Écriture, Improvisation et créativité

Burger épiphanie

Hier soir à 18h45, je téléphone pour commander deux burgers. Quelque chose comme « J’aimerais vous commander deux burgers que je viendrai chercher; deux Hippie Jay en version normale, avec une frite pour les deux; Yvan; à 19h30. Oui. Merci. »

(Je vous laisse deviner les questions comme ça ça reste un peu interactif)

J’arrive au restaurant à l’heure dite. Enfin presque, j’ai deux minutes d’avance – autant dire que je suis autant fier de moi qu’affamé. On me demande mon prénom et la serveuse cherche ma commande mais fait chou blanc. Elle me dit qu’il n’y a pas de commande à ce nom. Il y a une autre collègue qui est débordée mais qui paraît plus compétente – alors que la première hôtesse paraît plus calme, mais moins compétente. Peut-être qu’elle a développé un certain flegme face à sa maladresse, ou peut-être que je spécule sur ses manoeuvres hésitantes. Je ne sais pas, à ce moment-là, je préfère ne pas trop spéculer. Je veux juste mes deux burgers et une frite pour les deux. On me redemande mon prénom. Je réponds. On me redemande la commande. Je réponds. On me redemande l’heure à laquelle j’ai appelé. Une autre personne du service – je crois que c’est la patronne, ou en tout cas elle fait preuve d’un body-language assez assumé; si elle n’est pas patronne, il faut peut-être qu’elle songe à le devenir – me demande si j’ai bien donné mon prénom et l’heure de livraison. Je dis oui. Elle me la redemande. Pour être sûr.

C’est à ce moment que je me dis que ce n’est peut-être pas un restaurant de burgers, mais un restaurant où on redemande des choses aux gens. Probablement travaillent-elles très fort à préparer le terrain pour le slogan-phare de leur nouvelle campagne marketing. « Ici, on en redemande« .

Au bout du compte on me dit qu’on va ré-envoyer ma commande et qu’il faudra attendre 10 minutes. On me redemande ma commande pour être sûr. Comme c’est la troisième fois que j’articule cette commande, mes neurones-miroirs et ma capacité d’auto-suggestion se liguent pour déclencher une salivation abondante, ce qui n’aide pas beaucoup à articuler une nouvelle fois « deux Hippie Jay et une frite ». Peut-être que je postillonne, mais personne ne se formalise.

Au bout de 15 minutes, la serveuse me livre. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle s’excuse. Auparavant, elle a bien maugréé contre la cuisine, contre sa collègue, contre la caisse, contre le téléphone au bout duquel on ne comprend pas toujours tout, contre le bruit, contre le mois de janvier, contre la réalité du monde qui nous entoure. Dangereux, ça d’être contre la réalité du monde qui nous entoure – la réalité, c’est toujours elle qui gagne.

Je trouve que les excuses arrivent un peu tardivement, mais je suis soulagé d’avoir mes burgers. Le frisson de réjouissance rassasie suffisamment mes neurones de dopamine pour me faire oublier toute idée de vengeance à la hache à deux mains dans ce restaurant qui en redemande. Victime de mon éducation judéo-chrétienne où le pardon est une valeur centrale, je gratifie tout le personnel de quatre (4) (four) francs de pourboire.

Je ressors et je soupe avec mon amoureuse.

Ce soir, j’ai appris une chose sur moi : j’ai une tolérance infinie pour les erreurs. C’est probablement de la déformation personnelle d’improvisateur : vous pouvez foirer, merder, échouer, vous tromper, vous prendre les pieds dans le plat, dégringoler dans les sondages, faire un impair, bafouiller, crever au poteau, faire nawak – ça n’est absolument pas un problème pour moi. À quarante-deux ans, j’ai largement compris que la réalité est assez complexe pour ne pas attendre plus d’un ou deux moments parfaits par décennie. Je vais vous sourire, vous attendre, vous donner un pourboire.

MAIS vous ne pouvez pas avoir une attitude de merde. Votre réaction aux évènements, votre grimace qui dit que ce n’est pas votre faute, le sarcasme susurré à l’encontre de votre collègue, c’est sous votre contrôle total. Là je suis resté très calme, mais c’est parce que je n’avais pas de hache à deux mains.

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Gourmet culturel

Lundi passé j’ai regardé le magazine 36,9° sur les liens entre microbiote et humeur. Très joli, plutôt bien mené, mais c’était juste la preuve que « On est ce que l’on mange« , qui relève un peu du bon sens : si je me bourre de cornets à la crème-à-la-vanille-au-sucre-glace, c’est assez normal que je saute aux murs en mode hyperactif sur un circuit de Formule Un avec Cyril Hanouna comme copilote.

Fun fact : il y a une semaine, le conseil national refusait une initiative pour limiter l’usage du sucre dans les aliments. La libre responsabilité des consommateurs et consommatrices. Rigolo de voir que notre liberté / responsabilité est tout à coup très bien défendue quand il s’agit de bouffer des bonbons et nous rendre diabétiques pour faire ensuite exploser les coups de la santé.

Food for thought : on s’intéresse beaucoup à ce qui entre dans notre ventre, mais relativement peu à ce qui déboule dans notre tête. On pourrait imaginer parler un peu plus de diététique culturelle : il y aurait des gens pour vous mettre au régime-sans-téléjournal, ou vous conseiller quelles fictions regarder – « Vous souffrez d’éco-anxiété ? Lisez Ecotopia ou allez voir Toutes les choses géniales, voilà qui devrait vous remettre sur pied. »

Vers 2017, j’ai commencé à consulter la liste des 250 films les mieux notés sur IMDb : une compilation des films qui ont reçu des meilleures notes par les utilisateurs « érudits », ce qui veut dire que si vous avez mis 5 étoiles à Ace Ventura mais que c’est le seul film que vous ayez noté, vous êtes jugé moins crédible qu’une adhérente qui a mis trois étoiles à Titanic mais a noté 273 films (ce qui paraît plutôt sensé). Bref, j’ai commencé à regarder la liste dans l’ordre. Qu’on soit bien d’accord, hein : j’ai pas fait QUE ça de mes journées. C’est juste que quand j’avais une heure de libre, je regardais un bout de demi-film que je terminais le lendemain. Bien tranquillou avec un frichti de légumes poêlés au reste du frigo, je matais Les Evadés à ma pause de midi. Puis je dégustais des asperges-mayo devant Usual Suspects. Et ainsi de suite, jusqu’à avoir totalisé 76 films vus sur les 100 premiers (et après il y a eu la pandémie).

