Choses politiques, Poésie

Comment devenir un orque

Ça pourrait s’appeler « Comment obtenir la réponse d’un service municipal en moins de 24 heures », parce que M. Ruchet a accusé réception de ma deuxième lettre ce matin à 10h00 par courriel. Résumé des épisodes précédents :

M. Jean-Claude RUCHET
Service Jeunesse et Cohésion Sociale
Rue de Neuchâtel 2
1400 Yverdon-les-Bains

Yverdon-les-Bains, le 25 février 2020

Concerne : liste d’attente du Réseau d’accueil de jour (RéAjy)

Bonjour M. Ruchet,

N’ayant pas reçu de réponse de votre part, j’adresse cette fois-ci une lettre en recommandé avec copie de ma dernière lettre à votre service. Je suppose que la Poste a perdu mon premier envoi (je n’ose pas mettre en cause votre responsabilité là-dedans – en 2020 on ne peut plus faire confiance aux services publics minés par le néolibéralisme). Pour assurer le coup, je double cet envoi avec une publication sur mon blog (yvanrichardet.blog).

Je reviens aux nouvelles pour vous demander quel est votre point de vue sur la situation des listes d’attente de 18 mois pour les garderies à Yverdon-les-Bains. J’ai vu que je n’étais pas le seul à émettre des doléances à ce sujet : le journal la Région a écrit un fâcheux papier là-dessus le 18 février 2020, qui révèle quelques dysfonctionnements au niveau de l’application des règlements. 

Nous avons beaucoup réfléchi avec mon amoureuse, et puisque nous constatons que le temps de la liste d’attente est calqué sur le temps de gestation des orques (18 mois), nous allons procéder à une opération de changement d’espèce : dans l’éventualité de la venue d’un second enfant, nous allons devenir des orques.

Pour dissiper toute confusion, je précise que par orque, je n’entends pas une de ces créatures du Seigneur des Anneaux (d’ailleurs, il est à noter que Tolkien lui-même confond allègrement « orques » et « gobelins »). Ici, notre réalité est plus simple : nous pensons nous faire opérer pour devenir des orques à la « Sauvez Willy« , le cétacé (on parle aussi d’épaulard). Je sais que ça peut faire peur, mais avec un bon chirurgien, ça doit être possible (nous avons encore toutes nos dents et nous sommes plutôt bons nageurs).

Par ce courrier, j’aimerais donc demander si la Ville d’Yverdon pourrait envisager une subvention pour l’intervention chirurgicale (il faut compter quelques dizaines de milliers de dollars et ça se pratique à Vancouver); je précise que la Ville aurait un bon retour sur investissement, compte tenu qu’un·e orque en captivité a une espérance de vie tournant autour de 40 ans (donc je suis bientôt cuit) (pour les femelles sauvages, c’est 90 ans). 

Mais peut-être que vous préférez résoudre le problème des garderies.

Cordialement,

Yvan Richardet

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Actualité, Improvisation et créativité, Poésie, Théâtre

Ecriture de tréteaux

Jeudi soir, je jouerai la cinquième représentation d’Odysseus Fantasy, le nouveau spectacle des ArTpenteurs. La troupe s’installe pour une semaine de représentations à la plage d’Yverdon-les-Bains. Le chapiteau rouge va se dresser entre sable et sous-bois, pour faire résonner l’Odyssée d’Ulysse au milieu des caleçons de bain vert fluo et des chipolatas grillées. Et même si les vers d’Homère auront une légère odeur de crème solaire, c’est de toute façon la poésie qui gagne à la fin.

Heureux qui comme lui a fait un beau voyage

La création prit quantité de détours: Thierry Crozat (mise en scène) a réuni 4 comédiens (Chantal Bianchi, Corinne Galland, Lorin Kopp et mescolles) pour 5 semaines et demie de création et de recherches. On avait fait deux semaines de labo en janvier (écriture & clown de théâtre) pour avoir quelques ancrages, avant de lancer l’esquif d’une écriture de plateau carrément homérique. 

