Avec différentes troupes, je suis souvent engagé pour des animations de théâtre d’improvisation. Ça fait partie de mon job, et c’est un aspect que j’adore. Mais j’ai parfois des demandes très farfelues, parce que les organisateurs ne sont pas assez familier avec notre méthode de travail. Ce qui fait que j’oppose parfois un « Non » sévère à certaines requêtes.
Voilà de quoi m’expliquer plus longuement, chers mandataires.
1. « Ne faites pas de sketches sur la mort, s’il vous plaît ».
C’était lors d’une animation pour une institution de formation. Il y avait du gratin de droite, des bourgeois tout endimanchés, et le directeur arrive vers nous avant l’apéritif: « Alors c’est vous, les comédiens? Bien! J’ai une requête: dans les scènes que vous allez improviser, je n’aimerais pas trop qu’on tourne autour de la mort. Vous comprenez, il y a notre conseiller d’état qui est décédé récemment, c’est encore tout frais dans la tête des gens; j’étais l’autre jour à une réception à Lausanne; il y a un humoriste qui s’est permis de faire un sketche sur la mort; eh bien je peux vous dire que ça a très très mal passé auprès du public. »
Variantes:
« Vous pourriez faire une improvisation sur cette anecdote? » (qui n’intéresse personne)
« Vous pourriez inclure un message à faire passer pour le personnel de l’entreprise? » (c’est une soirée de divertissement)
Cher mandataire. Nous sommes des artistes: par là, j’entends que nous sommes responsables du contenu artistique que nous fournissons, et croyez bien que nous sachons être sensible et sensé lorsque nous abordons des sujets délicats. Si vous vouliez un contrôle total sur le déroulement de la soirée, vous auriez pu prendre la précaution de ne pas engager des improvisateurs. Mais rassurez-vous: dans les limites de la décence, nous allons vous embarquer pour un voyage original dans l’imaginaire.
Nous faire des recommandations sur la mort est le pire moyen de vous prémunir de ce genre de risques (nous pourrions réagir très méchamment et vous proposer un rock-opéra gore de 50 minutes sur les miasmes de l’enfer, cracher du vin et mimer des actes sexuels violents avec l’équipement techniques de cette salle de conférence).
2. « Vous demandez 500CHF pour une animation? Est-ce que vous pourriez nous faire une fleur, nous qui sommes une association à but non lucratif? »
Variantes: « 500 CHF, c’est cher! », « J’ai peu de budget, mais il y aura du monde dans la salle; ça vous fera de la visibilité » ou alors multiples échanges de mail où le mandataire tente d’influer sur les critères d’évaluations du cachet: durée du mandat, durée de la présence sur place, nombre d’intervenants nécessaires, équipements techniques, « niveau » de la performance.
Cher mandataire. Nous sommes des professionnels: nous adorons notre métier, précaire, risqué, méconnu et parfois mésestimé, mais le plus souvent, très gratifiant. Cependant, nous avons aussi des factures à payer avec du vrai argent, et c’est pour cela que nous demandons du vrai argent plutôt que des paniers de mercis. En outre, nous avons quarante engagements de votre type par année. Pour nous, ce n’est pas faire « une fleur, juste une fois », mais mettre en péril la santé financière de notre entreprise personnelle. Enfin, la « visibilité » n’est pas encore convertible en vrai argent.
3. « Vous êtes sûr que vous ne voulez pas une autre séance de préparation? »
Variante: « Vous pourriez nous expliquer à l’avance ce sur quoi vous allez improviser? »
Cher mandataire. Si nous avons choisi la voie de l’improvisation, c’est aussi pour ne pas nous embarrasser de douze séances de préparation, de quatorze PV et d’un texte à apprendre. Nous avons confiance dans l’équilibre que nous mettrons entre préparation et impréparation: faites-nous confiance, nous avons plus de dix ans d’expérience dans le milieu. Et c’est pour cette qualité que vous nous payez cher. Bien sûr, si vous voulez des improvisations sur le syndic de Lausanne qui tabasse des licornes avec l’accent suisse-allemand, vous pouvez engager nos concurrents.
4. « Vous m’avez dit que c’était 500.- pour une présence de 4 heures. Mais vous n’aurez que 20 minutes d’impro à faire! »
Variante: « Vous ne jouerez que la moitié de votre spectacle. Vous pouvez bien faire un rabais sur le cachet, non? »
Cher mandataire, nous attachons extrêmement d’importance à arriver suffisamment à l’avance sur nos lieux d’intervention. D’autre part, nous comptons dans notre cachet notre temps de répétition et de préparation global. Pour nous, l’engagement est le même, qu’il soit de divertir 20 personnes pendant 20 minutes ou 400 personnes pendant 120 minutes: de toute manière, nous serons engagés pour la soirée. »