Premier effet : je suis devenu incollable sur les classiques.

Deuxième effet : je suis devenu exigeant en terme de cinéma. Habitué à la crème de la crème, à du Hitchcock platinum et à du Coppola deluxe, j’ai désormais de la peine à mater un film médiocre. Je me suis rendu compte à quel point la télévision proposait des téléfilms mal écrits, mal joués, mal montés. Et comme le dit Catherine Price dans The Power of Fun, on peut s’habituer à une espèce de semi-fun, de divertissement léger qui nous fait bandouiller par intermittence, une semi-molle télévisuelle, une espèce de soupe qu’on se force à boire parce que finalement, on est pas mal sur ce canapé, non ?

(tiré du merveilleux https://xkcd.com/2727/)

(ma traduction décomplexée) « C’est marrant de voir à quel point c’est socialement acceptable de conseiller à quelqu’un de passer 10 à 15 heures devant une série à la télé; alors que si c’était un film… »

Et donc.

Si vous vous habituez à un régime de bonne nourriture culturelle, vous élevez votre niveau d’exigence.
Oh yeah, vous vous dites que je ne suis qu’un cinéphile pédant et arrogant, gourmet et peine-à-jouir. Well… c’est inexact : je peux encore voir des merdes, mais je les vois avec la tendresse de Roger Federer qui regarderait un débutant jouer au tennis.

(Cadeau bonux : ça marche aussi avec la musique, les bouquins et les informations d’actualité.
Je discutais avec un pote qui me disait sombrer dans une torpeur éco-anxieuse à chaque nouvelle news sur le climat qui apparaissait sur son fil d’actualité Instagram. Délivrez-vous des réseaux sociaux. Vous êtes ce que vous mangez.)

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Marchands de canon

Ce matin, je lis cet article paru dans le 24Heures sur le vandalisme dans les stations de ski. Pour les gens qui n’ont pas suivi l’affaire, je vous résume le truc : certaines stations de ski (Villars, les Diablerets, les Gets et la Clusaz) ont connu des épisodes de vandalisme, plus ou moins revendiqués par des activistes climatiques qui s’en sont pris aux canons à neige. L’opinion publique dit Ouh là là c’est pas bien, c’est des dommages à la propriété, nous on veut juste skier alors retournez à votre quinoa espèces d’extrémistes. L’anonyme se défend en expliquant que l’industrie touristique a transformé la montagne, que tout le monde cherche à faire du fric avec ça et qu’il faut a) accepter qu’il n’y ait plus de neige et b) refuser le système thermo-industriel.

J’ai beaucoup de sympathie pour le journaliste Erwan Le Bec, qui fait un super-boulot de couverture des actualités du Nord vaudois. J’ai encore en mémoire une question très directe à l’encontre de Jean-Daniel Carrard qui venait de se faire tèj du premier tour des élections, c’était émouvant et en même temps courageux. Mais ce souvenir n’a rien à voir avec le sujet, comme la plupart des questions posées dans l’interview.

Plutôt que de montrer les failles de l’entretien – qui reste quand même très inspirant –, je procède à un hold-up. Je reprends donc mot pour mot les questions du journaliste, et j’y réponds tout seul. Comme ça quand j’aurai pété les plombs en dynamitant l’arrache-mitaines des Rasses, j’aurai déjà ma ligne argumentative.

Pourquoi vous en prendre aux canons à neige?
Parce que c’est un symbole. Alors qu’on nous demande – à juste titre – des économies d’énergie, on veut rallonger la durée de vie d’un hiver qui n’en est plus un, plutôt que d’accepter qu’on pourrait ranger les lattes et faire de la rando tranquillou ou des jeux de société au chalet.

Avec du sabotage et de l’écologie radicale?
Je vous vois venir : vous agitez le mot « radical » comme un épouvantail, mais faire de l’écologie radicale, c’est aller à la racine des choses, au coeur du problème. Le sabotage est effectivement une infraction, et je regrette d’avoir estimé que c’était le dernier recours. Enfreindre la loi pour thématiser le débat, c’est toujours une pesée d’intérêt. Si j’étais Bill Gates, j’achèterais des pages de pub dans les journaux avec des argumentaires tirés des bouquins de Timothée Parrique.

Admettez que ce n’est pas bon pour l’image de l’écologie… Il n’y avait pas d’autre méthode que de saboter du matériel?
Faisons l’inventaire des moyens que j’ai à disposition pour faire de l’activisme écologique… et leur efficacité : 1) Je peux faire confiance à la politique en place… qui ne prend pas la mesure de l’urgence, avec l’échec de la loi sur le CO2 et l’UDC qui fait aboutir un référendum autour de l’initiative pour les glaciers. 2) Je peux lancer mon propre parti et mes initatives… avec un Conseil d’Etat qui invalide l’initiative d’AG!SSONS ou des années de procédure pour aboutir souvent à un demi-échec. 3) Je peux tenter de convaincre les gens avec des arguments rationnels… quand la tâche est titanesque face aux lobbys de la communication et un système sous hypnose. 4) Et enfin, je peux attirer l’attention sur les contradictions du système avec des actions ciblées et symboliques… donc oui, au bout du compte, l’action directe peut se défendre. Il y a diversité des moyens pour convergence des luttes : en matière d’écologie, il faut essayer à peu près tout (parce que le camp adverse, lui, n’hésite pas à faire complètement n’importe quoi).

Ces canons permettent à l’économie régionale de prolonger un peu la saison. N’est-ce pas une logique assez circulaire et locale?
Partez-vous du principe que tout ce qui est circulaire et local est bon à sauver ? Je veux dénoncer la contradiction d’une saison de ski qu’on veut maintenir sous perfusion dans un contexte de manque de neige; ça ne remet pas en cause l’idée d’une économie circulaire et locale. Il faut distinguer les buts des moyens.

Alors qu’on trouve enfin des canons à neige plus écolos…
Je peux vous opposer l’effet rebond : les canons vont devenir plus efficients, donc on va en mettre davantage; donc la consommation absolue n’aura pas diminué. Mais de toute façon, le coeur du problème, c’est de se demander si l’activité est utile, bonne, morale : si vous diminuez une activité néfaste de 50%, c’est toujours 50% de gaspillage de trop.

Mais les canons ne représentent même pas 14% de la consommation de certaines stations…
Ouais mais alors bon, c’est quand même vachement plus compliqué de saboter une dameuse. Et puis le sabotage, c’est toujours symbolique; il faut bien commencer par quelque chose, sinon tout le monde aura toujours une excuse. Poutine : Mais enfin, il y a plein d’autres guerres dans le monde ! Je ne représente que 14% des conflits mondiaux !

