Actualité, écologie, Choses politiques

Douche écossaise

Au risque de vous faire perdre 15 secondes, vous allez devoir regarder cette vidéo:

Tout un symbole pour le Brexit, quand on sait que ce pauvre Alistair est un chat anglais. Rassurez-vous, il va bien. Le pogona aussi. Oui, moi aussi j’ai dû vérifier qu’un pogona était un lézard, on en apprend tous les jours.

La vidéo nous prive du fin mot de l’histoire, comme le Brexit nous fait glisser dans l’inconnu. Comment? Quoi? Les Britanniques ont voté? C’est… définitif? Pas de retour en arrière? Et l’Europe lui fait la gueule; on dirait un vieux couple qui lave son linge sale en public. Les séances du Parlement Européen tournent au concours de vannes. Entre l’émotion du député écossais et les piques de Jean-Claude Juncker, les débats tournent au vinaigre. Et le vinaigre, tout le monde le préfère avec un bon fish & chips.

Même si ça va pas changer le goût de la Guinness ces prochains moins, ça me fait intimement mal au coeur. J’avais tendance à croire à l’Europe des 28 comme un juste poids lourd face à ce qu’on appelait jadis les superpuissances. Comme sur le plateau de Risk, jouer l’Europe pouvait contrer les Etats-Unis et rapportait cinq renforts par tour. Quel gâchis, ce projet européen qui tombe à l’eau (oui, parce qu’au risque de jeter bébé avec l’eau du bain, on peut quand même dire que l’Europe sans l’Angleterre, c’est un peu comme un canard à l’orange sans canard) (ou sans oranges) (à ce stade, autant faire un poulet au citron, qui n’est pas mal non plus).

Et même si j’ai appris que Goldman Sachs avait financé la campagne du Remain (suspect, ça) et que les règles de la bureaucratie européenne faisaient le miel de Monsanto, j’ai de la peine à souscrire à une décision saluée par l’extrême-droite. Quand Marine Le Pen applaudit, ça ne peut pas vraiment me réjouir. Les gags de Coluche perdent un peu de leur superbe quand c’est les nazis qui se tapent les cuisses.

Pourtant, on peut voir aussi les bons côtés des décisions de l’UE, comme cette récente interdiction de la pêche en eaux profondes. Bon, apparemment, la loi reste timide et ne concerne qu’une minorité de pêcheurs, mais ça fait du bien de voir que l’Europe peut aller dans la bonne direction.

Le Brexit m’a donc réellement surpris, et je suis pas le seul: visiblement, la décision du 23 juin a même pris les Britanniques au dépourvu: plus de 4 millions demandent un nouveau vote. La gueule de bois du lendemain de référendum, ils disent. Vous me direz que c’est pas étonnant de prendre la démocratie à la légère, avec une génération du ⌘+Z où tout n’est que provisoire et pétition internet.

Mais cherchons le positif, et voilà au moins deux choses que le Brexit nous apprend:

