plainte, l’entreprise devra prouver son innocence. C’est ce que l’on appelle le renversement du fardeau de la preuve. »
Non, Popol : quand on doit prouver son innocence face à une plainte, ça s’appelle la justice. L’idée de « renversement du fardeau de la preuve » serait d’intenter un procès à la multinationale sans aucun fondement. Si je dis « J’attaque Glencore, ils abritent un réseau de reptiliens pédophiles qui fomentent un putsch avec la 5G; prouvez-moi le contraire, » là je suis en train de renverser le fardeau de la preuve. Mais si j’attaque Glencore en présentant le rapport d’une ONG indépendante qui montre qu’ils polluent une rivière au Tchad, je réclame justice.

Paralogisme n°2l’argument de la pente glissante aggravé
« Aujourd’hui, nous travaillons directement avec 150’000 fournisseurs et plus de 500’000 agriculteurs, et indirectement avec des millions de personnes. Chacune de ces relations est une source possible de plainte pénale.« 
Mon cher Popol, si tu as des doutes sur tes 150’000 fournisseurs, tu as du souci à te faire… Il est aberrant de présenter TOUS les fournisseurs comme des sources potentielles de plaintes. C’est comme si Manor remettait en cause sa politique de « satisfait ou remboursé » sous prétexte que TOUS ses clients allaient probablement lui chercher des noises avec un grille-pain défectueux.
« Cela va créer une grande instabilité et de l’insécurité.« 
La plupart des pentes glissantes sont des appels à la peur destinés à effrayer nos cerveaux reptiliens. Là, en l’occurence, l’insécurité pourrait être surtout dirigée sur Popol et ses petites affaires.
« La présomption d’innocence sera anéantie. » 
En fait, je pense que Popol avait un agenda caché avant cet interview : donner le maximum d’exemple d’arguments de la pente glissante. Ici, il est doublé d’une hyperbole et d’une généralisation abusive (ce n’est pas parce que le droit des entreprises est attaqué que la présomption d’innocence est supprimée).

Paralogisme n°3L’homme de paille
« Le pire, c’est que cela va conditionner au fil du temps nos engagements dans certains pays ou avec des agriculteurs. C’est en cela que l’initiative est contre-productive. L’initiative aide peut-être notre bonne conscience, mais elle ne va pas aider les agriculteurs au Nicaragua ou au Zimbabwe.« 
Popol invoque le sentiment de la « bonne conscience » qui motiverait les initiants. Appeler à la responsabilité des entreprises, ça n’est pas juste appeler à la « bonne conscience ». C’est appeler à des actes forts et des mesures concrètes pour créer un monde plus juste. Ça dépasse largement la bien-pensance matinale d’un bobo qui tartine de la pâte Nesquik.
Ce qui est pervers dans cet exemple, c’est que Popol invoque en même temps la « mauvaise conscience » qu’on éprouverait à abandonner les paysans du Nicaragua ou du Zimbabwe (qui se débrouilleront très bien sans Nestlé, merci). Peut-être que la lecture de FactFulness ou d’Utopies Réalistes pourrait changer ta vision du monde, Popol.

Paralogisme n°4L’appel à la pitié
« Je vais vous donner l’exemple du Venezuela. Nestlé y a toujours cinq usines en activité, malgré la situation actuelle. Il faut le faire ! Nous employons 2500 personnes et des milliers d’agriculteurs. Nous sommes là depuis des années. C’est un engagement que nous avons avec nos employés, qui ont confiance dans cette entreprise. Mais avec cette initiative, la question se posera: peut-on encore rester dans un pays comme le Venezuela? Ce n’est pas une menace, c’est la réalité.« 
Popol présente Nestlé comme une entreprise « engagée » dans un lien de « confiance » avec ses employés. Bouhouhou si Nestlé part, ces 2500 employés vont se retrouver sans travail. Aïe aïe aïe, c’est vraiment trop important de conserver un système irresponsable pour sauver tous ces emplois ! À l’aide, Nestlé ! Versez des larmes et des dividendes !
Et Popol poursuit avec des exemples sur les « valeurs » de Nestlé :
« Là où nous sommes, même si la situation est risquée et instable, nous avons nos principes, nos valeurs. Mais le monde n’est pas noir ou blanc. Je vais donner un bon exemple: le travail des enfants. C’est terrible et très sensible. 80’000 enfants vivent dans les plantations de cacao d’Afrique de l’Ouest. Nous y sommes très attentifs. Il y a huit ans, nous avons identifié 18’000 enfants qui sont exposés à des travaux dangereux ou lourds. Avec les autorités et les ONG locales, nous avons pu scolariser 10’000 d’entre eux. Cela veut dire qu’il y en a encore 8000 exposés. »
Wait… What ? En 8 ans, vous n’avez pas pu régler ce problème ? En HUIT ans ? Vous voulez parler de… 2012 ? L’année des JO de Londres et de Gangnam Style ? J’ai de la peine à croire que vous y soyez « très attentifs » à ce problème « terrible et très sensible« . Une multinationale qui a fait progresser son bénéfice net de 40% en 2018 m’arrache difficilement des larmes (ou alors il faut que Popol se déguise en petit chaton lépreux avec une angine).

Paralogisme n°5l’analogie douteuse
Tout au long de ses réponses, Popol Bullshit répartit quelques observations sur le monde qui prétendent démontrer que cette initiative serait trop compliquée à appliquer :
« Le monde n’est pas noir ou blanc. »
« Nestlé est pour les droits humains et l’environnement. »
« Le monde est complexe. »
« Il y a beaucoup de malentendus. »
On est dans la phrase vague, l’approximation, l’ambiguïté : Popol, tu cherches à nous enfumer dans un brouillard rhétorique; tu tentes d’inventer une règle du jeu suffisamment floue pour expliquer que la future loi sera trop difficile à appliquer. C’est paternaliste et pathétique, à la mesure du gloubi-boulga que tu nous a déjà servi il y a une année.

Contre-vérité n° 3
L’Union européenne va sans doute adopter de nouvelles directives très similaires au but de l’initiative. À quoi bon s’opposer au projet suisse?
« Je dirais que l’Union européenne va plutôt dans le sens du contre-projet à l’initiative. La France a eu cette volonté d’aller plus loin. Mais elle est revenue en arrière voyant que c’était contre-productif.
« 
C’est faux. La loi relative au devoir de vigilance sur les sociétés-mères a été adoptée en 2017 en France et a permis d’incriminer le groupe Total pour son absence d’engagements en faveur de la réduction d’émission de gaz à effet de serre. Cette loi est toujours en vigueur et un rapport de février 2020 à montré des progrès dans ce sens, et des propositions pour renforcer le respect de la loi. D’autre part, certains pays européens ont d’autres dispositions qui vont dans ce sens.

Contre-vérité n° 4
En parlant de transparence, à quelle hauteur Nestlé finance la campagne, si c’est le cas?
« L’investissement de Nestlé, c’est mon temps consacré à expliquer notre position. Nestlé ne finance pas la campagne. Nous sommes membres de quelques organisations qui participent à la campagne, mais ce sont des organisations que nous finançons chaque année.« 
a) Popol, tu ne réponds pas à la question.
b) Nestlé fait partie d’Economie Suisse, qui s’engage contre la loi.
c) Quand Amnesty engage 400’000.- dans le camp d’en face, on peut se douter que Nestlé engage quelques billes dans la campagne.
d) Dans tous les cas, c’est pas du tout transparent, Popol.