Est-ce pour dire aux gens qu’ils polluent alors qu’ils descendent une piste?
Technique de l’homme de paille : vous voulez insinuer un message dans ma bouche pour mieux le démonter. Si je voulais vraiment m’adresser aux skieurs, ce serait quelque chose comme « Par votre abonnement, vous financez une activité qui gaspille une énergie précieuse. Le ski de randonnée c’est super aussi. Et tâchez de venir en train, bande de fripons canaillous. »

Vous n’avez jamais fait de ski?
Et ta soeur ?

On s’éloigne des canons à neige, là…
C’est vous qui posez des questions qui tendent vers une attaque personnelle. Le fait que je fasse du ski ou pas ne remet pas du tout en cause le fait que je puisse critiquer cette activité. Le fait que j’évolue dans un système capitaliste ne m’enlève pas le droit de critiquer ce même système.

Attendez. Le ski a aussi son volet populaire. Des abonnements à bas prix, des écoles d’ici et d’ailleurs…
C’est la même question que précédemment, sur l’économie « circulaire et locale » : ce n’est pas parce qu’une activité a des bienfaits collatéraux qu’elle est défendable moralement ou économiquement.

Et la classe de neige de banlieue qu’on vient de croiser?
C’est encore la même question : vous ne pouvez pas extraire un bienfait pour dédouaner le côté néfaste d’une activité. Si la classe de banlieue partait en voyage d’études au Mexique, ça ne rendrait pas l’avion moins polluant. En 2023, on pourrait s’attendre à ce que les buts économiques soient renégociés.

Dites ça à des petites stations familiales, portées par des villages entiers en basse altitude. Les Paccots, Sainte-Croix…
Là encore : si l’activité est néfaste sur le long terme, pourquoi s’acharner ? C’est bien le mal du XXIe siècle que ne pas se poser la question des buts. On se pose la question des moyens, des ressources, des possibilités d’économie mais jamais des buts. Quel est le but de skier ? Se divertir et faire du sport. À quoi bon chercher à le faire alors qu’il n’y a pas de neige ? Le capitalisme a ce côté pernicieux de nous faire croire que tout est toujours possible, à condition que ce soit rentable économiquement. Mais la tache aveugle du système, c’est qu’il ne prend pas en compte le très long terme. Ici, le très long terme c’est qu’il n’y aura de moins en moins de neige et de moins en moins d’énergie disponible.
Le capitalisme ne comprend pas à leur juste valeur les intérêts de nos enfants et petits-enfants : il ne sait pas calculer le prix futur de l’énergie, ou le coût futur de la biodiversité. Le capitalisme est myope, et si je dois continuer à saboter des canons à neige pour faire tomber les écailles de nos yeux, je le ferai.

Je vends des canons 
Des courts et des longs 
Des grands et des petits 
J’en ai à tous les prix 
Y a toujours amateur pour ces délicats instruments 
Je suis marchand d’canons venez me voir pour vos enfants 
Canons à vendre ! 

Le Petit Commerce, Boris Vian

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Internet

Le progrès amène de nouvelles technologies

Donc les technologies d’hier deviennent obsolètes.
Donc plus le progrès avance rapidement, moins les choses fonctionnent longtemps.

À chaque « mise à jour » de mon Mac, celui-ci devient plus lent. Les développeurs rajoutent des fonctionnalités futiles qui transforment l’informatique en usine à gaz. Bien sûr, il y a quelques optimisations, on simplifie ici et là, mais l’essentiel est que chaque mise à jour rend mon Mac un peu plus obsolète. Plus on cherchera à accélérer le monde, plus les ordinateur nous paraîtront lents.

Plus il y a de progrès, moins il y a de progrès.

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écologie

Rob Hopkins, conférence du 6 septembre 2022

Ce billet a été rédigé en direct de la conférence et publié juste après. Du coup il y a un côté brut de décoffrage assumé. C’est l’énergie de la spontanéité, il y a des bavures et des ratures, on voit un peu les fils qui dépassent – comme dans une bonne impro.

Bonsoir les gens,

Ça fait un moment que mon blog prend la poussière et que la Terre prend feu. Un peu comme tout le monde, je suis emprunté. Le COVID a cassé les reins des militants climatiques, coupé les ailes des colibris, empêtré les justiciables dans des chaînes de procès sans fin. Je causais avec Julia Steinberger l’autre jour qui me disait Tu sais, c’est pas plus mal, les gens en ont profité pour relire leur Gramsci. On a pris conscience que le système judiciaire a réagi avec répression, et du coup chacune ré-évalue l’utilité de s’enchaîner à une route. Elle me dit plus loin qu’elle rêve de s’investir pour Renovate_Switzerland, alors que je lui confie mes idées de polluer le Forum des 100 ans au purin d’orties (écolo, discret dans une bouteille de thé vert et puant à souhait).

20h11 : Ça commence. La présentatrice (YverdonEnTransition) nous propose une vision d’avenir, parce que ces temps-ci on a bien besoin de fermer les yeux et d’imaginer autre chose. Ce sera le thème de la soirée, c’est ce que Rob Hopkins prône dans son super bouquin “Et si…” : la force de l’imaginaire, la puissance de notre pulsion d’amélioration. 

J’ai entendu parler Rob Hopkins pour la première fois (en 2010 ?)  via cette vidéo TED, un plaidoyer pour un monde sans pétrole, un peu en même temps que je découvrais Jean-Marc Jancovici (vulgariser pour mieux comprendre) et Georgescu-Roegen (décroître parce que c’est physiquement indispensable). J’avais été fasciné par son humour et sa liberté de dépasser les limites du capitalisme, que ce soit en déconstruisant un litre de pétrole ou en émettant un billet de 21 livres (la monnaie locale de Totnes). 

20h19 : Carmen Tanner fait un discours d’accueil plein d’humour (et d’autodérision) : c’est un peu grâce à la commune d’Yverdon-les-Bains si on est là ce soir, une bourse pour les initiatives de transition et l’accueil de Beyoncé Hopkins, star du soir.

20h23 : Présentation de Réseau Transition et d’une équipe qui fait super-plaisir : Noémie Cheval et Martin Gunn, qui nous chargent d’énergie et mettent en valeur des initiatives qui fleurissent. Yep, on n’a pas peur des métaphores sur la nature et des poignées de main express avec les voisins-voisines de conférences. On va embarquer pour un voyage dans la transition, on se charge de bonnes énergies, prêts à polliniser nos rêves d’un monde meilleur. 