  1. C’est dur de prévoir les catastrophes
    Tout le monde a été pris de court, des bookmakers aux commentateurs, des financiers aux instituts de sondage. Oui, on peut le rappeler: les sondages, c’est de la merde.
    « Il est 6 heures le soir, une mère de famille est en train de faire une sauce béchamel quand Ipsos lui téléphone: « Qu’est-ce que vous pensez de la nouvelle politique sur l’immigration? – Bon… bon… Je suis contre! » On va téléphoner comme ça à mille personnes et ce résultat va influencer les prises de décisions politiques en France ou ailleurs. C’est absolument incroyable! Un grand chercheur américain, James Fishkin, a dit, en substance: dans un sondage, on demande aux gens ce qu’ils pensent quand il ne pensent pas. » (David Van Reybrouck cité dans Demain – Un nouveau monde en marche, Cyril Dion, p. 264).
    Mais c’est surtout dur de se représenter une catastrophe: avant qu’elle arrive, elle semble impossible, et quand elle est là, elle paraît inévitable. Bonjour, bienvenue dans le monde des Cassandre que personne n’écoute: « C’est la source de notre problème: car s’il faut prévenir la catastrophe, on a besoin de croire en sa possibilité avant qu’elle ne se produise. » (Pour un catastrophisme éclairé, Jean-Pierre Dupuy, 2002, p. 13)
  2. Un pays peut changer
    Et c’est plutôt une bonne nouvelle. La démocratie fonctionne encore. Alors pourquoi ne pas changer écologiquement? En prenant en compte les problèmes à la racine? Dans la campagne du Brexit, Farage exploitait le problème puant de la crise migratoire, sans mentionner qu’elle est probablement due au (ou en tout cas accentuée par le) réchauffement climatique. Quand les gens sauront que la guerre en Syrie est liée au réchauffement de la planète, que les réfugiés climatiques sont trois fois plus nombreux que les réfugiés de guerre, peut-être qu’ils éteindront la lumière à la cave, qu’ils remettront en cause leur escapade à Nice avec EasyJet et revendront leur 2e Peugeot 307. Et on pique-niquera dans la rue.
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Où l’on apprend les positions de Tibert en matière de télévision

Mon chat Tibert est constamment installé sur le canapé, juste devant la télévision.

– Tu veux que je t’allume le poste, Tibert?

– Oh non, maître! (il bâille et s’étire)

– Tu es sûr? Tu ne t’ennuies pas?

– Bien sûr que je m’ennuie – aucune chatte à câliner et pas de nouvelles croquettes. Mais je préférerais courir à poil sous la pluie du mois de novembre plutôt que de regarder une de vos émissions de télévision. (Il se lèche la patte, puis la passe derrière l’oreille. Il bâille à nouveau). J’en ai déjà fait l’expérience: la télévision est l’une de vos réalisations les plus ineptes.

– Je veux bien que tu m’expliques ça.

– Sans aucun problème (il se relève, se gratte l’oreille avec sa patte de derrière, puis se recouche dans une autre position). Alors votre télévision, c’est à peu près ça : des émissions d’actualité avec des catastrophes à tous les coins de rues, des débâcles, des scandales, des erreurs, des horreurs, des explosions, des implosions, des convulsions, des dangers à tous point de vue. Au milieu de tout ce charabia, un reportage tout chou tout sucré sur la chorale de Bottoflens qui monte un spectacle de variété, avec des sourires et des enfants et des sourires d’enfants.

Après cela, une petite page de publicité pour vous faire bien comprendre que vous êtes incomplets sans le dernier Gilette, la dernière Nivéa, la néo-tourniquette et le déo dessous-de-bras.

Ensuite, un magazine politique où deux invités de gauche et de droite s’interrompent de gauche et de droite en répétant répétant répétant répétant les mêmes arguments de gauche et de droite pour attaquer les échecs de gauche et de droite. (Tibert se lève et se lèche le bas du cou)

Tout de suite après, une nouvelle page de publicité pour bien vous faire re-comprendre que vous êtes incomplets sans la dernière Punto, les lunettes de Johnny, les céréales au choco et la moutarde Thomy.

Aussitôt, une sirupeuse sitcom qui glorifie l’empire des émotions et la réussite matérialiste : on se demande comment la ménagère-type qui repasse son jogging taille 45 peut encore oser s’identifier à ces larmoyants éphèbes californiens intriguant dans des salons floutés.

À la fin du sitcom – devinez quoi ? – une page de publicité pour vous faire sentir – dans votre chair et dans votre sang – que vous êtes définitivement incomplets sans les assurances Axia, le Hummer Toyota, la lessive Omo Ultra Plus et le Dildo Deep Anus.