BIG FINISH – la mauvaise foi dans toute sa splendeur
La dernière question de l’interview est un festival : « Comment expliquez-vous l’image désastreuse des multinationales dans l’opinion publique?« 
« Ce qui est grand, omniprésent et fort n’est pas trop aimé par définition. » (nouvel appel à la pitié, généralisation et homme de paille)
« Au bout d’un moment, l’opinion publique est conditionnée par tout ce qu’elle entend et lit. » (généralisation, contre-appel au peuple) Comme par exemple avec les affiches de Furrer & Hugi et les publicités Nespresso. C’est l’arroseur arrosé mon petit Popol.
« Lorsque nous annonçons de bonnes nouvelles, cela ne fait pas les gros titres. Par exemple, nous avons annoncé, en pleine crise du Covid, notre intention d’investir 160 millions dans l’usine Nespresso de Romont pour une extension qui va créer 350 emplois. Tout ça dans un contexte extrêmement difficile et avec peu d’écho dans les médias! » (appel à la pitié, appel à une cause) Popol, tu liras avec application les articles sur le bilan écologique calamiteux des capsules Nespresso ou le peu de transparence dont fait preuve la multinationale sur ce sujet.

BONUS : ma proposition !
Au vu de tous ces paralogismes et contre-vérités, j’accuse Paul Bulcke d’être incompétent. Je me porte candidat à sa succession à la tête du groupe Nestlé, avec un programme en 5 points :

  • Démantèlement des filiales étrangères
  • Soutien aux mesures de réempaysannement des terres
  • Nationalisation de la maison-mère
  • Mutualisation des bénéfices
  • Chocolat gratuit pendant une semaine

Je suis à dispo du conseil d’administration. Call me, any time, Popol.


EDIT : Je m’avais gouré. Sur l’excellente remarque de Maxime Laurent, j’ai remplacé les occurrences de « syllogismes » par le terme « paralogisme« , surtout pour faire de la pub à Normand Baillargeon et son excellent Petit cours d’autodéfense intellectuelle.

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Le matin dimanche, l’interview de Guy Parmelin

Guy Parmelin, comment allez-vous ?

Assez crevé. Les gens se rendent pas compte, mais au Conseil Fédéral (CF) on bosse plus de 60 heures par semaine. C’était le cas auparavant pendant les sessions parlementaires, mais avec la pression de la crise du Corona, ça devient très lourd. Ma femme m’a encouragé à prendre des vitamines, ça va un peu mieux mais ça reste chaud les ballons.

Est-ce qu’on peut se tutoyer, en fait ? Vous connaissez mon père, Robert Richardet.

Oui, oui, pas de problème. De toute manière les citoyens ne respectent plus grand-chose. C’est pas contre toi, hein : je dis ça parce qu’on reçoit des critiques super agress’ sur la manière de gérer le pays, comme si les citoyens ne mesuraient pas l’ampleur du truc et que tout le monde pouvait s’improviser épidémiologiste. Pour dire la vérité, il y a aussi des moments où je pige que dalle. J’essaie de faire confiance à Koch et Berset, il faut savoir déléguer. Moi je m’occupe de l’économie, c’est déjà un monstre pavé; alors si en plus on se chope des insultes, je suis à deux doigts de retourner soigner mes vignes. Merde à la fin (main sur visage), euh non je voulais pas dire merde (sourire gêné).

Je te sens un peu vénère.

Je te donne un exemple : on commence à avoir des lettres de petits indépendants qui sont au bord de la ruine. Ils ont rien vu venir, ils découvrent qu’il y a un vide dans les aides possibles; je comprends bien qu’on puisse rien faire avec 20 balles par jour d’APG (Allocations Perte de Gain), mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse, moi ? D’un autre côté j’étais en visioconférence avec le boss de Lufthansa qui menaçait de lâcher Swiss. Et ensuite les écolos tambourinent à ma porte avec des contraintes à mettre à l’aviation. Comme si c’était le moment de parler de contraintes ?

Mais reconnais-le, la crise serait une opportunité pour tout renégocier, non ?

Mais renégocier quoi ? Je le vois bien qu’on a un système de marde, avec deux poids deux mesures à tous les niveaux : en fait, si tu veux mon avis, cette crise est en train de dénoncer les inégalités économiques, et les gens préféreraient ne pas le savoir. On avait le déni climatique, désormais on a le déni économique. Hop un virus, et tout à coup les gens s’intéressent à la politiques ? Le péquin moyen – sans mauvais jeu de mot – (rires), il veut surtout aller au boulot normalement, boire son café normalement et regarder la télé normalement, sans trop se cultiver politiquement. Les gens aimeraient que tout redevienne comme avant. Mais même moi, en tant qu’UDC, j’y crois pas une seconde.

C’est quoi, ton projet de société pour la suite ?

Franchement, j’en sais trop rien. J’imagine qu’il va falloir lâcher du lest sur le Salaire à Vie. Pendant les vacances de Pâques, j’ai lu Bernard Friot, et je commence à être convaincu que c’est une solution qui peut nous sortir de l’ornière. En plus, j’ai vu qu’il a écrit d’autres bouquins sur l’abolition de la dette, je suppose que ça pourra nous être utile. Les gens ne réalisent pas à quel point la crise qui nous attend va dépasser celle de 2008. Il y a douze ans, on avait sauvé l’UBS un peu sous la table; de toute façon, dès que ça dépasse le million, la plupart des gens ne comprennent plus comment ça fonctionne en économie. Heureusement, parce que sinon on aurait tout le monde dans la rue, malgré les règles de distanciation ! (rires)

Mais du coup, ton projet de société ?

Je sais que ça va en choquer plus d’un au parti, mais je pense que les jeunes écolos ont raison : on va droit dans le mur depuis les années 1990 avec cette histoire de développement durable. Ça ne peut pas fonctionner. J’en causais avec Caro [son épouse, NDLR] l’autre jour : les gens sont déconnectés de la nature, ils sont stressés par un modèle hyper-compétitif et patriarcal… Alors oui, je sais bien que je ne suis pas dans le bon parti pour exprimer ça, mais j’ai envie de dire qu’il faut nous reconnecter à la nature, à la terre, au service agricole…

C’était ça, l’idée malheureuse derrière l’expression d’oreiller de paresse ? Se remettre à travailler aux champs ?

Rha là là, cette bourde qui a fait les choux gras des petits comiques… J’ai été très mal compris, mais l’idée c’était d’encourager les gens à cultiver leur propre jardin, au sens Voltarien mais aussi au sens propre : d’un côté, j’ai des amis maraîchers qui peinent à trouver de la main-d’oeuvre, et de l’autre j’ai des gens au chômage technique. Si les gens se sortaient un peu plus les pouces du derche, on aurait une utopie écolo-locale sur un plateau !

Et le monde d’après, justement ?

Economiquement, je pense qu’on va tenir, parce qu’on a quand même des putains de belles réserves (sic). Mais c’est financièrement où on va s’écharper sur les dettes : faut-il les annuler ou pas, réclamer un intérêt sur les prêts à intérêt zéro, tout ça j’y crois pas trop. Si on suit ce que qu’écrit David Graeber (et tout le monde devrait lire Graeber, il devrait être au programme scolaire, bordel à cul !) (sic), on devrait aller vers un jubilé de la dette, point barre. Là, avec les plans d’endettement on va léguer le résultat d’une grosse dépression à nos enfants. Qui parierait sur un tel système ? C’est criminel de faire porter aux suivants le poids de nos fautes. Si avec mon frangin j’avais dû racheter les vignes de mon père, je travaillerais encore à la rembourser en tirant la langue. La dette, c’est très virtuel. C’est qu’un truc pour se chamailler.