Première couche: l’Odyssée d’Ulysse. Texte-fleuve, immense récit alambiqué entre les souvenirs confus du héros, les suppliques de Télémaque, les divines querelles et des références souvent enfouies au plus près de notre culture occidentale. Charybde et Scylla, le cyclope, le cheval de Troie… On a passé plusieurs semaines à enfoncer quelques portes ouvertes et dépasser des culs-de-sacs pour aérer tout ce bazar.

Deuxième couche: des clowns privés de parole. L’idée primordiale était de pouvoir créer un spectacle sans recourir au texte. Grommelots, mimiques, musiques, tout y a passé pour échapper au français. Ecueils de la langue. Hauts-fonds de la forme théâtrale. Naufrage du sens. A la quatrième semaine, on se résout à chapitrer le spectacle de quelques apartés poétiques. Sinon le spectateur-qui-veut-chercher ne comprendra rien à rien et voudra partir (quant au spectateur-qui-se-laisse-aller, c’est de toute façon gagné).

Troisième couche: la vie de Thierry. J’ai pas cherché à connaître tous les détails, mais ça tourne autour de la Mer (Méditerranée) et de la Mère (nourricière), de l’arrachement et de l’attachement, de la geste (homérique) et du geste (le théâtre par le mime). C’est dense, cow-boy. 

Pitch Lynch

Le résultat? Une fable poétique et visuelle entre Homère sous acide et un rêve de Stephen King. Désormais, quand on me demande le pitch je dis ça: « C’est l’Odyssée d’Ulysse adapté par David Lynch qui avait à sa disposition 4 clowns de théâtre et la vie de Thierry à raconter. » À partir de là, débrouillez-vous.
Perso, c’est le spectacle le plus intrigant, complexe et poétique qu’il m’ait été donné la chance de jouer, avec son lot de double (voire triple) sens, d’images surréalistes et de musiques enchanteresses. On a déjà joué 2 scolaires à la Vallée de Joux il y a 10 jours, les élèves (9e & 10e) étaient scotchés. Et puis c’est pas trop long: en septante minutes on fait le tour, et je sais que tu aimes ça, les spectacles pas trop long.

Trilogie

Jusqu’en 2020, on part pour une belle trilogie sur les traces d’Homère. L’année prochaine, on élaborera une fresque centrée sur le récit d’Ulysse; en 2020 ce sera « IF – l’Odyssée de l’arbre », autour de la Ville d’Yverdon-les-Bains, l’écologie et le pouvoir des conifères. Et comme le projet change tout le temps, je suivrai l’aventure avec une poignée de billets sur ce blog pour rendre compte de la luxuriance des idées de la troupe.

Odysseus Fantasy, un spectacle à suivre du 7 au 10 juin 2018 à Yverdon-les-Bains, puis pendant l’été à Romainmôtiers, La Tour-de-Peilz et Sion. Tournée et informations ici.

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Je ne veux pas aller sur Mars

C’était le buzz d’hier: Elon Musk a lancé mardi une Tesla décapotable en orbite autour de la Terre; ensuite, pschuittt, elle filera dans le néant pour rejoindre Mars, puis terminera son odyssée autour du Soleil.

Je devrais me réjouir, TU DEVRAIS TE RÉJOUIR BORDEL, c’est surréaliste et poétique cette affaire, une voiture dans l’espace, un autoradio qui diffuse Space Oddity de David Bowie, le mannequin Starman au volant avec le GPS en mode « Don’t Panic », le tout dérivant à l’infini… Un Ulysse high-tech cherchant son Ithaque. Quel message inspirant pour les générations futures qui succomberont sans doute au chant des sirènes: Aim for the stars – if you fail, you’ll land on the moon!

En plus, Elon Musk a des formulations inspirées: il a rebaptisé la Big Falcon Rocket la « Big Fucking Rocket » – il a du flair pour les allitérations, c’est tout en subtilité et en nuances. Tu fais un beau poète, pwêt-pwêt. Et même si tu suintes l’arrogance, Musk, je dois bien reconnaître que tu as le sens de la mise en scène; quelles belles images ça te permet de tweeter, cette aventure de rutilante bagnole en apesanteur.

