Écriture, Choses politiques

Les deux manières

Il y a deux manières d’être riche: avoir beaucoup, ou désirer moins.
Il y a deux manières d’aimer son prochain: le rendre aimable, ou le trouver parfait.
Il y a deux manières de rencontrer Dieu: le chercher toute sa vie, ou savoir qu’il est en chacun de nous.

à l'abri

Il y a deux manières d’être riche: avoir beaucoup, ou désirer moins.

Au début, les gens mangeaient leurs légumes, cultivaient leur jardin et discutaient au clair de lune. Et puis un fou est arrivé, leur a dit que dans un pays lointain, les gens labouraient avec de meilleurs outils, semaient de meilleures semences et faisaient de meilleures récoltes (ce qui leur permettait de prendre des vacances en Italie). Les gens ont pris le fou au sérieux, ont voulu construire des charrues à trois socs, sont allés chez le forgeron qui voulait être payé avec de la nourriture; alors les gens ont voulu défricher plus de terres cultivables pour nourrir le forgeron, sont allés chez les bûcherons qui voulaient être payés avec plus de nourriture; alors les gens ont voulu envahir leurs voisins pour nourrir les bûcherons. Mais l’armurier était malade, alors ils ont du travailler comme des fous, et ils attendent encore leurs vacances (en Italie).
Depuis, le fou est mort et enterré, mais les gens continuent à croire à ses promesses.

Il y a deux manières d’aimer son prochain: le rendre aimable, ou le trouver parfait.

Au début, on s’aimait comme des fous, insouciants et stupides: on folâtrait dans la nature avec les vaches et les brebis. Et puis Femina a fait paraître ce fameux quiz « Avez-vous le partenaire idéal? » et tu l’as fait pour moi et je l’ai fait pour toi et on s’est fait la gueule pendant un mois, en croyant que l’idéal était plus important que le moment présent. Quand l’idéal est entré dans nos vies, nous sommes entrés dans nos têtes: tout devenait conditionnel, tout devenait futur; tout devenait intellectuel, tout devenait culture; et on a commencé à croire que l’un devait compléter l’autre, que l’autre devait stimuler l’un. On s’est pris mutuellement en défaut, alors que l’on était déjà parfaits.
L’amour, ça se construit; les briques ne manquent jamais.

Il y a deux manières de rencontrer Dieu: le chercher toute sa vie, ou savoir qu’il est en chacun de nous.

Au début, je vivais avec la nature, le ciel et les nuages. Un jour, un homme est arrivé, tout en noir avec une tache blanche au cou. Il m’a dit que Dieu était mort pour moi sur la croix, et que les différences entre le Bien et le Mal étaient inscrites sur les pages d’un grand livre (plutôt que sur les veines de mon cœur). On m’a dit que Dieu nous regardait d’en haut, qu’il nous aimait mais nous laissait libres. Moi, ça m’étonnait. Dieu, je l’avais toujours entendu à l’intérieur de moi. Et je ne l’appelais pas Dieu. Je ne l’appelais pas: je le sentais.
Le jour où je me suis rappelé que j’étais Dieu, que tout le monde était Dieu, j’ai souri.
Et je souris encore.

Quel scandale pour le productivisme, si les gens savaient qu’ils ont déjà tout.
Quel scandale pour le sentimentalisme, si les gens savaient qu’ils sont tout.
Quel scandale pour le fondamentalisme, si les gens savaient qu’ils sont Le Grand Tout.

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Actualité

Pour que Doris relise Boris

Un interview de Doris Leuthard pour le 24Heures m’a fait bondir sur ma chaise. Ma tête à cogné le plafond, et ma cervelle s’est répandue sur le carrelage de la cuisine, tandis que ma boîte crânienne retombait comme une feuille aux couleurs d’automne. Mes deux chats jaunes sont venus se régaler de ma matière grise, et j’étais vert de rage lorsque j’ai repris mes esprits.Doris

S’il était encore vivant, je proposerais volontiers à Mme Leuthard de laisser son poste à Boris Vian; mais vu qu’il est mort depuis 50 ans, c’est un peu difficile. D’ailleurs, qui s’est soucié de lui rendre hommage cette année, hein? Personne! Alors bravo la reconnaissance, bordel! Mais ce qu’il y a de bien avec un écrivain mort, c’est qu’on peut le relire avec la certitude qu’il a laissé quelque chose à la postérité, à la différence des politiciens de droite.

