Mon chat Tibert est constamment installé sur le canapé, juste devant la télévision.
– Tu veux que je t’allume le poste, Tibert?
– Oh non, maître! (il bâille et s’étire)
– Tu es sûr? Tu ne t’ennuies pas?
– Bien sûr que je m’ennuie – aucune chatte à câliner et pas de nouvelles croquettes. Mais je préférerais courir à poil sous la pluie du mois de novembre plutôt que de regarder une de vos émissions de télévision. (Il se lèche la patte, puis la passe derrière l’oreille. Il bâille à nouveau). J’en ai déjà fait l’expérience: la télévision est l’une de vos réalisations les plus ineptes.
– Je veux bien que tu m’expliques ça.
– Sans aucun problème (il se relève, se gratte l’oreille avec sa patte de derrière, puis se recouche dans une autre position). Alors votre télévision, c’est à peu près ça : des émissions d’actualité avec des catastrophes à tous les coins de rues, des débâcles, des scandales, des erreurs, des horreurs, des explosions, des implosions, des convulsions, des dangers à tous point de vue. Au milieu de tout ce charabia, un reportage tout chou tout sucré sur la chorale de Bottoflens qui monte un spectacle de variété, avec des sourires et des enfants et des sourires d’enfants.
Après cela, une petite page de publicité pour vous faire bien comprendre que vous êtes incomplets sans le dernier Gilette, la dernière Nivéa, la néo-tourniquette et le déo dessous-de-bras.
Ensuite, un magazine politique où deux invités de gauche et de droite s’interrompent de gauche et de droite en répétant répétant répétant répétant les mêmes arguments de gauche et de droite pour attaquer les échecs de gauche et de droite. (Tibert se lève et se lèche le bas du cou)
Tout de suite après, une nouvelle page de publicité pour bien vous faire re-comprendre que vous êtes incomplets sans la dernière Punto, les lunettes de Johnny, les céréales au choco et la moutarde Thomy.
Aussitôt, une sirupeuse sitcom qui glorifie l’empire des émotions et la réussite matérialiste : on se demande comment la ménagère-type qui repasse son jogging taille 45 peut encore oser s’identifier à ces larmoyants éphèbes californiens intriguant dans des salons floutés.
À la fin du sitcom – devinez quoi ? – une page de publicité pour vous faire sentir – dans votre chair et dans votre sang – que vous êtes définitivement incomplets sans les assurances Axia, le Hummer Toyota, la lessive Omo Ultra Plus et le Dildo Deep Anus.
Ensuite, un dessin animé pour les gosses qui rentrent de l’école, qui viendront s’ébaubir devant les vulgaires combats de héros manganoïdes venus sauver l’univers à grands coups de genoux dans la gueule. Allez leur dire de faire une rédac’ sur Martin Luther King après ça… (Tibert se relève, et se secoue la tête vigoureusement)
Juste après, une émission de télé-réalité (quelle réalité?) sous forme de concours stupide, où le meilleur chanteur / danseur / beau parleur gagne cent cinquante mille euros ; comme ça, vos mômes intègrent bien les principes de l’esprit de compétition et d’humiliation perverse, et surtout apprennent que l’ARGENT C’EST IMPORTANT.
Enfin, pour satisfaire petits et grand dans la bonne humeur générale, un jeu télévisé trivial, dans lequel un animateur aux dents très blanches pose des questions de culture GÉNÉRALE, puisque c’est ça la mission de la télévision : de la CULTURE GÉNÉRALE, nivelée par le bas, édulcorée et hachée tout fin pour que des bambins aux gencives fragiles puissent ingérer tout ce que l’écran vomit, une bouillie infâme et culpabilisante qui vous maintient dans un état de manque. (il tousse deux fois, puis se réinstalle plus confortablement)
Alors regarder la télévision, moi, non merci.
Tu n’aurais pas plutôt un bon bouquin?
Superbe!