Starman

Parce que tout est là, tu le dis toi-même:

« C’est un peu idiot et fun. Mais les choses idiotes et fun sont importantes »

Là on va se fâcher, parce que les choses idiotes et fun ne sont pas nécessairement importantes. Là, tu confonds le sens du fun avec le fait de bousiller des tonnes de carburant, de perdre un propulseur dans l’océan et de divertir tout le monde vers la démesure spatiale et l’hybris d’un multimilliardaire, parangon de l’overachiever, sauveur du monde avec ses usines à machins-trucs et messie du consumérisme.

Je me réjouirais davantage si on avait envoyé dans l’espace un message d’amour et d’unité, de curiosité, d’espoir… Là, l’espoir se résume à la technologie et à la conquista spatiale: un futur peu ragoûtant fait de beaufs en tenue d’Interstellar cruisant sur la voie lactée, posant pour un selfie intersidéral (« I’m on Mars #tropcool #decalagehoraire #TotalRecall ») devant les bulbes photovoltaïques d’une futuriste cité martienne, au volant d’une Tesla zéro-carbone.

Pourtant, qu’est-ce que c’est cooooool d’envoyer des mannequins et des voitures dans l’espace, poursuit l’article du journal du geek:

« Peut-être qu’il sera découvert par une future race extraterrestre », s’est enthousiasmé Musk. « Que faisaient ces gens ? Ils vénéraient cette voiture ? », s’est-il encore amusé.

MAIS BIEN SÛR, HA HA HA QU’EST-CE QUE C’EST DRÔLE ces humains qui vénèrent ces tas de ferrailles pour aller à leur travail vénéré pour gagner de l’argent vénéré et acheter des possessions vénérées. Les églises sont vides, mais si vous vous rendiez compte de tout ce qu’on vénère, chers extraterrestres! On vénère le centre commercial tous les mercredis après-midi, en famille et avec l’ice-cream en guise d’hostie pour le petit dernier.

Vénèr’, moi?

Certes, me voilà dans une colère intersidérale. Je m’indigne qu’on puisse offrir autant d’attention à un éco-tartuffe en oubliant le bilan carbone de l’opération, les fonds faramineux qu’il a fallu engouffrer dans cette folle forfanterie, un coup médiatique qui occulte son coût écologique.

Allez, quoi, joue pas les pisse-froid, tu nous emm*rdes avec ton écologie de rabat-joie.

Je pisse encore bien sur qui je veux: ma génération (et les plus jeunes) semble fascinée par les gadgets technologiques (le triple beamer pour mieux s’isoler entre amis, le tamagotchi pour adulte, l’aile pour s’amuser dans les nuages, la turbopelle à neige), pour mieux nous divertir du seul vrai combat du XXIe siècle: la crise climatique. Nous devrions être en état de guerre contre la pollution et nous préférons jouer les Icare pour nous envoler loin de nos responsabilités.

So booooring! C’est devenu ringard de garder les pieds sur Terre. Hop, hip hip & hourra, suivons la hype pour aller plus haut, plus loin, dans une orgie de la démesure qui ne rassasiera personne. Consommons, consumons tout ce qui nous a été donné! Après nous, le déluge!

(Il y avait une très belle exposition sur la démesure au musée romain de Vidy, mais c’est fini le week-end passé, je ne peux même plus vous encourager à y aller) (une balade en forêt c’est bien aussi)

Tu pues, Musk. Tu offres de la poésie à consommer par carte de crédit, des rêves en carlingue et des idéaux de plastique. Jamais je n’achèterai ton ticket pour Mars; je continuerai à m’exciter davantage pour les plaisir terrestres:

une partie de galipette le dimanche matin dans la douceur des draps propre

une soirée-jeu avec des gens que j’aime

un coucher de soleil sur les crêtes du Jura, sans décapotable en orbite pour obscurcir mon horizon.