[Avec cet article, je compense un peu mon bilan bullshit : ce matin, j’animais le Forum de l’Economie Vaudoise, le grand raout des boomers PLR de l’entrepreunariat romand, où on se glorifiait “d’upgrader l’humain” en remplaçant les caissières par des robots de supermarchés. J’ai dû avaler des couleuvres ce matin. Ce soir, je peux poétiser les colibris.]

20h32 : Dje ne parleuh pas très bien leuh français. C’est parti, Sir Hopkins est sur scène, accompagné par son traducteur (drôle et complice, il ajoute une fabuleuse fraîcheur dans cette Marive étouffante). On commence avec un jeu de créativité : à combien d’usages pourrait-on destiner ma chaussure ? Mise en commun après coup, ça nous remplit d’ondes positives et ça allume notre imagination. C’est un peu mon boulot, ça, l’imagination, donc ça me parle beaucoup.

20h42 : On continue avec les mauvaises nouvelles : l’été caniculaire et le traitement du dérèglement climatique par les médias. Des images de plages, d’eau rafraîchissante, une espèce de déni de réalité journalistique confondant.
Puis un graphique des trajectoires de décroissance (d’émissions, ha ha ha) pour illustrer le chemin à suivre : réduire les émissions et l’extractivisme. Et Hopkins nous le dit : nous avons besoin d’imagination et d’art pour nous projeter dans un futur souhaitable. C’est cela dont nous parlerons pendant l’heure qui suit.

Any useful statement about the future should at first seem ridiculous.” Jim Dator

Ce qui manque, c’est d’oser être ridicule, de sortir du cadre capitaliste* et de rêver un monde meilleur et fait de solutions. (*c’est moi qui souligne – et qui rajoute)

Deuxième exercice : on se projette en 2030 (c’est bientôt – et heureusement – un lieu commun des conférences écolos : savoir se projeter dans un avenir souhaitable – un peu comme si les techniques de visualisation créative que vous trouvez dans les bouquins de développement personnel et que les leaders productivistes utilisent quotidiennement étaient appliquées à déconstruire ce monde de fou. Retourner les armes du capitalisme, ça me plaît). Et on partage en plénum : des jardins sur les parkings, des sources d’histoire, des fontaines de larmes, des nuages, des chants et des rires. Des bonnes vibrations (again) même si un petit groupe confie que on a fait un voyage un peu sombre dans le futur, navré de partager cette vision avec vous. 

Hopkins parle de “déclin de l’imagination” : nous vivons dans un paradigme enchaînés à l’idée de fatalité, au pire moment de l’Histoire. Nous avons besoin d’espace pour l’imagination. De recréer des espaces de parole pour rêver et imaginer ensemble. 

L’espace, c’est d’ailleurs le premier élément des quatre pétales de la “rosace de l’imagination” : l’anecdote de Edward Makuka Nkoloso et du programme spatial zambien : leurs spationautes n’ont pas décroché la lune, mais ils ont ouvert la porte à la possibilité.

Ensuite, les lieux : voir les possibilités d’un autre point de vue, comme ce blocage XR sur un pont de Londres, où une forêt éphémère avait été recréée. Ma femme était sur ce pont deux semaines, elle est très impliquée dans XR, elle a déjà été arrêté sept fois – elle est beaucoup plus courageuse que moi. Raconter des histoires sur des nouveaux lieux, réhabiliter des bâtiments tombés en désuétude (le traducteur en rajoute sur Marseille, c’est hilarant), comme ce MacDo transformé en centre de distribution de repas gratuits dans les quartiers nord. Ou ce restaurant qui cuisine avec des fours solaires, ou cet espace urbain réaffecté en jardin. Du fuel pour des initiatives. C’est 21h22, je suis plein d’énergie.

Troisième élément de la rosace de l’imagination : les pratiques. Un atelier d’art-thérapie qui reconstruit l’hippocampe, Sun Ra (un jazzman qui prétendait être un ange venu de Saturne), des “utopies du quotidien”. I’ve been to the future. We won. 

La crise de l’énergie en Angleterre : entre autres problèmes, c’est la merde avec l’énergie au Royaume-Uni. Quelques initiatives qui font plaisir : plutôt que d’attendre que la Banque de Londre fasse tourner la planche à billets, le quartier de Hoe Street imprime sa propre monnaie locale pour financer sa centrale électrique communautaire. Quelques villes plus loin, on fait des ateliers où en plus d’imaginer le futur, on le construit en carton, comme pour rendre encore plus concrètes nos visions éphèmères : “il faut que l’avenir pénètre en vous bien avant qu’il ne se produise.”

Dernier élément de la rosace de l’imagination : les pactes. Le Bureau Civique de l’imagination de Bologne finance des “idées” de citoyens. Liège a lancé une Ceinture alimentaire : des petites initiatives de marchés communs. Il est important de nourrir nos visions avec des réalisations concrètes, aussi petites soient-elles. Nos enfants doivent se rendre compte que ces révolutions sont de l’ordre du banal. Et de citer Neil Armstrong sur la Lune, à peine six ans après la promesse de JFK, mais surtout… plus de quelques siècles après que l’humain avait rêvé cette prouesse. 

Nous avons besoin d’une vision, et nous avons besoin d’y croire tellement fort que ce ne soit même plus une prouesse. 

Applaudissements, et puis du temps pour les questions : comment est-ce qu’on passe à une échelle différente ? Là, Hopkins élargit le débat : les initiatives locales ne seront pas suffisantes, mais c’est un début. Il faut faire plier les grandes entreprises, et ce sera le cas quand elles n’auront plus d’autres solutions que suivre les masses déjà en mouvement.

La question des comités qui se tuent à la charge : comment éviter le phénomènes de “c’est toujours les mêmes qui s’impliquent” et comment transitionner vers du militantisme salarié. De la transparence, encore de la transparence. Si les membres voient comment les jobs sont créés, tout se passe mieux. Décidément, Hopkins file la métaphore de oculaire jusqu’au bout. 

Un visionnaire qui nous en met plein les yeux.