Un dernier mot pour la fin ?

Puisqu’on me donne une tribune pour m’exprimer – enfin – librement, j’aimerais dire deux choses : 1) la première c’est que je m’excuse platement pour ma malheureuse expression d’oreiller de paresse. J’ai merdé, je reconnais. J’y ai beaucoup réfléchi à cette bourde. Je pense que c’est le résultat d’une partie de moi, de mon conditionnement d’homme de la terre qui doit bosser pour faire fructifier les affaires. Ça ressort de temps en temps et c’était au mauvais moment. Bien sûr que je ne veux pas dire que les indépendants sont des paresseux, loin de là. C’était une frustration qui est ressortie de manière délicate, et si je pouvais retirer cette parole, je n’hésiterais pas à dégainer mon sécateur (sourire).
2) La deuxième chose, c’est qu’il faut arrêter de critiquer l’action du CF pendant cette crise. Ça nous mine en tant qu’êtres humains. Dites-vous bien qu’avec ce virus, personne ne sait vraiment de quoi il parle. On est dans une situation inédite où les médecins s’agitent en racontant tout et son contraire. En écho, pour parer à la crise économique, les experts de la finance racontent tout et son contraire. Au CF, on est conseillé par des dizaines d’experts qui compilent des milliers de rapports. Ensuite Daniel Koch lit tout ça, nous fait un digest et nous donne son avis. Koch, c’est une putain de machine, le mec fait du canicross et porte un sac à dos à coque, je vois mal à qui je pourrais faire davantage confiance : les mecs savent ce qu’ils font. Alors vos petites piques sur Facebook, ça va un moment mais à la longue c’est blessant. Voilà. Et Santé ! (rires) (et ouverture d’une troisième bouteille de Gamaret)

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Choses politiques, Poésie

Comment devenir un orque

Ça pourrait s’appeler « Comment obtenir la réponse d’un service municipal en moins de 24 heures », parce que M. Ruchet a accusé réception de ma deuxième lettre ce matin à 10h00 par courriel. Résumé des épisodes précédents :

M. Jean-Claude RUCHET
Service Jeunesse et Cohésion Sociale
Rue de Neuchâtel 2
1400 Yverdon-les-Bains

Yverdon-les-Bains, le 25 février 2020

Concerne : liste d’attente du Réseau d’accueil de jour (RéAjy)

Bonjour M. Ruchet,

N’ayant pas reçu de réponse de votre part, j’adresse cette fois-ci une lettre en recommandé avec copie de ma dernière lettre à votre service. Je suppose que la Poste a perdu mon premier envoi (je n’ose pas mettre en cause votre responsabilité là-dedans – en 2020 on ne peut plus faire confiance aux services publics minés par le néolibéralisme). Pour assurer le coup, je double cet envoi avec une publication sur mon blog (yvanrichardet.blog).

Je reviens aux nouvelles pour vous demander quel est votre point de vue sur la situation des listes d’attente de 18 mois pour les garderies à Yverdon-les-Bains. J’ai vu que je n’étais pas le seul à émettre des doléances à ce sujet : le journal la Région a écrit un fâcheux papier là-dessus le 18 février 2020, qui révèle quelques dysfonctionnements au niveau de l’application des règlements. 

Nous avons beaucoup réfléchi avec mon amoureuse, et puisque nous constatons que le temps de la liste d’attente est calqué sur le temps de gestation des orques (18 mois), nous allons procéder à une opération de changement d’espèce : dans l’éventualité de la venue d’un second enfant, nous allons devenir des orques.

Pour dissiper toute confusion, je précise que par orque, je n’entends pas une de ces créatures du Seigneur des Anneaux (d’ailleurs, il est à noter que Tolkien lui-même confond allègrement « orques » et « gobelins »). Ici, notre réalité est plus simple : nous pensons nous faire opérer pour devenir des orques à la « Sauvez Willy« , le cétacé (on parle aussi d’épaulard). Je sais que ça peut faire peur, mais avec un bon chirurgien, ça doit être possible (nous avons encore toutes nos dents et nous sommes plutôt bons nageurs).

Par ce courrier, j’aimerais donc demander si la Ville d’Yverdon pourrait envisager une subvention pour l’intervention chirurgicale (il faut compter quelques dizaines de milliers de dollars et ça se pratique à Vancouver); je précise que la Ville aurait un bon retour sur investissement, compte tenu qu’un·e orque en captivité a une espérance de vie tournant autour de 40 ans (donc je suis bientôt cuit) (pour les femelles sauvages, c’est 90 ans). 

Mais peut-être que vous préférez résoudre le problème des garderies.

Cordialement,

Yvan Richardet

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Le Grand Débat – Résumé

Pour ceux qui n’ont pas le temps, quelques citations qui résument le « Grand Débat » de la RTS avec les candidats aux érections fédérales. J’ai juste regardé le début sur le thème de l’environnement; après, je suis parti me calmer (j’avais trop ri).

« Je ne suis pas pour les révolutions, je ne suis pas pour un changement de système, mais je suis pour une sensibilisation claire de tous les acteurs. »
Jacqueline De Quattro – PLR

Le jour où Jacqueline De Quattro aura compris le lien entre système capitaliste et réchauffement climatique, je paie la tournée.

« On ne doit pas opposer toujours l’environnement & l’écologie à une croissance. […] Ce qui me dérange un tout petit peu aujourd’hui dans cette notion d’urgence, c’est de vouloir changer du jour au lendemain de comportement. On doit travailler sur le moyen-long terme. »
Serge Métrailler – PDC

Je propose à M. Métrailler de lire à moyen-long terme le rapport du GIEC d’octobre 2018 (ici, 2 minutes suffisent) qui explique que nous avons 12 ans pour réagir. Peut-être que ça va le déranger un tout petit peu.

Je pense qu’on ne doit aucunement faire une rupture, on doit faire une transition. Une transition, c’est amener l’économie au service de l’écologie. […] On doit se tourner vers l’innovation, la recherche. […] Si on est les premiers – quasiment – pour les neurosciences, on peut être les premiers pour les technologies propres.
Michel Matter – Verts Libéraux

Youpi ! Les gentils scientifiques vont nous sauver ! (À ne pas confondre avec les méchants scientifiques qui nous annoncent l’effondrement de la biodiversité et un monde à +2°).

Si on commence à taxer les avions en Suisse, les jeunes sont quand même assez malins pour aller prendre l’avion à Milan, en Allemagne… La taxe elle est de 6€ en Europe, et pis chez nous on prévoit entre douze et deux cents francs. Moi j’ai rencontré des personnes qui m’ont dit « Moi je vais à New York, tu peux me mettre 200.- de taxe, ça fait rien, j’irai quand même. »
Pierre-André Page – UDC

Les jeunes de l’UDC, c’est l’avenir : roublards, retors et cyniques. Et prendre vos amis comme exemple dans un débat public, ça élève bien le débat. Ils doivent être super, vos potes, Pierre-André !

Après j’ai un peu décroché. Alberto Mocchi a dit des choses intelligentes, mais il s’est fait piéger sur la taxe CO2. Ben ouais, les Verts, quand on vous met devant vos contradictions, tout à coup vous ne savez plus quoi dire. Le jour où les taxes seront dissuasives, ça se saura.