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Poésie, Vidéos

Beau à en pleurer

Le Cercle des poètes disparus. Quand Robin Williams était encore vivant et que je n’avais pas encore de barbe au menton. Il était le héros de mon adolescence, de Hook à Good Morning Vietnam, l’enfant dans un corps d’adulte, le monstre d’improvisation et de fantaisie qui sautait dans tous les sens. 

Il y a cette scène où il fait monter les étudiants sur son pupitre. Engoncés dans le conformisme des années 50, les élèves ont de la peine à se lâcher. Alors le professeur Keating (Williams) les force à déclamer de la poésie en les poussant de son bureau professoral. Remuez vos tripes, Ô capitaine mon capitaine, le jeune Ethan Hawke au visage d’ange qui découvre ses émotions.

Mais oui, vous savez, cette scène. 

Je chiale à chaque fois.

Maintenant, je connais, les larmes ne me prennent plus par surprise. Je repère les séquences qui précédent, je sens les frissons me parcourir les bras. La chair de poule. Mais quand la fameuse scène est là, je chiale comme l’ado des années 90 que j’étais.

Mais ça ne s’arrête pas là. Il y a aussi Vol au-dessus d’un nid de coucou, Milos Forman au sommet de son art, Jack Nicholson en rebelle foldingue. La séquence où Miss Fletcher interdit aux pensionnaires de regarder le match de baseball. Et McMurphy (Nicholson) s’assied quand même devant le poste éteint, et il commence à commenter un match qui n’existe pas. Alors les autres aliénés s’approchent du poste, et voient que le poste est éteint, mais ils voient aussi que McMurphy commente le match du poste éteint, et ils voient que McMurphy y croit, alors ils y croient aussi. Et moi aussi j’y crois aussi et je pleure comme une Madeleine dans mes coussins brodés. Mon chat n’y comprend rien. 

Et là encore, j’ai beau savoir que la scène arrive, j’ai beau me dire que c’est du cinéma, je suis ému.
Au fil des années, j’ai repéré quelques scènes comme ça qui me faisaient chialer à chaque fois, les fameuses sure-to-weep-like-a-baby-scenes. Je suis sûr que vous avez les vôtres. Donc moi, c’est: 

  • dans l’Eveil, la première fois que le Dr Sayer (Robin Williams) parvient à « réveiller » le patient Lowe (De Niro), malgré les réticences de son supérieur hiérarchique. Passe la balle, hop, hop, je pleure;
  • dans Gandhi, à la fin de la marche du sel, lorsque des activistes non-violents souhaitent entrer dans une raffinerie de sel. Ils sont roués par les forces anglaises, sans jamais répondre par un geste violent. Pif, paf, voilà pour ta gueule, je chiale;
  • dans le Seigneur des Anneaux, lorsque Gandalf aide Pippin à allumer les feux d’alarme du Gondor malgré les ordres de Denethor. Woush woush, cadrage panoramique sur les crêtes des montagnes, mes yeux s’embuent à cent à l’heure;
  • dans Good Morning Vietnam, lorsque Kronauer (Robin Williams) désobéit à Dickerson en produisant quand même son émission de radio subversive. Je jubile et verse une larme antimilitariste;
  • dans les Evadés, lorsque Andy Dufresne (Tim Robbins) parvient à s’évader par les égouts et lève les bras au ciel sous le déluge. Ça me coule des deux yeux, autour du nez, que d’eau, que d’eau.

Vous voyez le pattern? (outre le fait que Robin Williams m’émeuve particulièrement)

Hein, le pattern?
La désobéissance. La résistance à l’autorité. Le pouvoir de l’imagination et l’espoir inaltérable.

J’avais entendu qu’en tant qu’individu, on était plus sensibles émotionnellement à certaines thématiques qu’à d’autres. Ça va de pair avec la théorie des cinq blessures fondamentales qui peuvent nous caractériser: je ne tique pas face à l’injustice comme d’autres tiquent sur l’ingratitude, par exemple.