Plus d’infos sur Rob Hopkins : 

Le podcast From What If To What Next

robhopkins.net

transitionnetwork.org

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Parle à ma main

(L’entrée d’une ferme vaudoise rénovée. À Jardin, un porche en bois vernis. Il pleut des cordes. Quand le rideau s’ouvre, YVAN RICHARDET est au centre du plateau. Il a un petit carton de pâtisserie dans les mains. La lumière du porche s’allume, et GUY PARMELIN apparaît, en peignoir et avec un téléphone portable à la main.)

GUY PARMELIN
Je peux vous demander ce que vous foutez devant chez moi ?

YVAN
Je peux entrer ?

GUY PARMELIN
(à son téléphone) Non, je crois que c’est bon. Je lui demande.
(à YVAN) Vous êtes qui ?

YVAN
Yvan Richardet. Je viens pour discuter. J’ai amené un truc à grignoter. Une salée de Mathod.

GUY PARMELIN
Ecoutez, je ne peux pas vous laisser rentrer comme ça, monsieur. Vous pourriez être armé. Moi j’ai pas peur, mais c’est ma sécu qui tique un peu. Alain a reçu des menaces l’année passée, ils sont un peu chatouilleux à Fedpol ces temps-ci.

YVAN
Je comprends. Attendez, je vais vous prouvez que j’ai rien de dangereux.
(Il pose le carton de pâtisserie et enlève son imperméable. Il enlève T-shirt et pantalon pour se retrouver en slip. Ecarte les bras, puis fait un tour sur lui-même.)

GUY PARMELIN
(au téléphone) Ecoutez, je crois que c’est bon, Cornelia. Je gère et je vous redis.
(à YVAN) Ça va, ça va. Vous devez être beau trempe, maintenant. Qu’est-ce que vous voulez ?

YVAN
Causer cinq minutes avec vous. Il y a un truc qui me chiffonne.

GUY PARMELIN
Un truc qui vous chiffonne ? Avec cette pluie, vous allez être comme du papier mâché. (Il rit.)

YVAN
(impassible) Oui.

(Changement de décor. Pendant que les comédiens changent d’axe, la scène pivote et révèle l’intérieur de la maison de PARMELIN. Salon cosy, canapés de cuir sans chichis, un verre de rouge quasi-vide et une bouteille de blanc sur une table basse.)

GUY PARMELIN
Ma femme est en séjour aux Canaries. Je me fais un petit plaisir en regardant Columbo.
(Il éteint la télévision.)
Vous voulez des linges ?

YVAN
Je prends volontiers un verre si vous m’en offrez.

GUY PARMELIN
Vous ne manquez pas de culot.
(Pendant les prochaines répliques, PARMELIN va à la coulisse Cour pour chercher deux linges propres et un verre à vin.)

YVAN
Mon père vous tutoie. Robert Richardet.

GUY PARMELIN
(réfléchit) Ouh là, ça fait une paie. Vous êtes le fils Richardet ? Celui qui a fait ingénieur agronome ?

YVAN
Non, celui qui a mal tourné. Comédien.
(Ils rient poliment.)
(Un temps.)
(Un éclair, puis un coup de tonnerre.)

GUY PARMELIN
Quel été.

YVAN
Justement.

GUY PARMELIN
Justement quoi ?

YVAN
Je voulais vous parler du climat.

GUY PARMELIN
Vous vouliez me parler du… Ha, mais vous êtes un militant, c’est ça ? Vous venez pour me demander d’isoler les maisons ? (Il reprend le téléphone en main.)

YVAN
Pas seulement.
(Il ouvre le paquet de pâtisserie. Il y a une salée de Mathod et un revolver.)

GUY PARMELIN
Nom de bleu. C’est quoi ?

YVAN
Vous voulez un morceau grand comment ?

GUY PARMELIN
C’est un pistolet, là ?

YVAN
Oui. Vous voulez de la salée, oui ou non ?

GUY PARMELIN
Eh, oh, ça va, c’est un peu normal que j’aie de la peine à me concentrer quand on me propose du gâteau avec un flingue sous le nez.

YVAN
Bon, je vous mets un morceau comme ça et on n’en parle plus.

(GUY PARMELIN essaie de composer un numéro sur le portable. YVAN prend le revolver et menace GUY PARMELIN. Il s’approche pour lui enlever son téléphone et le jeter à Cour, où on entend qu’il se brise sur le carrelage de la cuisine en coulisse.)

GUY PARMELIN
Nom te chien !

YVAN
Je vais être bref. Le climat se barre en couilles. Vous êtes au pouvoir. Vous ne faites rien, ou en tous cas pas assez. Je suis venu vous offrir la chance de vous illustrer sur ce coup.

GUY PARMELIN
C’est Cassis, le président, cette année. Pourquoi vous n’allez pas le voir lui ?

YVAN
Il a autant de charisme qu’un pied de marmite en fonte. Ça ne marcherait pas avec lui. Tandis qu’avec vous, c’est top. Vous êtes un peu bonhomme, votre storytelling c’est le-terrien-avec-du-bon-sens-qui-a-été-élu-par-hasard. Les gens s’identifient à vous. Si vous leur dites que vous allez lancer la réforme écologique, ils pourront y croire.

GUY PARMELIN
Une réforme écologique ? Et pardon, mais vous pourriez arrêter de pointer ce truc sur moi ?

YVAN
Pardon, oui. Voilà le programme.
(Il lui tend un petit dossier relié.)

GUY PARMELIN
Bon, tant qu’on y est… Ça vous ennuie si je me ressers un verre ?

YVAN
Je prends volontiers un verre.

GUY PARMELIN
Vous ne manquez pas d’air.

YVAN
…Mais je manque de verre. Pow pow pow, la répartie !
(Un temps.)
Bon. Je fais partie d’un organisation, le Mouvement Sublime, qui vise à amener l’économie à un point d’équilibre écologique. Nous avons un programme en sept points qui vise à atteindre l’équilibre carbone en 2030, pour convaincre les autres nations de mettre en oeuvre la même réforme avant 2040. Si nous pouvons le faire en sept ans, les autres pourront le faire en dix ans.

GUY PARMELIN
Ecoutez, je crois que vous devriez parler directement à Simonetta. C’est elle qui a l’environnement. Et c’est une bosseuse, je sais qu’elle est en train de travailler sur une réforme qui /

YVAN
Vous ne comprenez pas. La population et l’industrie, les riches, les pauvres, tout le monde doit fournir un effort gigantesque si on veut éviter le mur. La pandémie, c’était seulement le début. Mais ça a montré que tout le monde pouvait faire un effort sans que l’économie s’écroule. Le monde est riche ! La société est riche ! Il faut virer de bord pour véritablement é-co-no-mi-ser. La sobriété ! Vous m’écoutez ?