Finalement, mon seul réel plaisir était de voir Yvan Luccarini (Décroissances Alternatives) derrière l’épaule droite du présentateur. Il ricanait tout le temps en faisant des commentaires à son voisin en se grattant la tête. Il me plaît, celui-là. Il a renforcé encore mon envie de panacher Ensemble à Gauche et les Jeunes Verts (peut-être les seuls qui devront vivre avec leurs décisions – parce que les vieux croulants des partis bourgeois, on peut quand même se demander s’ils n’en ont pas, quelque part, rien à carrer; ils seront six pieds sous terre quand on aura six degrés dans face).

Je conclus sur cette saillie d’une rare sombreur :

« Bertrand Piccard l’a dit : le climat, c’est le marché du siècle. »
Michel Matter – Verts Libéraux

Là, je suis parti vomir.

Bonne chance à tous pour le 20 octobre. Smartvote si vous hésitez encore.

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Jean-François Thuillard, épouse-moi !

Cher Jean-François Thuillard,

C’est avec un plaisir presque coupable que j’ai lu avec sensualité votre billet d’opinion dans le 24Heures du 12 septembre 2019. Si je devais déclarer ma flamme à un candidat aux fédérales, ce serait vous; vous avez su réveiller mes ardeurs d’ancien professeur de français, vous avez su attiser mon goût pour débusquer les paralogismes, vous avez fait saliver mes glandes rhétoriques. Je vote d’habitude plutôt à gauche, mais j’envisage de réviser ma position (et d’autres positions, du coup) depuis que j’ai été séduit par votre plume. Permettez-moi d’y revenir comme chat sur braise, comme une caresse sur l’art de convaincre, comme une oeillade argumentative. Mais d’abord, je cite : 

Quelle admirable trouvaille de citer un grand homme comme Clémenceau – souvent employé, il est vrai, pour critiquer le néo-libéralisme (« L’économie est une chose trop sérieuse pour être confiée aux économistes »). Avec ce paradoxe provocant, vous frappez fort, vous frappez juste : on voit tout de suite que votre billet est surtout une boutade, un hommage burlesque au travail d’argumentation, et que vous allez probablement dire de grandes choses sous le couvert du n’importe quoi. J’adore ça. 

En cette période préélectorale, il ne se passe pas un seul jour sans que la presse n’évoque les dangers qui pèsent sur la nature et l’importance d’agir dans ce domaine. Il ne fait aucun doute que la nature et notre environnement sont des affaires sérieuses, mais nous, les agricultrices et agriculteurs, n’avons pas attendu que les Verts et les écolos les instrumentalisent politiquement pour nous en rendre compte.

Oui ! C’est ça ! Vous mettez le doigt sur une injustice crasse : les écologistes s’arrogent le droit de faire de la nature le centre de leur campagne, alors qu’ils pourraient se limiter à la fiscalité des entreprises ou le financement de l’AVS. C’est un peu comme si la gauche se permettait de parler de socialisme. Où irions-nous ? De plus, en qualifiant « d’affaire sérieuse » (c’est moi qui souligne) la problématique climatique, vous montrez que vous avez saisi avec toute la conscience nécessaire les problématiques d’effondrement de la biodiversité, d’emballement du réchauffement et des réfugiés climatiques. Pour vos prochaines interventions, je vous propose d’autres adjectifs, qui englobent encore mieux les choses : « la nature et notre environnement sont des affaires pertinentes / intéressantes / intrigantes / cela mérite qu’on s’y arrête… » J’ai d’autres suggestions que je pourrai vous faire sur le bord de l’oreiller.  

Pour s’offrir une légitimité dans ce débat, de nombreux activistes du climat – dont l’écrasante majorité est incapable d’affirmer si les oreilles des vaches sont devant ou derrière leurs cornes – ont jeté l’opprobre sur le monde paysan.

Oui ! Encore oui ! Vous avez raison de citer une étude extensive avec un chiffre clair quant à cette « écrasante majorité ». Et l’exemple est parlant : je suis moi-même fils de paysan, et j’ai constaté que je ne savais pas si les oreilles des vaches étaient devant ou derrière leurs cornes (j’ai vérifié depuis – elles sont légèrement derrière) : 

Savoir où sont positionnées les oreilles des vaches : voilà à quoi on reconnaît un véritable défenseur de la nature.

Je propose même de dénoncer tous les spécialistes du GIEC qui ne sauraient pas répondre à la question. En fait, ça devrait devenir le critère d’admission au parti écologiste. De la même manière, on devrait vérifier que les enseignants de français connaissent bien la date de naissance de Victor Hugo, on devrait obliger les commentateurs sportifs à connaître les prénom des enfants Beckham, et on devrait s’assurer que les cuisiniers sachent si on dit LE ou LA Nutella. Certains fâcheux pensent qu’il s’agit là de détails, mais le diable est dans les détails, et je vois mal comment on pourrait parler de réchauffement climatique sans connaître des éléments évidents d’anatomie bovine. CQFD, mister Thuillard. Bim !

[Les activistes du climat] accusent les agriculteurs de maltraitance animale, ils dénoncent les méthodes de production et hurlent à l’empoisonnement des nappes phréatiques. Nombreux sont celles et ceux qui nous expliquent comment nous devons nous occuper de nos exploitations agricoles mais peu, en ces mois d’été, étaient dans les champs ou sur les alpages pour mettre en pratique ce qu’ils sermonnent le reste de l’année dans les médias.

Oui ! Ja ! Yes ! You nailed it, Jean-François ! C’est le coeur du problème, ça : les écologistes sont contre l’agriculture parce qu’ils parlent d’empoisonnement et se mêlent de ce qui ne les regardent pas. Est-ce que je vais ennuyer mon oncologue avec des considérations sur les cellules du pancréas, moi ? Est-ce que j’inquiète les journalistes en relevant que leurs données ne sont pas fiables ? C’est tout de même dingue que des citoyens lambdas s’ingèrent dans des problèmes de nature, alors que les paysans sont les principaux protecteurs de la nature. Si la nature a besoin de glyphosate, qui mieux qu’un agriculteur pour la lui donner ? Certainement pas ces bobos qui vont en vacances au Costa Rica, bon sang !

De plus, vous dénoncez un scandale explosif : ces écolos ne sont pas dans le champs ou les alpages. Comment peut-on croire défendre la nature si on ne s’y trouve pas ? Hein ? Hein ? Ça tombe sous le sens ! Est-ce que Gandhi aurait pu défendre l’Inde depuis l’exil ? Est-ce que Martin Luther King aurait pu mener ses actions sans aller à Selma ? Pour défendre la nature, il faut se trouver sur place. Voilà qui fait du sens. Le bon sens (je crois que c’est votre autre slogan de campagne, « le bon sens à Berne ». Wow. Puissant, simple, efficace. On dirait un slogan de Steve Jobs).

Alors qu’il était député, Georges Clemenceau avait affirmé que la guerre étant (sic) une chose trop grave pour être confiée à des militaires. Il en va de même aujourd’hui avec les activistes et donneurs de leçons du climat. La nature est une chose trop grave pour être confiée aux écolos.