Ensuite, un dessin animé pour les gosses qui rentrent de l’école, qui viendront s’ébaubir devant les vulgaires combats de héros manganoïdes venus sauver l’univers à grands coups de genoux dans la gueule. Allez leur dire de faire une rédac’ sur Martin Luther King après ça… (Tibert se relève, et se secoue la tête vigoureusement)

Juste après, une émission de télé-réalité (quelle réalité?) sous forme de concours stupide, où le meilleur chanteur / danseur / beau parleur gagne cent cinquante mille euros ; comme ça, vos mômes intègrent bien les principes de l’esprit de compétition et d’humiliation perverse, et surtout apprennent que l’ARGENT C’EST IMPORTANT.

Enfin, pour satisfaire petits et grand dans la bonne humeur générale, un jeu télévisé trivial, dans lequel un animateur aux dents très blanches pose des questions de culture GÉNÉRALE, puisque c’est ça la mission de la télévision : de la CULTURE GÉNÉRALE, nivelée par le bas, édulcorée et hachée tout fin pour que des bambins aux gencives fragiles puissent ingérer tout ce que l’écran vomit, une bouillie infâme et culpabilisante qui vous maintient dans un état de manque. (il tousse deux fois, puis se réinstalle plus confortablement)

Alors regarder la télévision, moi, non merci.

Tu n’aurais pas plutôt un bon bouquin?

Love

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Où Tibert nous explique qu’il parle parfaitement bien le français

Génie en herbe

Je ne vous l’ai sûrement jamais dit, mais mon chat a un secret.
C’est un chat qui parle.
Comme vous et moi.
Il peut parfaitement bien s’exprimer, d’un français limpide et savoureux. C’est peut-être même mieux qu’il vous l’explique lui-même.
Tibert, tu veux bien nous dire deux ou trois choses?

– Miaou.

– Tibert! En français, s’il te plaît!

– Qu’est-ce que tu veux que je te dise, moi? (il bâââille)

– Je ne sais pas, moi… C’est pour mes lecteurs, tu comprends. C’est sans doute la première fois qu’ils apprennent qu’un chat peut parler.

– Ah. Mouais. Mrrraou (il s’étire)

– Allez, fait un effort, quoi! Explique-leur pourquoi tu parles rarement, par exemple!

– Pourquoi je parles rarement? C’est très simple, ça, maître: parce que votre conversation d’humain est très ennuyeuse. En fait, c’est même pour ça que les chats dorment autant pendant la journée: leurs maîtres ne savent pas les passionner. On prendrait bien un moment à discuter avec vous, à vous apprendre des trucs sur la vie, mais vous êtes tellement ennuyeux qu’on abandonne assez vite.

– Tibert! Tu es plutôt sévère avec nous…

– Mais c’est la vérité, maître! Tout d’abord, les humains parlent beaucoup trop et n’écoutent pas assez. Pourquoi croyez-vous que la Nature ait fait les êtres vivants avec deux oreilles et une seule bouche? Pour le seul confort de la stéréophonie? Voilà bien le symbole de vos courtes vues! Si l’évolution nous a doté ainsi, c’est parce qu’il faut passer deux fois plus de temps à écouter qu’à parler. (il se lèche la patte)
Vous, les humains, vous vous exprimez sur tous les sujets sans rien savoir, vous faites des suppositions sur des phénomènes qui vous échappent totalement, et vous échafaudez des théories ineptes sur tous les sujets qui vous passent sous les griffes – pardon, je veux dire, pas les griffes, mais sous les mains. Voilà le problème, maître.

– Je suis très étonné, parce que tu prends des airs supérieurs, mais tu continues à m’appeler « maître »…

– Ah, attention! Il ne faut pas tout confondre! Si je t’appelle comme ça, c’est d’abord parce que j’ai beaucoup d’estime pour toi; mais je sais également que tu es sensible à la flatterie… Et puis c’est donnant-donnant: tu me tiens au chaud et tu me donnes des croquettes au goût de bœuf-champignons, et en échange, je t’appelle « maître ». Crois-moi, en matière de transfert de biens et services, je gagne à tout point de vue. Les chats domestiques réussissent la prouesse d’être les plus cyniques des parasites, tout en étant très estimés par leur maître (il ronronne).

