Ce billet a été rédigé en direct de la conférence et publié juste après. Du coup il y a un côté brut de décoffrage assumé. C’est l’énergie de la spontanéité, il y a des bavures et des ratures, on voit un peu les fils qui dépassent – comme dans une bonne impro.
Bonsoir les gens,
Ça fait un moment que mon blog prend la poussière et que la Terre prend feu. Un peu comme tout le monde, je suis emprunté. Le COVID a cassé les reins des militants climatiques, coupé les ailes des colibris, empêtré les justiciables dans des chaînes de procès sans fin. Je causais avec Julia Steinberger l’autre jour qui me disait Tu sais, c’est pas plus mal, les gens en ont profité pour relire leur Gramsci. On a pris conscience que le système judiciaire a réagi avec répression, et du coup chacune ré-évalue l’utilité de s’enchaîner à une route. Elle me dit plus loin qu’elle rêve de s’investir pour Renovate_Switzerland, alors que je lui confie mes idées de polluer le Forum des 100 ans au purin d’orties (écolo, discret dans une bouteille de thé vert et puant à souhait).
20h11 : Ça commence. La présentatrice (YverdonEnTransition) nous propose une vision d’avenir, parce que ces temps-ci on a bien besoin de fermer les yeux et d’imaginer autre chose. Ce sera le thème de la soirée, c’est ce que Rob Hopkins prône dans son super bouquin “Et si…” : la force de l’imaginaire, la puissance de notre pulsion d’amélioration.
J’ai entendu parler Rob Hopkins pour la première fois (en 2010 ?) via cette vidéo TED, un plaidoyer pour un monde sans pétrole, un peu en même temps que je découvrais Jean-Marc Jancovici (vulgariser pour mieux comprendre) et Georgescu-Roegen (décroître parce que c’est physiquement indispensable). J’avais été fasciné par son humour et sa liberté de dépasser les limites du capitalisme, que ce soit en déconstruisant un litre de pétrole ou en émettant un billet de 21 livres (la monnaie locale de Totnes).
20h19 : Carmen Tanner fait un discours d’accueil plein d’humour (et d’autodérision) : c’est un peu grâce à la commune d’Yverdon-les-Bains si on est là ce soir, une bourse pour les initiatives de transition et l’accueil de Beyoncé Hopkins, star du soir.
20h23 : Présentation de Réseau Transition et d’une équipe qui fait super-plaisir : Noémie Cheval et Martin Gunn, qui nous chargent d’énergie et mettent en valeur des initiatives qui fleurissent. Yep, on n’a pas peur des métaphores sur la nature et des poignées de main express avec les voisins-voisines de conférences. On va embarquer pour un voyage dans la transition, on se charge de bonnes énergies, prêts à polliniser nos rêves d’un monde meilleur.
[Avec cet article, je compense un peu mon bilan bullshit : ce matin, j’animais le Forum de l’Economie Vaudoise, le grand raout des boomers PLR de l’entrepreunariat romand, où on se glorifiait “d’upgrader l’humain” en remplaçant les caissières par des robots de supermarchés. J’ai dû avaler des couleuvres ce matin. Ce soir, je peux poétiser les colibris.]
20h32 : Dje ne parleuh pas très bien leuh français. C’est parti, Sir Hopkins est sur scène, accompagné par son traducteur (drôle et complice, il ajoute une fabuleuse fraîcheur dans cette Marive étouffante). On commence avec un jeu de créativité : à combien d’usages pourrait-on destiner ma chaussure ? Mise en commun après coup, ça nous remplit d’ondes positives et ça allume notre imagination. C’est un peu mon boulot, ça, l’imagination, donc ça me parle beaucoup.
20h42 : On continue avec les mauvaises nouvelles : l’été caniculaire et le traitement du dérèglement climatique par les médias. Des images de plages, d’eau rafraîchissante, une espèce de déni de réalité journalistique confondant.
Puis un graphique des trajectoires de décroissance (d’émissions, ha ha ha) pour illustrer le chemin à suivre : réduire les émissions et l’extractivisme. Et Hopkins nous le dit : nous avons besoin d’imagination et d’art pour nous projeter dans un futur souhaitable. C’est cela dont nous parlerons pendant l’heure qui suit.