Si l’on passe une petite coquille, c’est un coup de maître rhétorique, Jef (je peux vous appeler Jef ?) : sous une tournure des plus subtiles, vous expliquez bien qu’il y a une urgence climatique à prendre dans toute sa mesure. Nous sommes en état de guerre contre le climat, contre la nature, les ouragans, les tsunamis et les cyclones qu’elle nous envoie. La nature est une chose trop grave. Depuis le début. Elle n’est pas ce paradis qu’on nous vante; elle n’est pas cet Eden équilibré, vanté par les apôtres de la permaculture. La nature est un monde hostile, sauvage, suintant la loi de la jungle et la barbarie. Vos mots me donnent envie de folâtrer avec vous sur une couverture militaire pour un pique-nique crapuleux, tiens. Nous serions bien, dans une petite monoculture de luzerne sans insectes fâcheux, à butiner nos corps huilés de colza en production intégrée, avec un petit Don’t Stop Me Now diffusé par une Boom-Box solaire… Râaaah lovely. 

En effet, depuis la nuit des temps, des hommes et des femmes cultivent la terre au gré des saisons. Les agriculteurs mettent en terre les semences, puis veillent sur les champs et en prennent soin jusqu’au moment de la récolte et ils recommencent cette opération depuis des millénaires afin de nourrir nos communautés avec le fruit de la nature. Aimer la terre et la nature n’est pas un passe-temps de bobos mais un art de vivre qui nous oblige à l’humilité. On est loin des théories toutes faites et des «yakas» lus ou entendus dans les médias.

Oui ! More of this ! Invoquer l’agriculture de ces 13 derniers millénaires (elle serait apparue vers -10’000) pour défendre l’agriculture de 2019, c’est un coup de génie : c’est bien la preuve que nos ancêtres savaient utiliser les phosphates, savaient doser les azotes et savaient gérer les pesticides mieux que personne, avec humilité et abnégation. Vous résumez à merveille le travail d’un paysan : mettre en terre la semence, veiller sur les champs et en prendre soin. Voilà le plaisir simple et le geste auguste du semeur contemporain, dans une caresse subtile du labour laissé par une quatre-socs.

En Suisse, les normes pour l’exploitation agricole sont parmi les plus sévères du monde. Elles visent à la fois la qualité des produits, le bien-être des animaux et le respect de la nature. Les agricultrices et agriculteurs suisses se conforment à toutes ces normes et n’ont jamais relâché leurs efforts avec la mise en place, sur chaque exploitation, de nombreuses mesures en faveur de la biodiversité.

Oui ! Trois fois oui ! Les normes écologiques suisses sont suffisantes. La preuve par mille

Les agitateurs du climat ne peuvent survivre politiquement qu’en agitant la peur au sein de la population dans le but de donner du sens à leurs théories. Se faisant (sic), ils induisent le doute chez les consommateurs et poussent une partie de ceux-ci à se tourner vers des produits importés. Ainsi, au nom de la défense du climat, on favorise les produits issus d’une agriculture moins normée que la nôtre et qui ont traversé les océans à bord de cargos qui avancent au fioul lourd.

Bon mon petit Jef, là j’avoue que j’aimerais corriger la petite coquille du début de la deuxième phrase. Probablement un coup monté de la rédaction. Ça n’enlève au rien au génie de ce paragraphe : ces Cassandre qui appellent à la peur n’auront pas notre peau, Jean-François. En tant qu’UDC, nous sommes rompus à cette stratégie; nous resterons sourds aux sirènes des collapsologues; nous demeurerons de marbre face aux rumeurs de l’effondrement !

Tu mets le doigt – on peut se tutoyer, en tant que fils de cul-terreux, non ? – tu mets le doigt, disais-je, sur un paradoxe effarant des écolos-bobos : ceux-là même qui fustigent notre bonne paysannerie sous prétexte de défense de l’environnement, ces bougres de traîtres à la patrie… Eh bien, ce sont les premiers à servir du quinoa du Pérou sur leurs buffets véganes; ce sont les seuls à prendre l’avion avec des compagnies étrangères; ce sont les plus farouches défenseur des républiques bananières du Brésil, se nourrissant exclusivement de tofu trafiqué et de lait d’amande en brique de supermarché. 

Saint Jean-François, ton billet doit ouvrir les yeux des masses populaires qui ignorent encore le complot écologiste qui se trame sous la pression des lobbys verts. À bas ces éco-fascistes qui nous poussent à consommer ! Haro sur ces activistes qui nous poussent à remplacer la croissance par du développement durable. Oui, car je vois très bien où tu veux en venir, mon petit Jean-François. Sous tes airs sages de politicien mesuré, la voie que tu traces pour l’humanité, c’est celle de la décroissance. 

La défense de la nature, il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui la pratiquent

Pratiquons ensemble, Jef. 
Je t’attends.

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Le prochain pont à traverser (3) : 10 gestes pour saboter le capitalisme

Voilà le plan, camarades : plutôt que de poser des bombes ou kidnapper des dirigeants, nous allons simplement ralentir le système dans sa chute; l’accompagner dans son effondrement. Nous ne détruirons aucune machine, nous ne pourfendrons aucun dirigeant, nous ne lutterons même pas contre le système.

Nous allons l’ensabler.

Nous mettrons notre grain de sable là où ça crisse, nous sèmerons notre bonne graine là où ça pousse, nous deviendrons les empêcheurs de spéculer en rond; la machine va se défendre, se débattre, se désarticuler et tomber face contre terre.

[Si personne n’achète des produits de multinationales], en 48 heures le système s’écroule.

Dominique Guillet (fondateur de Kokopelli)

On m’oppose souvent que les actions individuelles ne suffiront pas à changer le système. Il est vrai que les actions individuelles isolées resteront des gouttes d’eau (dans un océan de plastique). Mais les actions individuelles collectives, elles, ont toutes les chances de renverser la vapeur, tout autant qu’une action politique.

De fait, certains opposent ces deux types d’actions, alors qu’il s’agit bien plutôt de conjuguer action politique ET gestes individuels. Et si les actions que nous pouvons mener à titre individuel sont nombreuses, elles n’ont pas toutes le même impact sur l’environnement, et certainement pas le même « coût » comportemental : s’il est plutôt difficile de changer un régime alimentaire inscrit dans une culture ou un métabolisme, il est relativement simple de placer ses économies dans une banque éthique.

Par exemple, Eléonore a énormément de difficultés à changer de banque (coût négligeable, impact énorme) et a choisi de renoncer à quelque chose comme les shampooings testé sur les animaux (faible coût comportemental) : l’impact de son action est très limité (son bénéfice est même dégradé par le fait qu’elle a quelques actions au Crédit Suisse). Dans le même ordre d’idée, des actions écologiques qui vous paraissent radicales (comme se passer de supermarchés pendant un mois, ou faire zéro-déchets sur une semaine) n’ont pas vraiment de sens sur le court terme. Il faut donc chasser le naturel au galop, débusquer des actions à fort impact et les ancrer durablement dans notre quotidien.

10 exemples (classés par ordre croissant d’impact écologique) :

Installer une minuterie pour son wifi
Investissement en temps : 5 minutes
Coût : environ 18 balles
Impact sur l’environnement : plutôt modeste, on va pas se mentir
Courez chez votre quincailler (ou pire, commandez-le en ligne) pour acquérir un programmateur horaire pour prise électrique; branchez-le sur l’alimentation de votre télé/wifi/time capsule, etc. (tout ce qui peut être éteint pendant que vous dormez). Programmez-le pour qu’il coupe le courant entre minuit et 7 heures du matin et VOILÀ !, vous venez de faire une économie d’électricité de 30% sur cette consommation-ci.
BONUS : moins d’ondes dans votre cerveau, vos ovaires et vos testicules.