Là, à travers ces scènes de film qui me retournent les glandes lacrymales, je crois que je touche à une part essentielle de mon être: en irrémédiable optimiste, je sais qu’il y a toujours un chemin possible, même à travers les coups sur la tronche et les revers de fortune. La thérapie par les scènes qui font chialer. La catharsis par le cinéma.

Allez-y. 

Faites l’inventaire pour vos scènes à vous, et trouvez votre pattern.

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Écriture, Poésie

Coupe d’enfer

C’est un petit salon de coiffure, dans une rue commerciale d’Yverdon-les-Bains. Du carrelage consensuel, des arômes de cosmétiques et un bichon maltais dans un pouf prévu exprès, dans un coin rien que pour lui. L’idée venait de ma chère et tendre: un bon de 55 francs pour un soin « Pour vous, messieurs » (avec les guillemets). Coupe et soin de la barbe. Tu verras, ça te fera une expérience sociologique, il y a des dauphins contre les murs et des photos de baleines, je pense que tu vas adorer.

Je suis toujours preneur de ce genre de facéties, je pense sincèrement qu’un artiste doit mener une vie curieuse. Deux jours avant, j’ai pris rendez-vous pour 8h00, un peu la tête dans le ‘uc, des cernes à quatre étages, de quoi ne pas me reconnaître dans la coiffeuse, même après un soin de septante minutes.

– Et alors, je vous les coupe comment?

Même chez mon coiffeur attitré, je suis toujours emprunté pour répondre: saperlotte, si je viens confier ma tête à une professionnelle, autant qu’elle prenne la meilleure décision à ma place, non? C’est vrai, quoi, je vais pas chez mon garagiste pour qu’il me dise « Et alors, qu’est-ce qu’on va lui faire comme réparation, à cette petite Polo, cette fois-ci? »; moi, si je viens dans un salon de coiffure, c’est pour avoir un avis d’expert. Réparez mon look, s’il vous plaît! Ravalez-moi la façade! J’articule un « court, mais pas trop » qui lui donne latitude. Je n’ai pas été déçu. 

– Et alors, en vacances?

C’est loin d’être la meilleure entrée en matière pour entamer la conversation, mais je lui réponds qu’en tant que comédien, je peux prendre mes « vacances » quand je veux (Ah, mais vous les saltimbanques, vous êtes tout le temps en vacances, non? aurait-elle pu répondre). Je lui apprends que je travaille avec les Meurtres & Mystères, oui, vous savez, ce genre de Cluedo géant. On joue les scènes d’une intrigue policière entre les plats, blabla, et puis tout à coup il y a un crime, blabla, et là on distribue des coupons-réponses pour que les gens enquêtent. C’est du théâtre ludique, si vous voulez. Blabla.

– Ah oui, je connais. J’en avais déjà fait un. Mais je me demandais: pourquoi toujours des assassinats? Ça pourrait tourner autour d’autres intrigues, non? Des histoires de familles, par exemple un frère qui battrait sa sœur, ou alors des enfants abusés, vous voyez, ce genre de trucs.

Je lui explique que c’est déjà des éléments auxquels on a recouru dans d’autres scénarios: en fait, les histoires de famille font presque toujours partie de l’intrigue, puisqu’elles permettent de grossir l’enjeu des protagonistes. On essaie de varier les univers, pour permettre aux spectateurs de s’immerger différemment d’un spectacle à l’autre. Je lui relate les derniers exemples de scénario: un abordage pirate, une troupe de théâtre qui joue du Feydeau, un collège américain dans les années 50, mais aussi nos fantasmes d’atmosphères pour les prochains scénarios: traiter l’univers des vampires ou des zombies, ce genre de…

– Oui, mais c’est un peu noir, vous ne trouvez pas? Vous savez qu’à force d’en appeler à Satan, il finit par venir?

Là, je m’interloque. Elle a tout de même ses ciseaux à seulement quelques centimètres de ma gorge, et son oeil gauche un peu trop écarquillé me rappelle Jack Nicholson dans Shining.