– Tu dis ça pour te rendre méchant. Je sais que tu es très gentil, au fond.

– Vous et votre manie de tout séparer en catégories… bien ou mal, gentil ou méchant, chaud ou froid! C’est bien un truc d’humain: vous collez des étiquettes sur les êtres qui vous entourent – soit-disant pour vous y retrouver dans la réalité; et puis la minute d’après, vous figez les choses dans leur contexte, pour être plus tranquilles. Les choses changent, humains! Vous avez même un  joli mot pour décrire ça: « l’impermanence » (il se lèche fébrilement). Il y avait deux ou trois humains qui étaient assez malins pour vous faire voir ça – Héraclite et Lao-Tseu, je crois – je suppose qu’ils étaient inspirés par des chats. C’est connu, ça: la plupart des génies ont un chat qui leur souffle des idées.

– J’ai tout de même de la peine à vous croire si sages que ça, vous les chats.

– Maître! Ne m’as-tu pas encore observé assez longtemps? Dormir, manger, câliner des chattes et chasser des souris; n’est-ce pas la plus sage des existences?

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Écriture

Relecture

À l’instar de la Mère Michel, je cherche toujours mon chat.

Une annonce est parue ce matin dans la presse, et j’ai reçu déjà trois appels pour signaler un matou jaune en vadrouille (avec strabisme convergent, précisait l’annonce). C’est à croire que Tibert apparaît aux fidèles comme la Vierge Marie (je me demande où sont les stigmates?) dans tout le canton de Vaud.

Vu que ça fait un mois que je le cherche, je suis à l’affût du moindre petit miaulement, de la plus insignifiante des taches jaunes qui se déplace dans mon champ de vision. J’ai « découvert » une dizaine de nouveaux chats dans mon quartier. Je mets ma découverte entre guillemets, parce que finalement ces chats faisaient déjà partie de mon environnement, mais je ne leur avait pas prêté attention. Être observateur, c’est regarder la réalité avec un angle.

Ça me rappelle le temps où je retapissais mon premier appartement, et j’étais attentif au moindre défaut dans la décoration intérieure des autres lieux où j’allais. Cela m’a même conduit à me fâcher avec un ami très cher pour lui avoir soutenu qu’on voyait les coups de peinture sur une paroi de son salon – je précise que j’avais raison. Même chose lorsque je me suis mis au jardinage: j’étais pris d’une passion pour les fruits et légumes, et je découvrais des trésors floraux à des endroits que j’avais pourtant foulé cent fois.

Il en va de même avec la lecture: lorsque vous reprenez un livre que vous connaissez bien, vous découvrez de nouvelles choses que vous n’aviez pas vu aux premières lectures; puisque vous cherchez autre chose (dans votre vie, dans vos études, dans l’étude de votre vie), vous êtes attentif à d’autres éléments (ça rejoint mon constat sur le changement de la personnalité). En fait, le livre n’a pas changé, c’est VOUS qui le lisez d’une autre manière – le livre devient le témoin de votre changement intérieur; plutôt rassurant, non?

Si ce phénomène vaut pour l’environnement extérieur (les chats du voisinages, la paroi de mon ami très cher, le jardin de ma grand-mère), il en va de même pour l’environnement psychologique: si je me laisse intriguer par un bouquin inspirant (mettons Le Petit Prince), j’aurai tendance à voir les autres comme des renards à apprivoiser, des roses à arroser ou des moutons à dessiner.

Alors, quand ce sacré Tibert aura décidé de refaire surface,ma vision du monde s’en trouvera changée: je serai un peu moins obsédé par les chats jaunes, et je m’intéresserai un peu plus aux humains.

dans-lherbe

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Choses politiques

Ce que je n’arrive pas à comprendre chez les humains

Mon chat Tibert (toujours en fugue) m’a laissé une liste de choses qu’il ne comprenait pas chez les humains:

les femmes enceintes qui fument

Tibert ne comprend pas pourquoi les humains cherchent à connaître en détails certains phénomènes médicaux, pour les ignorer grossièrement la minute d’après.