Investir dans un rasoir old-school et du savon à raser
Investissement en temps : 5 minutes
Coût : environ 20 balles
Impact sur l’environnement : on va pas se leurrer, c’est encore assez négligeable
Mais cette action va vous permettre de boycotter Gillette, d’avoir du matériel de hipster et de diminuer vos déchets en rasoirs jetables, bombes de mousses à raser et triple-lames. En plus, vous gagnerez en efficacité, messieurs.
BONUS : vous vous rasez au blaireau. Au blaireau !

Ecrire une lettre à sa régie pour effectuer une rénovation thermique de son bâtiment
Investissement en temps : 5 minutes
Coût : un timbre à 1.-
Impact sur l’environnement : très important sur le long terme
Je vous ai concocté un modèle ici. À ré-envoyer chaque mois. L’obstination finit toujours par payer.

Mutualiser ses outils, ses robots ménagers, ses trucs et ses machins
Investissement en temps : 15 minutes
Coût : 7.-
Impact sur l’environnement : variable
C’est l’idée de Pumpipumpe : sur votre boîte aux lettres, vous collez des stickers qui désignent ce que vous être d’accord de prêter à vos voisins. C’est un petit laboratoire de mutualisation des ressources. On commence par se prêter un barbecue, on enchaîne par s’échanger des jeux de société, on finira par mettre en commun nos bagnoles : on libère de l’espace personnel, on mutualise nos ressources et on retrouve la qualité des biens communs.
BONUS : vous allez redécouvrir votre quartier et les belles personnes qui y habitent !

Placer ses économies dans une banque alternative
Investissement en temps : 1 heure
Coût : variable (en fonction de votre banque actuelle)
Impact sur l’environnement : ENORME (surtout si vous étiez chez Crédit Suisse et UBS)
Je suis à la Banque Alternative Suisse depuis 7 ans; ils ont tout l’e-banking dont vous pouvez rêver, la carte Maestro et la carte VISA s’il vous la faut. Les options sont simples, le site est très clair et vous serez sûr d’avoir face à vous une banque transparente (ils publient la liste de tous les crédits octroyés).
BONUS : j’avais une limite de 1’000.- sur ma carte qui m’a grandement incité à réduire ma consommation.

S’inscrire pour des paniers de légumes hebodmadaires
Investissement en temps : 30 minutes (retour sur investissement énorme)
Coût : compter peut-être 20.- de plus par mois au budget-légume
Impact sur l’environnement : ENORME
Impact sur la paysannerie et encouragement aux initiatives de transition : ENORME
Mon amoureuse nous a inscrit au Clos du Moulin depuis le début de l’année et je n’ai que des louanges : ça m’incite à cuisiner des nouveaux légumes, c’est forcément local et bio, je coupe les intermédiaires (et les navets). Il y a probablement une ferme qui s’occupe de ça près de chez toi.
BONUS : tu peux généralement te faire livrer sur le pas de porte.

Boycotter les grandes surfaces et les multinationales
Investissement en temps : dépend de la concentration géographique de vos petits commerces
Coût : très variable – certains biens sont un peu plus chers, d’autres meilleurs marchés (moins d’intermédiaires); dans tous les cas, vous contribuerez à un tissu économique plus résilient
Impact sur l’environnement : ENORME
Quand vous connaissez les scandales autour de Nestlé, les conditions de travail chez Aldi/Lidl et les marges brutes de Coop et Migros, vous comprenez vite que tout le monde bénéficiera d’un commerce équitable à petite échelle. Alors achetez vos légumes chez le marchands de légumes, vos jouets chez le marchand de jouets et vos livres en librairie.
BONUS : les professionnels vous conseillent bien mieux que des caissières sous-payées (ou des robots-scanners)

Tendre au zéro-déchet
Idem que le précédent : ce que vous perdrez à fréquenter les magasins en vrac, vous l’économiserez en taxe au sac.
BONUS : vous allez apprendre à faire de la lessive bio et du déo artisanal.

Adopter un régime locavore et flexitarien
Investissement en temps : zéro
Coût : le plus souvent, c’est moins cher
Impact sur l’environnement : GIGANTESQUE
Vous allez décourager la production de viande de mauvaise qualité, améliorer les conditions économiques des agriculteurs, diminuer votre consommation cachée en eau, en céréales et réduire votre impact climatique globale. Et s’il vous plaît, évitez de compenser votre apport en protéines par du soja brésilien ou des fèves d’Italie : votre corps va trouver tout ce dont il a besoin chez votre boucher-paysan, votre maraîcher du samedi matin et votre petite épicerie du coin de la rue.
BONUS : vous allez découvrir les asperges au serac (avec un filet d’huile de noix de derrière les fagots)

Boycotter l’avion
Investissement en temps : pour Bâle-Tokyo, on est d’accord qu’en train c’est plus long. Mais pour Genève-Paris, la SNCF est votre amie
Coût : yep, le ticket de train est scandaleusement plus cher
Impact sur l’environnement : HOMÉRIQUE
Voilà combien pollue un avion.
Et si vous n’êtes toujours pas convaincu, demandez-vous pourquoi vous tenez tant à voyager. L’industrie du tourisme vous fait miroiter une « rencontre avec une autre culture ». Dans la réalité, le plus souvent, vous aurez un guide anglophone, des musées aseptisés qui vous présentent une histoire sélective, des restaurants franchisés, des sites dénaturés et des villes occidentalisées.
Le tourisme vous propose des « expériences immanquables » en jouant sur votre peur de rater quelque chose. Mais cette peur est insatiable : toute votre vie, vous allez manquer des évènements, rater des occasions, vous absenter du moment où tout le monde s’amusait. La réelle expérience à laquelle vous pourriez vous préparer, c’est passer du temps avec les gens que vous aimez, faire des choses qui vous plaisent, explorer votre potentiel artistique, et la plupart de ces choses ne gâchent pas un gramme de planète.

BONUS GLOBAL : c’est un cycle vertueux. En plus d’ensabler le capitalisme, ces gestes nous conduisent vers un nouveau système plus économe, plus sain et plus conscient de ses limites. Le système touche à sa fin, nous allons précipiter sa chute pour être les pionniers de l’après-capitalisme. La fin n’est pas fin.

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Le Forum des Indécents

Attention spoiler : c’est Cersei qui gagne à la fin.

Dès que j’avais entendu parler du thème du Forum des 100 de cette année (« Transition Ecologique : le temps de l’action), je m’étais dit que je pouvais probablement aller occuper des chaises vides et filer une paire de claques par là-bas pour tenter de déstabiliser le pouvoir et faire entendre la voix de la décroissance. C’étais sans compter un coup de téléphone d’Alain Jeannet, il y a trois semaines :

– Allô, c’est Alain Jeannet, directeur du Forum des 100. On aimerait vous inviter à venir faire un « Pitch » de 3 minutes sur votre spectacle « L’Emeute ».
– Allô ? Merci ! Je comptais de toute façon venir, invité ou pas, mais si vous en plus vous me donnez un micro, c’est super.
– Ce sera pendant l’apéritif, après les conférences plénières du matin; tous les gens mangeront et vous tourneront le dos, vous aurez droit à deux slides mal éclairés et 180 secondes chrono. (il n’a pas été aussi franc)
– Ah bon ? J’aurai préféré faire une intervention devant les 1000 décideurs.
– Mais je vous assure, pour vous, il y aura plein de gens ! Et puis, vous allez pouvoir réseauter comme jamais.
– Comme Jeannet ?
– Allô ?
– Pardon. Mauvaise blague.