Je propose donc officiellement à Mme Leuthard de relire la prose (et la poésie) de M. Vian, écrivain, ingénieur, inventeur, musicien, auteur, parolier, poète, critique, scénariste et traducteur (excusez du peu; c’est vrai qu’avant TF1, les artistes se mêlaient de tout et refusaient les étiquettes qui collent).  À la lumière des brillants passages de Boris, Doris pourra certainement trouver des contre-arguments de choix, ce qui lui évitera de nous jouer du pipeau (Boris jouait de la trompette) quand elle nous dit que les « armes ont une fonction dissuasive, et peuvent servir en ce sens d’instruments de dialogue. » À ce niveau d’argumentation, moi j’ai tendance à prêcher la décapitation immédiate, mais je me retiens (après tout, la guillotine est-elle un instrument de dialogue?) pour laisser la parole au poète:

Colin entra. La pièce était petite, carrée. Les murs et le sol étaient de verre. Sur le sol, reposait un gros massif de terre en forme de cercueil, mais très épais, un mètre au moins. Une lourde couverture de laine était coulée à côté par terre. Aucun meuble. Une petite niche, pratiquée dans le mur renfermait un coffret de fer bleu. L’homme alla vers le coffret et l’ouvrit. Il en retira douze objets brillants et cylindriques avec un trou au milieu, minuscule.
– La terre est stérile, vous savez ce que c’est, dit l’homme, il faut des matières de premier choix pour la défense du pays. Mais, pour que les canons de fusil poussent régulièrement, et sans distorsion, on a constaté, depuis longtemps qu’il faut de la chaleur humaine. Pour toutes les armes, c’est vrai, d’ailleurs.
– Oui, dit Colin.
– Vous pratiquez douze petits trous dans la terre, dit l’homme, répartis au milieu du cœur et du foie, et vous vous étendez sur la terre après vous être déshabillé. Vous vous recouvrez avec l’étoffe de laine stérile qui est là, et vous vous arrangez pour dégager une chaleur parfaitement régulière.
Il eut un rire cassé et se tapa la cuisse droite.
– J’en faisais quatorze les vingt premiers jours de chaque mois. Ah!… j’étais fort!…
– Alors? demanda Colin.
– Alors vous restez comme ça vingt-quatre heures, et, au bout de vingt-quatre heures, les canons de fusil ont poussé. On vient les retirer. On arrose la terre d’huile et vous recommencez.
(L’Écume des Jours, chapitre 51)

Ça, c’est pour le côté émotionnel et onirique de l’argumentaire; à l’image des canons de Colin, Doris Leuthard s’enfonce encore plus avant dans la bêtise, en criant au massacre de 5’100 emplois. Voilà où se situe le débat: des guerres contre des emplois! « De la chair contre du papier-monnaie »! C’est juste une variation sur le thème du « pétrole contre des médicaments ». Et on revient toujours à ce sacro-saint argument de l’emploi: le travail, toujours le travail, comme une litanie, un mythe de paix dans le monde. Lorsque tout le monde travaillera, la paix universelle sera atteinte, ha ça oui! Leuthard nous présente le travail comme un but, une fin en soi, l’Achèvement Ultime!

Le paradoxe du travail, c’est que l’on ne travaille, en fin de compte, que pour le supprimer.
Et refusant de constater honnêtement son caractère nocif, on lui accorde toutes les vertus pour masquer son côté encore inéluctable.
De fait, le véritable opium du peuple, c’est l’idée qu’on lui donne de son travail. Comme si le travail était autre chose qu’un moyen, transitoire, de conquête de l’univers par l’homme.
[…]
La guerre est la forme la plus raffinée et la plus dégradante du travail puisque l’on y travaille à rendre nécessaire de nouveaux travaux.
(Traité de civisme, fragments II et note D)

En outre, Boris Vian s’appuie lui-même sur les travaux de Lewis Mumford pour montrer à quel point la guerre, en tant qu’entreprise économique, relève d’un cynisme dégoûtant:

L’armée est le consommateur idéal, car elle tend à réduire à zéro l’intervalle de temps entre la production initiale profitable et le remplacement profitable. La consommation rapide du ménage le plus luxueux et le plus prodigue ne peut rivaliser avec celle d’un champ de bataille. Mille hommes fauchés par les balles entraînent plus ou moins la demande de mille uniformes, mille fusils, mille baïonnettes supplémentaires. Un millier d’obus tirés ne peuvent être récupérés et ré-employés. À tous les malheurs de la bataille, s’ajoute la destruction plus rapide des équipements et du ravitaillement.
(L. Mumford, Techniques et civilisation, cité par Vian)

L’armée n’est plus seulement un pur consommateur, elle devient un producteur négatif: c’est-à-dire que, suivant l’excellente expression de Ruskin, elle produit le mal au lieu du bien: la misère, la mutilation, la destruction physique, la terreur, la famine et la mort caractérisent la guerre et en sont le principal résultat.
(Traité de civisme, notes éparses)

Je voudrais être clair: à mon sens, on ne peut pas défendre la production d’armes comme un métier normal. Comme beaucoup d’autres professions, c’est un métier qui échappe à l’éthique (maquereau, dealer, trafiquant, cambrioleur, voleur, jeune libéral, militaire, tueur à gages, terroriste); en élevant les ouvriers des armes au même rang que les autre professions du secteur tertiaire, Mme Leuthard glorifie toute idée de travail comme respectable; on pourrait lui objecter qu’il faudrait encourager le trafic de drogues, juste parce que l’économie permet de tourner grâce à lui. En soutenant les marchands d’arme, la conseillère se tire tout simplement une balle dans le pied.

