… avec le projet « memento mori » : on a envoyé à toute la population une affiche quadrillée en format mondial. Les hommes recevaient une affiche avec 83 sections de 365 cases, et les femmes avec quelques sections de plus. Chaque case représente une journée à vivre, et à la fin de l’affiche, vous êtes sensés – statistiquement – mourir.
Quelle était l’idée ?
L’idée, c’est de rappeler aux gens qu’ils vont mourir. Dans la société moderne après les années 1980, tous les messages de la société évacuent la notion de mort : la publicité vous fait croire que vous êtes invincible, les assurances vous protègent contre tous les risques et le transhumanisme du début des années 2000 continue sur cette lancée : vous pouvez vous faire cryogéniser, on remplacera vos organes par des prothèses numériques, etc. La notion de mort devient taboue. La pandémie a encore accentué ce mouvement, avec des cérémonie funéraires complètement occultées. On ne voyait plus la mort dans la société.
En quoi est-ce que c’était lié à l’écologie ?
C’est bien simple : la mort, c’est l’expression la plus simple de la nature. Dans un m2 de forêt, à chaque seconde il y a des millions de morts et des millions de renaissances, entre les bactéries qui digèrent, les pousses qui surgissent et les microbes qui s’entre-dévorent. C’est un cycle, il faut bien que tout meure pour que tout renaisse à nouveau. Or, tout ce qui est technologiquement humain – la mémoire, le langage, les robots – cherche à dépasser les notions d’oublis et de mort. Et l’homme du XXe siècle (et du début du suivant) se croit immortel. Bien sûr, il sait qu’il doit mourir, mais il ne le sent pas. Et cela contamine complètement son rapport aux limites : si vous vous croyez immortel, vous ne pensez pas à percevoir les limites de votre milieu, vous croyez qu’il est immortel aussi. Et donc, les problèmes écologiques deviennent secondaires.
Quel était le message de « memento mori » ?
Avec l’affiche, les gens recevaient un mode d’emploi pour la remplir qui disait : chaque jour, vous cocherez la case correspondante à la journée écoulée. Vous verrez ainsi que vous vous rapprochez inéluctablement du coin de la feuille. Un jour, vous n’aurez plus de cases à cocher.
Mais c’est hyper-déprimant, non ?
Ce qui est hyper-déprimant, comme vous dites, c’est d’avoir évacué cette réalité. Ce qui est horrible, c’est se bercer d’illusion, c’est fuir cette réalité. Vous allez mourir. À partir de là, tout l’intérêt vient de se dire comment vous allez occuper les cases qui vous restent à cocher : est-ce que vous préférez faire une orgie de Netflix ou cultiver un jardin ? Est-ce que vous préférez vous enivrer devant un match de football, ou oeuvrer pour de meilleures conditions d’existence pour vos enfants (qui ont aussi reçu leur affiche…). Pour la plupart des gens, ça a été un électrochoc sur le sens de leur vie et leurs priorités sur le long terme.
Le long terme ?
C’était l’aspect central du programme. Trois mois après les premières affiches, on envoyait la même affiche avec une projection graphique de la température terrestre. Basée sur les chiffres du GIEC, les gens pouvaient comprendre les implications des différents scénarios de réaction au réchauffement climatique : A– business as usual, B– développement durable, C– sobriété librement souhaitée. Sans surprise, c’était le scénario C qui faisait apparaître les meilleures perspectives.
D’où vous est venu l’idée de ce projet ?
En 2020, pendant la pandémie, les librairies ont connu une augmentation des ventes et ont publié leurs statistiques. Grosse surprise : le lectorat se tournait de plus en plus vers la philosophie. Et d’un autre côté, on voyait que toutes les options de l’écologie politique étaient bloquées : les industries accusaient les consommateurs d’engendrer une demande pour des biens énergivores, les consommateurs demandaient un cadre légal et politique; quant aux politiques, ils étaient très mal pris, entre incapacité à appréhender la complexité du problème du réchauffement climatique et les difficultés à hiérarchiser les solutions à entreprendre.
Nous, on est parti d’une idée utopiste mais très simple : changer le coeur des gens. Si on arrive à raconter des histoires convaincantes sur le fait que « moins », c’est « mieux », alors le cercle vicieux de l’hyper-consommation va s’inverser. Pour nous, chaque renoncement devenait une occasion de faire la fête !
« Yverdon-les-Bains 2040 – Comment une ville a lancé la transition post-capitaliste »
G E N I AL!! Tu es tellement brillant!
>
Merci ! Probablement la gomina que je me passe dans les cheveux (Rausch anti-résidus)
Mais qui se croit immortel, à part quelques richissimes farfelus qui pensent y parvenir?
Il me semble un peu réducteur pour l’être humain de penser qu’en cochant des cases on va prendre conscience de notre mortalité.
Jardiner en revanche oui, en pleine conscience si possible, mais encore faut-il en avoir un. Peut-être peut-on rendre ce bien accessible à toutes et tous?