Je me pointe donc hier matin au Donjon Rouge (le Swiss Tech Convention Center) dans mon déguisement de Lannister (PLR et Lannister, ça rime super); accueil dès 8h00, café-croissant, beaucoup d’hommes blancs de plus de 40 ans et hétéros, très peu de manteaux-d’or (j’aurai pu carrément entrer sans badge, avis aux amateurs pour l’année prochaine).

Je m’installe dans la grande salle high-tech-sur-vérins-hydrauliques, au deuxième rang dans les « orateurs », avant de réaliser que je me trouve juste derrière Sauron le Président du Conseil d’administration de Nestlé et la cheffe de la durabilité de Procter & Gamble. Zut, j’aurai dû prendre du verredragon de quoi les entarter.

Ça commence.

Version originale mauvaise foi, sous-titrée en franglais branchouille

Ça commence avec une introduction par les gens obligatoires – 4 minutes de parole par politesse institutionnelle. Vu que ce sont des impondérables, profitons de caser quelques femmes (à peine un tiers des orateurs) : une rectrice de l’UNIL complètement hors-sujet (Olenna Tyrell), un président de l’EPFL vaaachement à la pointe (Mace Tyrell), une collégienne valaisanne (Margaery Tyrell) et une étudiante (Arya Stark) qui tendait des tracts d’extrême-gauche et des banderoles anti-patriarcales à l’entrée. « On a invité des manifestants sur scène, c’est la surprise de la journée » fanfaronne Alain Jeannet. Ouh là, de l’impro dans leur planning. C’est vous dire si la révolution est en marche.

La collégienne valaisanne est partie « rencontrer Greta Thunberg pour qu’elle appuie notre mouvement. On a fait 52 heures de train jusqu’en Suède, c’était vraiment une expérience éprouvante et nous en avons déduit que le train n’était pas une solution, qu’on avait besoin de l’avion pour découvrir le monde et ses habitants. ». Yes. Quand tu réalises que la jeunesse a autant de talent rhétorique que d’ambitions révolutionnaires, ça sent le feu grégeois. Si tous les contradicteurs du système sont du même tonneau, je sens que je vais vomir. 

Ensuite, un améwicain (les Cités Libres) nous explique à gwands renfowts de slides que la Califownie fait beaucoup pouw la planète, avec des usines photovoltaïques dans le désewt. Mais ouais mec, c’est clair, t’as trop raison : on va mettre PLUS d’usines Tesla pour faire PLUS de machins, et on va PLUS ignorer le problème des métaux rares, le CO2 dégagés par la fabrication des panneaux et on va se dire que c’est ok. Back in the fourties, the US-of-A saved the world. Play it again, uncle Sam.

Après il y avait Jacques Boschung des CFF (Littlefinger). J’ai dû dormir parce que je n’ai rien retenu. À part quant il s’est vanté auprès du californien dans un mauvais anglais « Here at ze CFF, we areuh bold : almost ouane hundred percent of ze electricity is green. » Le concours de quéquettes pouvait commencer (dans une économie compétitive, les gens sont prompts à la comparaison génitale).

La recette pour m’aigrir

Le plat de résistance, c’était Virginie Hélias (Tywin, Procter & Gamble) et Paul Bulcke (Cersei, le président de Nestlé). Celui-ci a déballé de jolies salades « Nestlé fait déjà beaucoup de choses » (je vous assure que c’est pas plus précis ; il a juste dit « des choses »), mais si on veut « nutrir (sic) la planète, il faut travailler de manière multistakeholder ». Comprenez : avec tous les partenaires, des producteurs jusqu’aux… actionnaires. Même refrain du côté de Procter & Gamble, avec l’éco-conception de la lessive Ariel. Moins trente pour cent ! Mais puisqu’on vous dit qu’on lave plus vert, bandes d’écolos-fachistes !

Un peu plus tard, Bulcke-Cersei se pose en victime face aux mouvements de contestation : « Il y a beaucoup d’émotion, mais on ne fait pas avancer les choses en tapant du poing sur la table ».
Par contre, en privatisant l’eau de source et en rasant la forêt amazonienne, les choses bougent à une de ces vitesses.
Il prononce au moins quinze fois le mot « conscientisation », comme autant de refrains de berceuse pour anesthésier toute velléité de contestation.

Dans le rôle de Kevan Lannister, Gilbert Ghostine (Firmenich, des parfums de synthèses) explique que son entreprise « tellement familiale » est plus-que-centenaire, ce qui prouve sa durabilité (ha ha, confondre durabilité et monopole oligarchique, c’est super).

Heureusement, il y a eu quelques héros : Danaerys (Sofia de Meyer, des jus Opaline) veut libérer les chaînes de l’économie pour des entreprises « pacifiques », Jon Snow (Julien Perrot de la Salamandre, pas vraiment invité mais le plus touchant et le plus émouvant dans son plaidoyer désespéré pour « moins de peinture verte ») et Marco Simeoni (Race for Water) joue les Ser Davos « en colère » cherchant un financement pour empêcher qu’une marée de Marcheurs Blancs de plastique – continue à progresser dans les océans.

Une goutte d’eau.

Autant pisser dans un violon

Car Bertrand Piccard (Euron Greyjoy, en « aventurier » à la solde des fabricants de polymerdes) vole au secours du Donjon Rouge : « Je pense qu’on peut réconcilier économie et écologie, je crois à des programmes, des innovations, des technologies ». Le degré zéro de la réflexion écologique : le jour où Bertrand Piccard comprendra l’effet rebond, la science fera un pas de Tormund.

Je passe comme chat sur braise sur Urs Schaeppi (Qyburn) qui défend la 5G de Swisscom, de Jean-Pascal Baechler (la Banque de Fer Cantonale Vaudoise), dont on se demande bien ce que sa présentation du PIB romand vient foutre ici; j’ai somnolé pendant les interventions d’André Hoffmann, de Philipp Hildebrand, d’Insignifio Cassis (la Compagnie Dorée). Et Sophie Swaton (Lyanna Mormont) échouait à présenter concrètement le Revenu de Transition Ecologique, face à Jacqueline De Quattro (une fille Frey, probablement) qui pleurniche de toute l’opposition qu’elle subit face aux lois pro-écologie. Bouh, la pauvre. Mais quel métier difficile, diriger. Tu veux un mouchoir ?

À l’entracte, il y avait des enturbannés de la Fête des Vignerons qui ont chanté « Les trois soleils » (probablement une ode au photovoltaïque). J’aurais préféré un couplet sur le glyphosate, mais on ne peut pas tout avoir. On a eu droit aussi à un petit film sur une cleantech, Aqua-4D, qui fait de l’aéroponie (c’est du newspeak pour « culture hors-sol vaporisée avec de l’eau enrichie par de la marde »). Sur fond de piano solo, un entrepreneur valaisan nous explique que dans des grandes serres, avec plein de produits chimiques, on arrive à faire le travail de la nature à la place de la nature qu’on a détruit.
C’est super.
On appelle ça la « smart agriculture ».
Je me réjouis d’expliquer à mon père qu’il a fait toute sa vie de la dumb agriculture. Travailler de manière naturelle, c’est tellement une dirtytech, mec.

Même Nathanël Rochat (Ser Dontos), pourtant très juste et caustique dans son enfilade de vannes personnelles, ne peut que conclure très pauvrement, si pauvrement : « oui… c’est avec des bonnes volontés… qu’on va pouvoir faire quelque chose… ». Le bouffon a pu cracher son fiel, c’est tout bon, on a fait notre autocritique de décideurs. 