– Oui, parce que vous savez, le diable existe, hein! Les gens pensent que c’est des histoires, mais moi j’ai vécu des choses, si vous saviez. Une fois, j’étais seule chez moi, j’ai été projetée contre mon lit par une force, une forme, une entité noire, et je ne dois mon salut qu’au fait que j’ai prononcé le doux nom de Jésus. Sans ça, Dieu sait!

Sur ma chaise, je relève le sourcil. Bouddha dubitatif avec une serviette autour du cou, je reste interdit. Son ciseau crisse toujours à mes oreilles, donc j’évite de faire le malin.

– Et ça va bien plus loin que ça, vous savez! Les gens qui ont le secret, hein? Le secret pour les brûlures, le secret pour les verrues, le secret pour plein de choses… C’est le Diable qu’ils invoquent, vous savez! Ils font des prières païennes, des sortilèges d’autre fois. Et il paraît que les médecins commencent à les appeler. C’est le diable qui entre dans nos hôpitaux!

Dans le coin du salon, le bichon maltais commence aussi à s’exciter. Je vois ses babines se retrousser. Bon sang, il va m’attaquer. Elle continue son monologue sur l’existence du diable. Elle ponctue sa diatribe par des coups de ciseaux dans le vague. Je vais y perdre un oeil, c’est sûr. Dans son excitation, je vois le fond de teint se craqueler sur son front. Elle a des rides aux coins des yeux, de quoi cacher quelques rouleaux de la Mer Morte. La nouvelle prophétesse. Galadriel chez les Mormons. Elle vient de s’interrompre. Elle me sourit.

– Je vous dis ça, c’est parce que les gens doivent comprendre que Dieu existe vraiment, vous savez. Quand on en a fait l’expérience directe, c’est plus facile, je sais. Alors je témoigne. Vous savez, moi j’ai eu une existence difficile, hein. Abusée quand j’étais enfant, et battue par mon frère. C’est difficile, vous savez. C’est comme si tout s’acharnait contre moi. Et puis Jésus m’est apparu, et j’ai repris confiance. Et tout va mieux.

Touchant. Too much. Tourneboulant. Un abîme d’humanité en trois coups de ciseaux. Je suis donc tombé sur la seule coiffeuse prosélyte d’Yverdon-les-Bains. Confession-express avec shampooing revitalisant. À chaque instant, je m’attends à ce que son bichon me tende une patte amicale pour m’inviter à soigner une pétition en faveur de l’existence de Dieu. Elle me tend un miroir. Bon sang, quelle coupe horrible. J’ai la même tête que MacGyver. Back to the nineties.

– Ça vous va?

J’ai dit oui (par lâcheté). J’ai acquiescé (effrontément). J’ai payé (avec le bon-cadeau).

Quand j’avais dix-sept ans, au sortir du Gymnase, je me réjouissais d’une année sabbatique où j’allais « découvrir le monde » et « vivre des aventures ». Désormais, je sais que l’aventure est au coin de la rue. Pas besoin d’aller se perdre dans les rues de Londres pour tomber sur un phénomène de foire ou un second rôle des Rougon-Macquart: il y a des perles de personnages à deux pas de chez vous, qui vous parleront du Diable et du Bon Dieu.

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Poésie

Bouche bée

Poème SMS n°6 (les poèmes SMS font exactement 160 signes, espaces compris)

Bouche B:

elle m’a U

en m’offrant
un petit T

elle m’a dit
bouche B

porte-moi
dans les R

j’ai ôté son
p’tit O

je l’ai prise
sous les L
parce que j’M
son p’tit Q

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Poésie

Sorry Chéri

Poème SMS n°4 (les poèmes SMS font exactement 160 signes, espaces compris)

Il a vu
Mon alliance
Il a dit
Pas de chance
Moi j’étais
Sous le charme
Il a dit
Pas d’alarme
Il m’a fait
Plein de trucs
Interdits
Dans le lit
I’m so sorry
Chéri

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