(Un temps.)
(Puis GUY PARMELIN commence à rire. D’abord tout doucement, puis un rire énorme, inquiétant.)

GUY PARMELIN
C’est une blague ! J’ai compris, c’est une blague ! Vous êtes Vincent Veillon !

YVAN
Non.

GUY PARMELIN
C’est pour une émission, là ! 66 minutes !

(PARMELIN rit, se lève en riant, boit en riant, ne peut pas s’arrêter de rire. YVAN le rassoit en lui fourrant le revolver dans la bouche.)

YVAN
Il va m’écouter, le clown en peignoir ? Vous pouvez vous considérer comme séquestré. Mes partenaires vont arriver ici. On va miner la maison à l’explosif. Demain matin, on aura un communiqué de presse qui expose notre programme en sept points. Le Conseil Fédéral aura exactement une semaine pour les faire appliquer en arrêtés fédéraux, et /

GUY PARMELIN
Cha ch’appelle une tictatuwwe.

(YVAN enlève le flingue de la bouche de PARMELIN)

YVAN
Quoi ?

GUY PARMELIN
Ça s’appelle une dictature.
(Il se passe la main sur la bouche.)
En fait, vous les écolos vous vous présentez comme des socialistes, le vivre-ensemble, la démocratie. Mais pour vous c’est du bla-bla. Ce qui vous intéresse, c’est imposer votre mode de vie à tout le monde.

YVAN
Qui est le plus libre ? La caissière qui peut partir en vacances au Mexique, ou ses petits-enfants qui doivent fuir les semaines de canicule à répétition ?

GUY PARMELIN
Je vois pas le rapport.

YVAN
Vous ne voyez pas le rapport parce que vous ne l’avez jamais lu. Vous ne voyez pas le temps long. « Vous devez apprendre à penser en quatre dimensions, Marty ». Le système actuel nous donne une illusion de liberté, mais il asservira tout le monde dans cinquante ans. La trajectoire est merdique.

GUY PARMELIN
Ça c’est vous qui le dites.

YVAN
C’est le GIEC qui le dit. Et le rapport Meadows, et le rapport sur la biodiversité.

GUY PARMELIN
Ecoutez, c’est une discussion vraiment très intéressante, mais je doute que vous me convainquiez ce soir, je /

YVAN

C’est vous qui allez m’écoutez ! Jusqu’ici, les politiques n’ont fait que brasser de l’air. Le peuple a envie que ça change, mais reporte la faute sur les politiques. Les politiques reportent la faute sur l’économie. L’économie dit que ce sont les citoyens qui décident. Tout le monde se refile une énorme patate chaude. Une putain de patate brûlante. Une patate qui va prendre quatre degrés de plus d’ici à la fin du siècle. On hypothèque les chances des générations futures juste pour jouir d’un train de vie de folie. Alors oui, vous partez du principe que tout le monde est au courant de la situation, mais la vérité, c’est que la population est crispée par le déni, incapable de voir un horizon. Les gens sont prostrés, figés sur du court-terme, des vidéos de trois seconds et des story instagram avec des coupures de pub. Donnez l’exemple ! Pensez le temps long. Faites une proposition saine, un rêve commun. Vous bloquez toutes les idées qui sortent du plan du néolibéral, et vous /

(Pendant ces dernières phrases, un point rouge est apparu sur le front d’YVAN. Tout à coup, on entend une détonation, puis YVAN s’écroule, abattu d’une balle. À Jardin, une vitre s’est brisée et a fait tomber des éclats de verre.)
(Un temps.)

GUY PARMELIN
Merci, Cornelia.

(Entre CORNELIA, en tenue d’intervention.)

CORNELIA
Désolé. On devait attendre une fenêtre de tir.

GUY PARMELIN
Tout va bien. Je n’ai pas paniqué, hein ?

CORNELIA
Vous avez été impeccable.

GUY PARMELIN
J’ai senti qu’il n’était pas vraiment dangereux. Mais un moment, j’ai vraiment cru à une blague. Il ressemble à Veillon, non ? Ça m’a mis le doute.

CORNELIA
L’équipe va venir pour nettoyer.

GUY PARMELIN
De tchiou. (Il expire de soulagement.)
Je tremble quand même. (Il lève sa main qui tremble.)
Mais j’ai quand même été calme.
(Un temps.)
Il faut savoir prendre ses responsabilités.
(Un temps.)
Vous voulez de la salée ?

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Actualité, écologie, Choses politiques, Décroissance, Internet

Le goût des proportions

Cher Raphaël Mahaim, j’ai lu avec attention votre proposition relayée par le 24H et le Courrier de promouvoir 4 journées sans e-mail par an. J’ai énormément de respect pour vous et votre travail, notamment au cours des actions en justice pour les grévistes du climat, mais là, je pense que vous vous épuisez pour pas grand-chose.

4 jours par an, c’est 2% de 210 jours ouvrables. L’administration cantonale compte 39’000 employés. Par rapport à la population active du Canton de Vaud, c’est moins de 10%. Comme le dit 24H, on n’est pas sûr que ces « journées sans e-mail » fassent autre chose que déplacer le problème sur la journée suivante. Autrement dit, vous espérez viser 2% de l’activité de 10% de la population active sans réelle garantie d’efficacité.

L’article du 24H (ou votre communiqué de presse, peut-être), cite cet article de CarbonLiteracy, dont les données d’empreinte carbones « e-mail » sont tirées d’un bouquin de 2010 de Mike Berners-Lee (mis à jour en 2020) qui admet avoir fait des « maths de cuisine » dans cet article de la BBC. Autre problème : c’est l’auteurice de CarbonLiteracy qui a extrapolé (de sa propre utilisation) le chiffre de 1,5kg de CO2 par jour. Un bouquin de 2010 truffé d’estimations, relayé par une auteurice qui prend sa propre expérience pour déterminer un chiffre « scientifique », est-ce que c’est valable pour élaborer une politique, monsieur Mahaim ?

Je sais que je devrais éviter de mettre des bâtons dans le roues (de cycliste) d’amis écologistes, et la convergence des luttes, et la diversité des stratégies et tout et tout; mais là, sérieusement je pense que vous faites fausse route. Si l’objectif est de diminuer l’empreinte numérique dans l’administration, je vous propose les mesures suivantes :

  • Éduquer les employé·e·s du canton à ne pas « répondre à tous » quand c’est évitable
  • Apprendre au personnel à compresser des images ou pièces jointes
  • Se désabonner des newsletter internes et externes non pertinentes
  • Décourager le partage des vidéos en HD à l’interne

Mais vous pourriez même aller plus loin. J’ai vu que vous étiez fan de statistiques. Si la mesure est de réfléchir à l’impact écologique du numérique, peut-être qu’un autre chiffre vous intéressera :

Chaque minute sur PornHub, il y a 80’000 nouvelles visites (pour un équivalent de 12’550Go de données).