– l’engouement pour les sports automobiles

Qu’est-ce qu’il y a de spectaculaire? (m’a demandé un jour Tibert). L’impression de vitesse, sans doute (lui ai-je répondu). Mais pourtant, c’est la vie qui va déjà trop vite (m’a-t-il rétorqué).

– l’armée suisse

Tibert estime que le concept « d’armée défensive » est la plus grande mascarade rhétorique du siècle.

– la presse people

On dirait que vous cherchez à vous intéresser à ce qui est le plus bizarre, le plus lointain, le plus exceptionnel de vos propres âmes. Pourtant vous avez quantité de philosophes qui auraient dû vous convaincre que le voyage en vous-mêmes était le seul qui vaille la peine.

– les gens qui ne se saluent pas dans la rue

C’est peut-être parce que je suis un chat (me dit-il), mais je ne comprends pas comment vous pouvez passer les uns à côté des autres sans vous adresser ne serait-ce qu’un signe de reconnaissance. Moi, je salue même les fleurs et les abeilles, tu sais. On fait tous partie du monde vivant, oui ou merde?

Tibert et sa liste

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Une envie pressante d’écouter

Mon chat jaune est parti depuis voilà un mois. J’ai rêvé qu’il revenait.

– Eh ben, c’est pas trop tôt,  mon ami Tibert! Enfin revenu! Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps?

– J’étais sorti. Une envie pressante.

– Mais? Tu… tu parles, maintenant?

– J’ai toujours parlé, mais tu ne m’écoutais pas.

– Mais je, je, je t’entendais miauler, tu sais! Tu miaulais pour jouer, pour…., pour manger, pour sortir…

– Oui, mais tu interprétais mal les choses: tu croyais que j’étais un animal stupide, obsédé par mes instincts. Je demandais plus que ça dans mes miaulements. Je voulais de l’amour, moi.

– Mais alors… Pourquoi… Pourquoi est-ce que je te comprends parfaitement, maintenant?

– Tu me comprends parce que tu as besoin de m’écouter. Tu m’as perdu, alors tu veux me regagner.

– Je ne comprends pas…

– Les humains sont comme ça: tant que tout roule, ils n’écoutent pas. Un beau jour, tout s’écroule, et ils dressent l’oreille, desespérés. Ils cherchent les rumeurs, ils espérent capter des messages: la parole de Dieu, les informations à la radio, les conseils de leurs amis… C’est lorsque tout va bien qu’il faut écouter d’un peu plus près.

– Tu as raison. Je vais t’écouter. Qu’as-tu à me dire, chat? Parle, je t’écoute. Je suis tout ouïe.

– Ça serait trop facile. Si je te le disais dans la minute, tu ne m’écouterais plus. Et je repartirais.

– Mais? Je… Qu’est-ce que je dois faire, alors?

– M’écouter. Tout le temps. Pas seulement pour savoir, ou pour apprendre. M’écouter pour le plaisir de m’écouter. « Écoutez-vous les uns les autres », voilà par quoi vous devriez commencer.

écouter

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Écriture, Choses politiques

À l’article de la mort

Je dois cette histoire vraie à Brigitte Romanens, qui m’a confiée son chat Lipton (le frère de Tibert!).

Il était une fois, en Suisse Romande, une famille qui vivait très heureuse avec un chien. Les enfants avaient accueilli le petit chiot avec bonheur, et l’animal avait grandi en même temps qu’eux, pour atteindre l’âge respectable de vingt-cinq ans. Maintenant, il était très vieux, et le vétérinaire recourait désormais aux soins palliatifs pour lui soulager ses misères.