À la fin, c’est les méchants qui gagnent

Je reviens quand même sur le speech sidérant de Philipp Hildebrand, vice-président de BlackRock, qui explique la finance va tous nous sauver, en tant que game-changer (attention, c’est de la macroéconomie, il faut parler le haut-valyrien) : « Notre rythme de vie est par définition à court terme. Il s’agit de rassurer les actionnaires face à des investissements dans des entreprises durables, leur expliquer que la profitabilité sur le long-terme va se confirmer. » (Quand vous dites long terme, c’est de l’ordre de 2 ou 5 ans ?)
« Comment est-ce qu’on peut avoir un portefeuille d’actions qui est bon le climat ? » (Peut-être un portefeuille en cuir local ?)
« S’il y a une entreprise qui pollue beaucoup et qu’elle a une stratégie agressive pour aborder la transition et réduire son empreinte, alors on peut investir là-dedans. » (Ça a l’air sacrément prudent leur stratégie.)
« C’est une discussion compliqué à avoir avec ses actionnaires : il faut leur expliquer que si j’ai une politique à court terme, ça endommage la profitabilité à long terme. » (Oui oui, les gens se sont beaucoup répétés pendant ce forum; scandez un mensonge, il finit par devenir vérité.)
« Comme nous sommes très petits, nous ne pouvons pas résoudre des problèmes globaux ». (No comment.)

Et quand un journaliste critique Cersei-Peter Bulcke (Nestculé), celui-ci joue les victimes : « On dit que les grands arbres prennent plus de vent. C’est normal qu’il y ait des critiques, mais les gens ont souvent une vision étroite de notre réalité, ils ne voient que 5°, alors que nous on voit à 360°. Et au passage, monsieur Ghostine disait qu’il dirige une entreprise plus que centenaire; nous, nous avons fêté nos 153 ans (concours de quéquettes again). Alors ce n’est pas avec ces visions d’effondrement et de d’urgence catastrophiste que nous allons faire avancer les choses. Les gens ne peuvent pas avancer dans la peur. Nous leur devons une illusion (sic) que le monde ira mieux. »

Merci, Peter.

Merci de m’avoir encore renforcé dans mes convictions.

Ecoeuré, j’ai eu juste assez de forces pour me rendre à mon « Pitch n°7 » pour « Sauver le monde en 180 secondes ». J’avais préparé un texte que je n’ai pas lu; à la place, j’ai juste expliqué que le capitalisme c’est de la marde, que les jeunes de la rue allaient prendre le pouvoir, et que la poésie vaincra.

L’hiver vient, et la planète se meurt.

Et comme Nestlé, elle n’en a rien à foutre.

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Ma candidature

C’est officiel, voici ma candidature au Conseil d’Etat.
Vous pouvez voter pour moi sur le bulletin vierge. Si j’obtiens plus de 500 voix éparses, je me présente au deuxième tour et je ferai campagne sur les plateaux-télé.
J’ai un seul programme (et après, je démissionne sans solde, promis juré) : déclarer l’urgence climatique au niveau vaudois. Là-dessus, je vous promets une couverture médiatique immense (« Un canton insignifiant prend une mesure révolutionnaire ! »), des effets à long terme (« En 2019, alors que tout paraissait trop tard, une population qui avait des couilles a pris ses responsabilités et a inspiré d’autres collectivités ») et plein de changements dans votre vie, car je suis POUR :

  • La diminution des libertés individuelles (mais l’élévation du bien-être collectif) :
    Vous ne pourrez plus prendre l’avion, mais vous ferez des soirées-jeux avec vos voisins. Vous ne mangerez de la viande plus qu’une fois par semaine et serez contraints aux légumes de saison, mais vous serez en meilleure santé et vous ferez un gros doigts aux pharmas. Vous n’aurez plus le droit de faire vos courses dans des grandes surfaces, mais vous taperez la discute avec les détaillants de vos petits commerces favoris.
  • La réduction de votre « train de vie » (mais l’augmentation de votre capacité à l’apprécier) :
    Deux heures d’internet par jour; vous redécouvrirez les plaisirs de la lecture, de la discute et des câlins sous la couette. Vous dépolluerez votre imaginaire des réseaux sociopathes, de l’actualité sans limite et de la consommation sans horaire.
    Une voiture pour quatre foyers; vous découvrirez qu’en fait ça suffit amplement et ça vous économisera des blindes par mois.
    Limitation des salaires à 5’000.- par mois, mais instauration du RBI (revenu brut inconditionnel), du RTE (revenu de transition écologique) et valorisation des tâches jusqu’ici bénévoles (femmes aux foyers, artistes).
    Le boycott général des denrées fabriquées au-delà de l’Europe, mais une revalorisation des compétences indigènes.
  • Taxe carbone sur tous les produits non-artisanaux (mais gratuité des transports publics)
    Les multi-banques, les méga-cimenteries, les thermo-industries, les pharmaco-usines, les alambico-fumisteries vont carrément raquer, mais ce sera le règne des bicyclettes, des vélo-pousse-pousse et des chants d’oiseaux.
  • Zéro déchet, zéro plastique, zéro obsolescence programmée. On répare et on ré-utilise. On arrête le monstre du progrès et on le dompte une bonne fois pour toutes.
  • La réorientation de l’éducation. Vos gosses vont :
    – Devoir décrypter le dernier rapport du GIEC pour vous mettre la misère au repas de midi (ah oui, j’ai oublié de dire que l’horaire continu pour favoriser le travail des parents, c’est de la marde). Votre gosse vous criera « Tu savais mais tu n’as rien fait » alors que vous avalez des rutabagas produits localement.
    – Apprendre à cultiver les fruits offerts généreusement par la nature plutôt que manipuler une tablette tactile offerte généreusement par Apple.
    – Apprendre la coopération, la gouvernance horizontale et la progression par valeurs plutôt que la compétition, la hiérarchie et la pédagogie par objectifs.
  • Moratoire sur le bétonnage, mise en permaculture de tous les espaces verts urbains
    Confiscation des résidences secondaires, mise en logements subventionnés
    Taxation des transactions financières, pénalisation de l’évasion fiscale, taxe sur les grosse fortunes, les grosses bagnoles et les grosses piscines.

Finies les vacances au Chili, les bananes au déjeuner, les balades en voitures.
Halte au shopping, à la haute couture et au gavage des oies.
Ouste aux 4×4, aux beaufs en héliski, aux courses en jet-ski et en séjours au Kempinksi.

J’ai le programme le plus impopulaire de toute l’histoire suisse. Parce que le réchauffement climatique ne s’embarrasse pas de jolies promesses : il demande qu’on entre en guerre contre lui.

Du sang, des larmes et de la sueur : Winston Churchill avait promis la même chose pour lutter contre le nazisme. Cette fois, l’adversaire est plus fort que nous. Alors plutôt que de vous promettre des gentilles choses pour les PME et pour les working poors et pour la culture et bla et bla, je m’attaque aux véritables priorités.

Je vous promets l’effondrement du système thermo-industriel et le surgissement d’une économie mutualiste, collaborative et durable.

Je vous promets des crises, de la souffrance, de la culpabilité et de la douleur.

Je vous promets le changement.

(et tout ceux qui vous promettent du changement sans les crises qui vont avec sont des fieffés coquins)

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