“Any useful statement about the future should at first seem ridiculous.” Jim Dator
Ce qui manque, c’est d’oser être ridicule, de sortir du cadre capitaliste* et de rêver un monde meilleur et fait de solutions. (*c’est moi qui souligne – et qui rajoute)
Deuxième exercice : on se projette en 2030 (c’est bientôt – et heureusement – un lieu commun des conférences écolos : savoir se projeter dans un avenir souhaitable – un peu comme si les techniques de visualisation créative que vous trouvez dans les bouquins de développement personnel et que les leaders productivistes utilisent quotidiennement étaient appliquées à déconstruire ce monde de fou. Retourner les armes du capitalisme, ça me plaît). Et on partage en plénum : des jardins sur les parkings, des sources d’histoire, des fontaines de larmes, des nuages, des chants et des rires. Des bonnes vibrations (again) même si un petit groupe confie que on a fait un voyage un peu sombre dans le futur, navré de partager cette vision avec vous.
Hopkins parle de “déclin de l’imagination” : nous vivons dans un paradigme enchaînés à l’idée de fatalité, au pire moment de l’Histoire. Nous avons besoin d’espace pour l’imagination. De recréer des espaces de parole pour rêver et imaginer ensemble.
L’espace, c’est d’ailleurs le premier élément des quatre pétales de la “rosace de l’imagination” : l’anecdote de Edward Makuka Nkoloso et du programme spatial zambien : leurs spationautes n’ont pas décroché la lune, mais ils ont ouvert la porte à la possibilité.
Ensuite, les lieux : voir les possibilités d’un autre point de vue, comme ce blocage XR sur un pont de Londres, où une forêt éphémère avait été recréée. Ma femme était sur ce pont deux semaines, elle est très impliquée dans XR, elle a déjà été arrêté sept fois – elle est beaucoup plus courageuse que moi. Raconter des histoires sur des nouveaux lieux, réhabiliter des bâtiments tombés en désuétude (le traducteur en rajoute sur Marseille, c’est hilarant), comme ce MacDo transformé en centre de distribution de repas gratuits dans les quartiers nord. Ou ce restaurant qui cuisine avec des fours solaires, ou cet espace urbain réaffecté en jardin. Du fuel pour des initiatives. C’est 21h22, je suis plein d’énergie.
Troisième élément de la rosace de l’imagination : les pratiques. Un atelier d’art-thérapie qui reconstruit l’hippocampe, Sun Ra (un jazzman qui prétendait être un ange venu de Saturne), des “utopies du quotidien”. I’ve been to the future. We won.
La crise de l’énergie en Angleterre : entre autres problèmes, c’est la merde avec l’énergie au Royaume-Uni. Quelques initiatives qui font plaisir : plutôt que d’attendre que la Banque de Londre fasse tourner la planche à billets, le quartier de Hoe Street imprime sa propre monnaie locale pour financer sa centrale électrique communautaire. Quelques villes plus loin, on fait des ateliers où en plus d’imaginer le futur, on le construit en carton, comme pour rendre encore plus concrètes nos visions éphèmères : “il faut que l’avenir pénètre en vous bien avant qu’il ne se produise.”
Dernier élément de la rosace de l’imagination : les pactes. Le Bureau Civique de l’imagination de Bologne finance des “idées” de citoyens. Liège a lancé une Ceinture alimentaire : des petites initiatives de marchés communs. Il est important de nourrir nos visions avec des réalisations concrètes, aussi petites soient-elles. Nos enfants doivent se rendre compte que ces révolutions sont de l’ordre du banal. Et de citer Neil Armstrong sur la Lune, à peine six ans après la promesse de JFK, mais surtout… plus de quelques siècles après que l’humain avait rêvé cette prouesse.
Nous avons besoin d’une vision, et nous avons besoin d’y croire tellement fort que ce ne soit même plus une prouesse.
Applaudissements, et puis du temps pour les questions : comment est-ce qu’on passe à une échelle différente ? Là, Hopkins élargit le débat : les initiatives locales ne seront pas suffisantes, mais c’est un début. Il faut faire plier les grandes entreprises, et ce sera le cas quand elles n’auront plus d’autres solutions que suivre les masses déjà en mouvement.
La question des comités qui se tuent à la charge : comment éviter le phénomènes de “c’est toujours les mêmes qui s’impliquent” et comment transitionner vers du militantisme salarié. De la transparence, encore de la transparence. Si les membres voient comment les jobs sont créés, tout se passe mieux. Décidément, Hopkins file la métaphore de oculaire jusqu’au bout.
Un visionnaire qui nous en met plein les yeux.
Plus d’infos sur Rob Hopkins :
Le podcast From What If To What Next