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Idée folle

L’homme raisonnable s’adapte au monde; l’homme déraisonnable s’obstine à essayer d’adapter le monde à lui-même. Tout progrès dépend donc de l’homme déraisonnable.

George Bernard Shaw (1856-1950)

Il y a quinze ans, la fanfare de Pomy cherchait une nouvelle formule de concert pour continuer à attirer son public. À l’assemblée extraordinaire, on se creusait la tête. Les propositions conventionnelles ne passaient pas la rampe: « On pourrait prendre un imitateur en 2ème partie » –  » On pourrait engager un autre ensemble renommé » – « On pourrait offrir les cafés ».
Tout à coup, quelqu’un ose le pas: « On pourrait proposer un repas-spectacle, en servant une bonne saucisse à rôtir avant le concert. »
Un musicien lance à la cantonade, sûr d’essuyer un refus hilare: « Ha ha! Et pourquoi pas faire boucherie nous-mêmes, pendant qu’on y est? »

Personne ne rit.

Quinze ans que ça dure.

Dernier Sourire

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Enseignement, Improvisation et créativité

Contre les taxidermistes: banalité et originalité

La plupart des gens pensent qu’ils n’ont aucune imagination. « Je suis incapable d’inventer une histoire! », dit l’un. « Je ne suis pas très créatif », dit l’autre. « Ah, pour faire de l’impro, il faut avoir le don: toi, tu as de la répartie, mais moi je ne pourrais pas inventer autant de choses à la fois. »

Si c’était le cas, mon gars, tes rêves seraient mortellement ennuyeux. Or, je suis prêt à parier que tes scénarios nocturnes sont plus originaux que la collection Kubrick, plus créatifs que les films de Gus Van Sant et plus drôles que les derniers Walt Disney (bon, c’est pas vraiment dur non plus, pour ce dernier exemple fort mal choisi).

En fait, j’ai le culot de prétendre que nous avons tous les mêmes potentialités en matière d’imagination. Oui, mesdames et messieurs. Nous sommes tous des créateurs en puissance. Mais les artistes, les créatifs et les improvisateurs ont développé (parfois instinctivement) certaines méthodes pour « apprivoiser » leurs idées, accéder à leur inspiration et créer une matière originale.

Chat couchant

Une matière originale? Pas tant que ça. C’est même le concept d’originalité qui bloque souvent toute création: vos profs vous interdisaient de « copier sur votre voisin » et vous apprenait l’existence d’un abîme infranchissable entre votre prose et celle de Maupassant. Or Maupassant a copié son « voisin » Flaubert. Et Flaubert s’est inspiré de Balzac, qui lui-même puisait chez Molière, lequel « prenait son bien » dans les comiques latins, lesquels pompaient sans doute copieusement dans les mythes étrusques racontés par des villageois qui n’avaient pas inventé la poudre.

Le mot « inventer » signifie même « reconnaître ce qui est déjà là », plutôt que « créer quelque chose de nouveau »: INVENIRE, en latin, c’est justement « venir à, rencontrer, tomber sur » quelque chose que les autres ont déjà découvert une fois. Mesdames et messieurs, il n’y a donc aucune honte à copier votre voisin: les voies de la création personnelle passent par une nécessaire confrontation aux découvertes et aux influences des autres.

L’effet pervers de notre éducation, c’est de nous avoir fait croire à un idéal de l’originalité lié à la complexité de sa mise au point. Si je compose une symphonie qui n’utilise que des grille-pains et des fers à friser pour instruments, on va crier au génie: je deviendrai le créateur d’une oeuvre « très originale, carrément novatrice ». Tout ça ne va pas vraiment faire avancer le schmilblick, à partir du moment où une telle oeuvre ne plaira qu’aux snobinards parisiens et à l’intelligentsia yverdonnoise.

De fait, on constate le même phénomène dans les suggestions données par le public dans un spectacle d’impro. Le public criera plus volontiers des mots comme « hypocondriaque, ornithorynque, taxidermiste », plutôt que des suggestions plus banales comme « malade, poisson, pompier » (mais qui nous inspireraient davantage, puisqu’elle s’inscrivent dans un contexte beaucoup plus riche en références). Ces spectateurs espiègles croient rendre le job des improvisateurs plus difficile, mais ils le rendent surtout… inintéressant.

D’ailleurs, depuis le début de la saison d’improvisation, j’ai déjà joué deux fois le rôle d’un taxidermiste. À force, je vais me retrouver avec la SPA sur le dos.

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