Intérieur.
Salon chic et sobre.
Une table basse et un sofa très confortable.
Un homme s’adresse à nous.
Ça vaut pour le Match, mais aussi pour tous les concepts qui utilisent le « à la manière de ». Qu’on bosse Molière, Tarantino ou Salvador Dali, il va s’agir de faire de l’improvisation de genre. Ça va ressembler à rien de connu, c’est inédit, c’est de l’impro. Fume, c’est de la bonne.
À la manière de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière.
À la manière de Charles-Ferdinand Ramuz dit Ramuz.
À la manière de Patrick Sébastien imitant Thierry Luron imitant Coluche imitant Georges Pompidou.
À la manière de n’importe quelle manière.
Premier réflexe du coach qui doit préparer son équipe pour le spectacle du samedi soir: piocher dans les clichés. On singe du Marcel Pagnol à l’emporte-pièce, enfilant sur le même fil de pensée un accent du Sud, un groupe de cigales et une partie de pétanque. Fume, mec: c’est de la parodie.
Le problème, c’est qu’on va retrouver toutes les semaines les mêmes lieux communs: Shakespeare se résumera à un bain de sang plein d’emphase surarticulée, Tchekhov à un lent ballet de comédiens catatoniques et Ionesco à un salmigondis d’idées disparates. À défaut d’avoir bossé à fond la catégories, on sert au public du fast-food pré-maché, sorte de transposition hasardeuse du polycop’ de terminale sur l’auteur en question, mâtiné d’une ou deux références wikipédia. C’est Mozart qu’on assassine.
(j’ai vu ça sur Facebook, aujourd’hui):
On court vers les clichés stylistiques, des slogans raccourcis pour éviter d’entrer dans le détail: « Kafka, c’est l’oppression d’un système incompréhensible sur un protagoniste démuni » ou « La science-fiction, c’est l’exploration pragmatique d’une technologie futuriste ». Il y a d’autres formateurs pour insister sur les enjeux thématiques: « Beckett, c’est l’absurde de l’humain face à la souffrance et à la mort. » À quand un pavé jaune et noir L’impro pour les Nuls?
Pour moi (je l’évoquais déjà là), la catégorie en impro passe par un travail d’adaptation, notamment en fonction de quatre contraintes:
- la contrainte temporelle
Quand tu dois jouer du Brecht sur 4 minutes, il faut forcément que tu prennes des raccourcis. Tu ne peux pas TOUT jouer, donc tu dois réduire, épurer, condenser, pour que le public s’y retrouve, et que tu te garantisses tout de même une marge de manoeuvre d’improvisation; tu veux pas non plus jouer en accéléré, donc il faut choisir. Et choisir, c’est renoncer. - la contrainte théâtrale
Hitchcock au théâtre, ça ne peut pas être la même chose que Hitchcock à l’écran: il y a d’autres codes à mettre en place. Les oeuvres cinématographiques adaptées au théâtre sont toujours ré-écrites par un dramaturge compétent, parce que le langage est différent. Si je veux mettre en scène la séquence de la douche de Psychose, je dois adapter l’éclairage, jouer sur des angles morts, jouer sur une musique et son volume, dissimuler le climax par un artifice technique (rideau ou black-out) pour atteindre les mêmes effets. - ça reste de l’impro, mec
Il faudra bien traiter le thème ou la suggestion, écouter l’énergie de la scène, improviser avec le partenaire, pour que ça reste du théâtre spontané. J’entends des anecdotes chaque mois de catégories tellement bien préparées qu’elles « figent » l’impro dans un protocole de lieux communs; la spontanéité ne peut plus que follement se débattre comme une mouche prise au coeur d’un flan à la framboise. FRAMBOISE. J’AI DIT FRAMBOISE. - la contrainte culturelle
À moins que vous ne soyez la troupe d’improvisation des chargés de cours de Paris-Sorbonne, votre public ne va peut-être pas saisir les subtiles références historiques que vous essayez de faire passer dans votre impro proustienne. Attention, hein, je suis pas en train de dire qu’il faut prendre le public pour un imbécile. Bien au contraire: il faut viser un effet stylistique qui vient sublimer l’impro, pas un exercice de style juste pour dire ah-ce-qu’on-est-fort-d’avoir-relevé-ce-défi-en-plaçant-cette-référence-si-subtile.
Pistes à explorer (je suis pas avare de conseil oh non, alors ça pour les conseils il y a toujours quelqu’un, ha c’est malin)
Il s’agit de travailler l’improvisation de codes plutôt que les codes en eux-mêmes (si tu offres un poisson à un homme, il mangera un jour, etc). Pour moi, c’est davantage intéressant de savoir créer des codes de jeu au fur et à mesure du spectacle (des patterns, des games) plutôt que de les travailler indépendamment du jeu. Hey, je donne ce stage cet été, qui traite justement de ça!
Traiter chaque impro dans son unicité, sans forcer la catégorie. Se focaliser en premier sur le thème (ou l’énergie de la scène) et le mettre en relation avec l’esthétique de la catégorie.
(cet article n’a pas de vraie fin, il est écrit « à la manière du théâtre contemporain »)