Autrement dit, chaque minute, il y a l’équivalent de 167 millions de mails qui circulent entre des serveurs pour que les gens se paluchent le bobichon (calculé sur une taille moyenne de mail de 75Kb) (mais c’est pas la taille qui compte). Ça veut dire qu’à la fin de la journée (bon, il faudrait environ 30 heures par jour, mais change pas de main on y est presque), on arriverait à… 300 milliards de mails, soit le chiffre de mails quotidiens planétaires. Donc si je résume,

Chaque jour, le trafic de donnée sur Pornhub équivaut au trafic de données des mails échangés sur terre.

Comme le dit mon pote Clément Montfort de la chaîne Next, peut-être qu’une véritable économie, ça serait de demander la limitation de la qualité vidéo pour le porno. Après tout, en 4K ou en 360p, une bite reste une bite.

Voilà un modèle de lettre. Bonne soirée.

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écologie, Décroissance

Yverdon-les-Bains 2040, extrait n°58

… avec le projet « memento mori » : on a envoyé à toute la population une affiche quadrillée en format mondial. Les hommes recevaient une affiche avec 83 sections de 365 cases, et les femmes avec quelques sections de plus. Chaque case représente une journée à vivre, et à la fin de l’affiche, vous êtes sensés – statistiquement – mourir.

Quelle était l’idée ?

L’idée, c’est de rappeler aux gens qu’ils vont mourir. Dans la société moderne après les années 1980, tous les messages de la société évacuent la notion de mort : la publicité vous fait croire que vous êtes invincible, les assurances vous protègent contre tous les risques et le transhumanisme du début des années 2000 continue sur cette lancée : vous pouvez vous faire cryogéniser, on remplacera vos organes par des prothèses numériques, etc. La notion de mort devient taboue. La pandémie a encore accentué ce mouvement, avec des cérémonie funéraires complètement occultées. On ne voyait plus la mort dans la société.

En quoi est-ce que c’était lié à l’écologie ?

C’est bien simple : la mort, c’est l’expression la plus simple de la nature. Dans un m2 de forêt, à chaque seconde il y a des millions de morts et des millions de renaissances, entre les bactéries qui digèrent, les pousses qui surgissent et les microbes qui s’entre-dévorent. C’est un cycle, il faut bien que tout meure pour que tout renaisse à nouveau. Or, tout ce qui est technologiquement humain – la mémoire, le langage, les robots – cherche à dépasser les notions d’oublis et de mort. Et l’homme du XXe siècle (et du début du suivant) se croit immortel. Bien sûr, il sait qu’il doit mourir, mais il ne le sent pas. Et cela contamine complètement son rapport aux limites : si vous vous croyez immortel, vous ne pensez pas à percevoir les limites de votre milieu, vous croyez qu’il est immortel aussi. Et donc, les problèmes écologiques deviennent secondaires.

Quel était le message de « memento mori » ?

Avec l’affiche, les gens recevaient un mode d’emploi pour la remplir qui disait : chaque jour, vous cocherez la case correspondante à la journée écoulée. Vous verrez ainsi que vous vous rapprochez inéluctablement du coin de la feuille. Un jour, vous n’aurez plus de cases à cocher.

Mais c’est hyper-déprimant, non ?

Ce qui est hyper-déprimant, comme vous dites, c’est d’avoir évacué cette réalité. Ce qui est horrible, c’est se bercer d’illusion, c’est fuir cette réalité. Vous allez mourir. À partir de là, tout l’intérêt vient de se dire comment vous allez occuper les cases qui vous restent à cocher : est-ce que vous préférez faire une orgie de Netflix ou cultiver un jardin ? Est-ce que vous préférez vous enivrer devant un match de football, ou oeuvrer pour de meilleures conditions d’existence pour vos enfants (qui ont aussi reçu leur affiche…). Pour la plupart des gens, ça a été un électrochoc sur le sens de leur vie et leurs priorités sur le long terme.

Le long terme ?

C’était l’aspect central du programme. Trois mois après les premières affiches, on envoyait la même affiche avec une projection graphique de la température terrestre. Basée sur les chiffres du GIEC, les gens pouvaient comprendre les implications des différents scénarios de réaction au réchauffement climatique : A– business as usual, B– développement durable, C– sobriété librement souhaitée. Sans surprise, c’était le scénario C qui faisait apparaître les meilleures perspectives.

D’où vous est venu l’idée de ce projet ?

En 2020, pendant la pandémie, les librairies ont connu une augmentation des ventes et ont publié leurs statistiques. Grosse surprise : le lectorat se tournait de plus en plus vers la philosophie. Et d’un autre côté, on voyait que toutes les options de l’écologie politique étaient bloquées : les industries accusaient les consommateurs d’engendrer une demande pour des biens énergivores, les consommateurs demandaient un cadre légal et politique; quant aux politiques, ils étaient très mal pris, entre incapacité à appréhender la complexité du problème du réchauffement climatique et les difficultés à hiérarchiser les solutions à entreprendre.
Nous, on est parti d’une idée utopiste mais très simple : changer le coeur des gens. Si on arrive à raconter des histoires convaincantes sur le fait que « moins », c’est « mieux », alors le cercle vicieux de l’hyper-consommation va s’inverser. Pour nous, chaque renoncement devenait une occasion de faire la fête !

« Yverdon-les-Bains 2040 – Comment une ville a lancé la transition post-capitaliste »

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Décroissance

Yverdon-les-Bains 2040, extrait n°17

« …et c’est probablement la votation sur les produits phytosanitaires qui a été un déclencheur. Le débat était très polarisé, les gens croyaient qu’il fallait voter 2xOUI ou 2xNON sans chercher à comprendre la nuance. De notre point de vue, l’initiative « Eau propre » allait beaucoup trop loin, sans marge de manoeuvre pour les agriculteurs. Par contre, il était fondamental d’envoyer un signal fort à l’agriculture utilisant des pesticides; avec un comité, on a défendu le OUI à cette initiative.

Mais l’initiative anti-pesticides était très radicale tout de même, non ?

