Courants d'impro

Droit d’auteur et improvisation théâtrale

Il y a un gros débat au sein de la communauté d’impro: la Ligue d’Improvisation Belge (LIB) attaque en justice la Ligue d’Improvisation Professionnelle Wallonie-Bruxelles (LIP) pour plagiat, arguant que le concept « Versus » est trop proche du Match (article ici).

Voilà pourquoi je pense que c’est un action en justice ridicule:

On ne peut pas protéger une idée

Au niveau du droit suisse (je ne connais pas le droit belge), il est impossible de protéger une idée (c’est dit ici). Le droit d’auteur ne protège généralement que les oeuvres individuelles. Donne-moi un texte, je peux le protéger. Siffle-moi une mélodie, je peux la protéger. Invente-moi un titre ou un nom de marque, passe encore. Mais si tu me donnes une idée, un concept, un projet, je ne peux pas le protéger.
Je peux donc transcrire un Match d’impro et le protéger en tant que spectacle, ou à la rigueur consigner le protocole de début, le discours du MC, les vannes de l’arbitre, mais rien n’empêche une autre troupe de représenter un autre spectacle sur la seule idée de deux équipes qui s’affrontent dans un décorum sportif. 

C’est qui les créatifs?

Hey les mecs, je vous parle, là, LIB comme LIP: voler c’est mal, et je suis intimement persuadé de la valeur du droit d’auteur. Donc vous auriez pu, de part et d’autre, inventer des autres manières de faire de l’impro, vos divergences de vues étaient là pour vous pousser à être créatif. Vous auriez pu vous critiquer de manière constructive, proposer votre assistance et votre expertise, vous auriez pu aider vos potes plutôt que les astreindre à comparaître.
Il y a déjà eu plein de copies de concept. C’est très mal, et c’est résumé par Patti Stiles ici: si votre troupe adoooore un concept qu’elle a vu, qu’elle se sorte les pouces du cul pour s’en inspirer, mais lui donner un goût spécial, inédit, individuel et exceptionnel.
Ce soir, je vais jouer le spectacle SOFA de la Compagnie du Cachot, inspiré librement de LifeGame (mais c’est pas un LifeGame, on n’a même jamais vu un LifeGame en vrai), inspiré librement du Armando (mais c’est pas un Armando), inspiré librement des interviews de Jimmy Fallon (mais on n’est pas Jimmy Fallon): à partir de diverses influences, de dix ans d’expérience et de seize heures d’exploration, on a créé une nouvelle formule, extrêmement simple, que personne d’autre ne joue en Suisse romande.

Fais pas chialer les putes

Au début de l’aventure de la Comédie Musicale Improvisée, je me suis renseigné pour savoir si on pouvait se protéger au niveau du droit d’auteur.

– Non, me dit la nana au bout du fil.
– Mais si quelqu’un veut faire le même spectacle?
– Vous pouvez protéger le nom, mais pas le concept, me dit la nana.

Ça veut dire, cher lecteur, que vous pouvez former une troupe de débutant, appeler le spectacle « On improvise une comédie musicale », que vous pouvez faire le même genre de spectacle, et que je ne pourrai rien faire pour vous en empêcher.

Mais je m’en fiche un peu, parce que si vous arrivez à faire un spectacle de meilleure qualité que nous, sans investir 3 ans d’entraînements et de travail sur l’outil, vous méritez mon respect le plus sincère.

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La générosité extra-large

Je donnais un stage d’improvisation le week-end dernier à Genève, pour une équipe amateur.

Au deuxième jour, un des participants vient me voir pendant une pause: « C’est marrant, tu as dit un truc quand tu citais la philosophie à l’américaine de considérer son partenaire comme un génie, un artiste et un poète. Je pense que ça vaut la peine de le répéter aux prochaines équipes que tu entraînes, parce que c’est rarement le cas en Suisse romande. »

Le pire, c’est que sa remarque s’étend peut-être à toute l’impro francophone…amour-extra-large-2001-05-g

Si vous prenez n’importe quel bouquin d’impro en anglais, vous trouverez assez vite ce genre de conseil: « Make your partner look good » (Johnstone), « Treat everyone in the room as an artist, a poet and a genius » (iO, Del Close), « Start doing what makes your scene partner happy » (Jill Bernard), ce genre de conseil qui vous oriente sur le partenaire.

Pour moi, il y a là une différence fondamentale entre les approches francophones et anglo-saxonnes. Si je caricature (on est bien d’accord, je force le trait, hein!):

Approche francophone de l’impro Approche anglo-saxonne
Vive la créativité de chacun ! Vive la créativité du groupe !
Votre partenaire est cool, mais il sera aussi parfois votre adversaire Votre partenaire va toujours vous inspirer
Gloire au comédien soliste ! Gloire au spectacle organique !
« Entrer en lead » sur une impro. Commencer une scène et écouter le partenaire.

J’en veux pour preuve certaines réflexions entendues lors de débriefings, lues sur des forums d’impro, ou alors cet article sur « gérer les joueurs rudes » en impro. Bien sûr, vous connaissez déjà mon hypothèse: le format Match conduit à une impro « compétitive » au détriment d’une conception de l’impro comme un art purement collaboratif.

Hey! Je ne veux pas faire de l’angélisme: les boulets existent en impro. Ou les joueurs en crise de confiance (le shitty mode, la Vallée de Je-fais-de-merde). Mais si vous vous retrouvez à être leur partenaire de jeu, alors vous avez le pouvoir de transformer leur étron créatif en chef d’oeuvre d’or.

« La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde. »

Margaret W. Hungerford

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