Un certain hiver, le chien commença à se traîner dans la maison, à l’article de la mort. Autant dire que la famille était desespérée. Au bout d’un mois, la mère alla voir le vétérinaire. Monsieur le vétérinaire, dit-elle, on ne sait plus quoi faire à la maison. Fido est tellement vieux, on dirait qu’il ne veut pas mourir. Mais nous ne pouvons pas nous résoudre à le piquer. Qu’est-ce qu’il faut faire, monsieur?

– Je comprends votre douleur. Mais voilà ce que vous devez faire: vous allez lui dire qu’il peut mourir. Vous allez lui donner la permission de partir.

La mère revint à la maison sans savoir si ça allait marcher. Le soir, elle demanda à la famille de dire adieu au chien. Elle l’emmena pour une dernière promenade (son parcours préféré!), et une fois de retour à la maison, elle lui murmura à l’oreille.

– Nous t’avons beaucoup aimé, mon chien. Merci pour tes caresses et tes aboiements. Tu peux mourir, si tu veux.

Elle se trouva un peu ridicule de parler à un chien; en allant se coucher, elle riait encore d’elle-même et se promettait de passer à une solution plus expéditive. Elle fit des rêves compliqués.

Mais le lendemain matin, le chien s’était laissé mourir.

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Prozac le chat

Boris Cyrulnik, dans son dernier ouvrage « De Chair et d’Âme », paru aux éditions Odile Jacob (Paris: 2006), écrit en fin d’introduction:

« Curieuse contrainte de la condition humaine: sans la présence d’un autre, nous ne pouvons pas devenir nous-mêmes, comme le révèlent au scanner les atrophies cérébrales des enfants privés d’affection. Pour développer nos aptitudes biologiques, nous sommes obligés de nous décentrer nous-mêmes afin d’éprouver le plaisir et l’angoisse de visiter le monde mental des autres. Pour devenir intelligents, nous devons être aimés. […] Sans attachement, pas d’empathie. Le « je » ne peut pas vivre seul. Sans empathie nous devenons sadiques, mais trop d’empathie nous mène au masochisme. »

Quand j’ai annoncé à mon cousin que j’allais prendre un chat dans mon appartement, il a été plutôt surpris (mon cousin, pas mon chat). Il m’a dit, hé mais qu’est-ce que vous avez tous avec vos chats, tu es le troisième pote qui emménage et qui prend une de ces sales bêtes avec lui. Bon, moi j’étais un peu embêté de savoir que j’étais à la mode, mais je lui ai répondu que c’était tout chou de se faire accueillir en rentrant le soir par une boule de poils aux yeux mi-clos, encore toute endormie mais tellement réjouie à l’idée de pouvoir boulotter quelques croquettes à votre arrivée.

En fait, j’étais pas tellement convaincu qu’un chaton dans mon appartement de célibataire allait avoir une quelconque « utilité »: un chat, ça miaule quand ça a faim, ça s’amuse à faire tomber votre stylo du bureau et ça cherche à vous planter les griffes dans les cuisses. Bref, un chat, ça n’aide pas vraiment à travailler sérieusement. Je pensais donc que Tibert n’était pas vraiment très utile à mon développement personnel (à part dans le cas où un éboulement dans mon immeuble me confinerait dans mon salon et me réduirait à manger de la viande de félin cru pour survivre).

Et puis il y a deux semaines, je me suis rendu à l’évidence: mon chat me stimule intellectuellement. Il écoute (bien malgré lui) le compte-rendu de mes journées exaltantes, il miaule dubitativement quand je lui affirme de nouvelles théories philosophiques, il prend des poses de psychanalystes lorsqu’il s’agit d’écouter mes interrogations existentielles. Quand je me relève à deux heures du matin après avoir cherché le sommeil sans succès, je lui confie la cause de mon insomnie et il m’écoute. Oui, il m’écoute. Bon, disons en tout cas qu’il tâche de me regarder intelligemment la plupart du temps. Toujours est-il que je sais qu’il est là pour écouter mes récits de dépressif léger. Sans me critiquer.

J’aurai dû l’appeler Prozac, en fin de compte.

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