Décroissance

Yverdon-les-Bains 2040, extrait n°17

« …et c’est probablement la votation sur les produits phytosanitaires qui a été un déclencheur. Le débat était très polarisé, les gens croyaient qu’il fallait voter 2xOUI ou 2xNON sans chercher à comprendre la nuance. De notre point de vue, l’initiative « Eau propre » allait beaucoup trop loin, sans marge de manoeuvre pour les agriculteurs. Par contre, il était fondamental d’envoyer un signal fort à l’agriculture utilisant des pesticides; avec un comité, on a défendu le OUI à cette initiative.

Mais l’initiative anti-pesticides était très radicale tout de même, non ?

Pas vraiment. Le lobby des gros agriculteurs avait peur de changer ses habitudes et de diminuer ses marges. Mais c’est surtout la grande distribution (Coop, Migros) qui aurait souffert. Economie Suisse agitaient le spectre d’une agriculture qui ne pouvait pas couvrir les besoins de la population, mais c’est faux : l’agroécologie obtient parfois même de meilleurs rendements (surtout sur le long terme) qu’une agriculture dite « intensive ». On a voulu changer le récit. À l’époque, les gens pensaient que l’assortiment « bio » revenait vraiment beaucoup plus cher. On a sélectionné 1000 foyers au hasard dans la Ville, et on leur a donné un crédit illimité pour remplacer tous leurs achats « conventionnels » par des achats « bios ».

Ça supposait un contrôle de leurs achats, donc. Ils ont tous acceptés ?

Non, loin de là : une bonne moitié (56%) des foyers ont refusé notre proposition. Mais on a déjà beaucoup appris : les gens détestent qu’on se mêle de leurs affaires budgétaires. Dans les années vingt, on croit encore que la liberté, c’est la liberté de consommer ce qu’on veut. Heureusement que ça a déjà beaucoup changé. Mais à l’époque, on était devant ce gros problème : il fallait pouvoir s’immiscer dans l’intimité financière des gens. Pour les foyers participants à l’opération « bio-remboursé », on a pu montrer qu’il y avait une amélioration de leur bien-être, de leur santé et de l’impact sur les externalités positives : quand le maraîcher local peut vivre de son entreprise, c’est tout un tissu économique qui refleurit.
Il fallait pouvoir montrer aux gens que leurs priorités de consommation devaient changer. On a fait quelques pointages et on a vu que les gens dépensaient moins de 15% de leur budget mensuel pour l’alimentation. Au début du XXe siècle, ce chiffre oscillait autour de 30%. On pourrait voir ça comme un progrès ou une économie, mais en libérant cette marge de 15%, les gens achètent de la camelote : des écrans plats, des cigarettes et des abonnements Netflix. Il fallait déconstruire les habitudes de consommation.

C’est le début de l’opération IWMYH ?

Oui, on a emprunté le concept a une activiste américaine. Elle levait mensuellement des fonds pour acheter des espaces publicitaires à côté des centres commerciaux. Des visuels très simple, avec un slogan choc : « It Won’t Make You Happy » – ce qu’on a traduit en français par « C’est pas ça qui vous rendra heureux. » Il faut se rappeler qu’en 2021, le consommateur moyen est bombardé de 2000 messages publicitaires par jour. Essentiellement, ce que disent ces publicités, c’est : « Il vous manque ceci, vous n’êtes pas complet, votre bonheur sera total quand vous aurez acheté ce produit. » Les gens croient résister à ce genre d’incitation, mais c’est très insidieux. Vous croyez être libre, et à la fin de la journée, vous videz quand même une boîte d’anxiolytique.

C’est à partir de là que vous avez pu supprimer la publicité dans toute la ville ?

Oui, il y a eu la décision courageuse du groupe des « Casseuses de Pub », une poignée de conseillères communales qui ont lancé une initiative pour interdire la publicité à caractère commercial. On a récupéré les espaces publicitaires pour les institutions culturelles, pour des dessins d’enfant, pour de l’affichage libre, etc.

Mais… Et les recettes publicitaires ?

C’était très opaque : la majeure partie allait à la Société Générale d’Affichage. Et de notre point de vue, c’était un investissement sur le long terme : en 10 ans, les coûts de la santé, les consultations psy, la consommation d’anxiolytiques, tout ça a chuté sur le territoire de la commune. On a maintenu des entretiens tout au long de ce processus avec des foyers-types, pour évaluer les répercussions. Les gens ne s’en rendaient pas toujours compte, mais ils allaient mieux. On avait supprimé la pub et les gens allaient mieux. »

« Yverdon-les-Bains 2040 – Comment une ville a lancé la transition post-capitaliste »

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3 réflexions sur “Yverdon-les-Bains 2040, extrait n°17

  1. Line Richardet dit :

    Yeeeessss ! merci et bravo…et zut de zut je ne verrai pas 2040, Bonne Chance à vous les jeunes , grôbecs, Mum

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