Pas vraiment. Le lobby des gros agriculteurs avait peur de changer ses habitudes et de diminuer ses marges. Mais c’est surtout la grande distribution (Coop, Migros) qui aurait souffert. Economie Suisse agitaient le spectre d’une agriculture qui ne pouvait pas couvrir les besoins de la population, mais c’est faux : l’agroécologie obtient parfois même de meilleurs rendements (surtout sur le long terme) qu’une agriculture dite « intensive ». On a voulu changer le récit. À l’époque, les gens pensaient que l’assortiment « bio » revenait vraiment beaucoup plus cher. On a sélectionné 1000 foyers au hasard dans la Ville, et on leur a donné un crédit illimité pour remplacer tous leurs achats « conventionnels » par des achats « bios ».

Ça supposait un contrôle de leurs achats, donc. Ils ont tous acceptés ?

Non, loin de là : une bonne moitié (56%) des foyers ont refusé notre proposition. Mais on a déjà beaucoup appris : les gens détestent qu’on se mêle de leurs affaires budgétaires. Dans les années vingt, on croit encore que la liberté, c’est la liberté de consommer ce qu’on veut. Heureusement que ça a déjà beaucoup changé. Mais à l’époque, on était devant ce gros problème : il fallait pouvoir s’immiscer dans l’intimité financière des gens. Pour les foyers participants à l’opération « bio-remboursé », on a pu montrer qu’il y avait une amélioration de leur bien-être, de leur santé et de l’impact sur les externalités positives : quand le maraîcher local peut vivre de son entreprise, c’est tout un tissu économique qui refleurit.
Il fallait pouvoir montrer aux gens que leurs priorités de consommation devaient changer. On a fait quelques pointages et on a vu que les gens dépensaient moins de 15% de leur budget mensuel pour l’alimentation. Au début du XXe siècle, ce chiffre oscillait autour de 30%. On pourrait voir ça comme un progrès ou une économie, mais en libérant cette marge de 15%, les gens achètent de la camelote : des écrans plats, des cigarettes et des abonnements Netflix. Il fallait déconstruire les habitudes de consommation.

C’est le début de l’opération IWMYH ?

Oui, on a emprunté le concept a une activiste américaine. Elle levait mensuellement des fonds pour acheter des espaces publicitaires à côté des centres commerciaux. Des visuels très simple, avec un slogan choc : « It Won’t Make You Happy » – ce qu’on a traduit en français par « C’est pas ça qui vous rendra heureux. » Il faut se rappeler qu’en 2021, le consommateur moyen est bombardé de 2000 messages publicitaires par jour. Essentiellement, ce que disent ces publicités, c’est : « Il vous manque ceci, vous n’êtes pas complet, votre bonheur sera total quand vous aurez acheté ce produit. » Les gens croient résister à ce genre d’incitation, mais c’est très insidieux. Vous croyez être libre, et à la fin de la journée, vous videz quand même une boîte d’anxiolytique.

C’est à partir de là que vous avez pu supprimer la publicité dans toute la ville ?

Oui, il y a eu la décision courageuse du groupe des « Casseuses de Pub », une poignée de conseillères communales qui ont lancé une initiative pour interdire la publicité à caractère commercial. On a récupéré les espaces publicitaires pour les institutions culturelles, pour des dessins d’enfant, pour de l’affichage libre, etc.

Mais… Et les recettes publicitaires ?

C’était très opaque : la majeure partie allait à la Société Générale d’Affichage. Et de notre point de vue, c’était un investissement sur le long terme : en 10 ans, les coûts de la santé, les consultations psy, la consommation d’anxiolytiques, tout ça a chuté sur le territoire de la commune. On a maintenu des entretiens tout au long de ce processus avec des foyers-types, pour évaluer les répercussions. Les gens ne s’en rendaient pas toujours compte, mais ils allaient mieux. On avait supprimé la pub et les gens allaient mieux. »

« Yverdon-les-Bains 2040 – Comment une ville a lancé la transition post-capitaliste »

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Yverdon-les-Bains 2040, extrait n°23

« … et depuis, on est arrivé à éliminer 87% des voitures. Le concept est en train de faire tache d’huile en périphérie, où les petits villages font pression sur les entreprises de transports publics pour financer de nouvelles lignes et de nouveaux arrêts. Les gens n’ont plus l’excuse du Je prendrais bien le bus, mais il n’y a pas assez de cadence pour que je puisse rentrer chez moi à une heure raisonnable.« 

Mais revenons au départ de l’idée : quel a été le déclencheur ?

Le premier prototype de notre politique, c’était d’interdire la voiture. Ça soulevait plein d’objections, sur les libertés individuelles, sur le transport des personnes âgées, sur les véhicules d’urgence, les entreprises du bâtiment, etc. Alors nous avons réunis un paquet de données : les statistiques de trajets les plus utilisés, le nombre de kilométrage par personne, les coûts engendrés, mais surtout les consultations avec des usagères-types.
Ça nous a montré que le 80% des trajets sont le résultats d’habitudes : les pendulaires pour le travail, mais aussi le transport des enfants pour des activités récréatives, etc. Pour être précis, en 2022, on voyait encore que 73% des trajets en voiture pourraient être réalisés en transport public, mais que cette solution prendrait plus de temps : en moyenne, un trajet de 20 minutes en voiture vous prend 29 minutes en transports publics. Donc la conductrice d’une voiture gagne 18 minutes de temps libre – il faut compter l’aller et le retour – par journée par rapport à l’usager des transports publics. Sous cet angle, c’est normal que les gens favorisaient la voiture.

Et donc, vous avez utilisé le principe du « Nudge » pour les influencer ?

Pas seulement. C’est vrai, on a utilisé beaucoup d’incitations : gratuité des transports publics, hausse du prix de l’essence à partir d’une certain quota d’utilisation et parkings en périphérie. Mais les gens continuaient à buter sur cet argument du prix et du temps. Alors on a calculé que la voiture leur coûtait en fait 500.- par mois, en moyenne. Entre le prix d’achat, l’entretien, les assurances et le carburant, vous arrivez à ce prix. L’usagère-type doit donc travailler environ 10 heures par mois pour gagner 500.-, et donc compenser sont « droit à conduire ». Ramené par jour, la conductrice perd 28′ à travailler pour gagner 18′ de conduite. Quand on a pu faire comprendre ça aux gens, ils ont vendu leur véhicule. »

« Yverdon-les-Bains 2040 – Comment une ville a lancé la transition post-capitaliste »

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