On me dira que c’est triste, ces 5’100 personnes qui vont se retrouver au chômage.

Oui, c’est triste de se retrouver au chômage.

Et alors? Je suppose qu’ils pourront retrouver un travail plus éthique, l’occasion pour eux de changer de métier, de vivre une passion. Je veux dire, j’aurai quand même de la peine à comprendre un ouvrier qui soit réellement attaché à sa fonction de constructeur de balles! Un fabricant d’armes, qu’est-ce qu’il répond dans les soirées mondaines, quand on l’interroge sur son métier, sur ce qu’il fait de ses journées? Est-ce qu’il dit la vérité?

Ou est-ce qu’il dit juste qu’il a un travail?

Un travail.

Un cravail.

Une crevaille.

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Actualité, Écriture

T’as pas deux balles?

Le peuple suisse sera amené à voter, le 29 novembre 2009, sur une initiative populaire « pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre ». Comme d’habitude, les partis bourgeois font campagne contre cette proposition, au nom des 800 / 1’500 / 3’800 emplois à sauver (les estimations diffèrent d’après les points de vue).

Travail à sauver
Bénédicité
Sacre de l’emploi
In deo gloria

Gloire au Dieu Dollar
À son marché noir
Sa divine pègre
Blanchit son sang nègre

Je te vends des armes
Contre mille larmes
Contre mille francs
Contre tes enfants

Béni soit Taylor
Ford et son veau d’or
Voici nos Sauveurs:
Travail et Labeur

Chérubins, Archanges!
Chantez les louanges
De nos ouvriers
Trois fois sanctifiés

Œuvrez sans relâche!
Crevez à la tâche!
Au nom du pèze
Du fric,
Et du saint père Prix.

Je rêve d’un monde
Un peu moins immonde
Un peu moins inique
Un peu moins cynique

Où vingt-cinq mille balles
Contre une dans la tête
Ne sera qu’un sale
Souvenir sans dette.

flingue et soutane

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Re-cul

jeansL’autre jour, je sors avec nonchalance du train Yverdon-Neuchâtel, en suivant le troupeau des voyageurs y débarquant avec calme, distinction et individualisme. Par hasard (ou par la volonté d’un facétieux scénariste qui écrit ma vie), je me suis retrouvé derrière une belle et splendide et pulpeuse et sexuelle brune à faire bander un mort. Le genre de bimbo latino que vous ne croisez qu’une fois par mois, avec des seins parfumés et un cul arrogant.

Là vous allez me dire que je la matais comme un gros porc.

Rien n’est plus faux, et Dieu m’est témoin que je regardais tout sauf la fille, puisque je zieutais les gens tout autour qui dilataient leurs pupilles de façon plus ou moins discrète dans sa direction: ça allait du vieillard débonnaire au lover italien, du jeune cadre dynamique au skater boutonneux; à dire vrai, même les filles la mataient, les unes avec jalousie, les autres avec le respect dû aux concurrentes qui nous surpassent en tout, surtout en élégance.

Je me suis donc esclaffé à plusieurs reprises, en voyant ces quidams lancer un regard intéressé / concupiscent / libidineux / méprisant (biffer ce qui ne convient pas) sur ladite bonasse. De fait, le théâtre qui se faisait autour d’elle était bien plus intéressant à regarder que sa charmante personne. Autrement dit, je m’attachais surtout à regarder le méta-évènement plutôt que l’évènement en lui même. Je la méta-matais, en d’autres termes (« méta-matais », ha ha ha, vanne laborieuse qui fait quand même plaisir).

Moralité: à l’arrière du train, on a une belle vue.

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Choses politiques

Le mariage pour tous les goûts

Une copine qui se marie prochainement m’a raconté qu’elle avait cherché pendant des heures pour trouver un texte de mariage adéquat, qui reflète sa vision de l’amour. Ce billet servira à tous les amoureux en quête de prose pour leur cérémonie de bénédiction. Servez-vous, il y en a pour tout le monde.

Classique

En ce jour béni, nous choisissons d’unir nos âmes devant le Seigneur Dieu. Par les liens du mariage, nous promettons de nous aimer et de nous soutenir mutuellement dans les épreuves de la vie. Nous faisons la promesse aujourd’hui que nous consacrerons toute notre énergie à construire un couple sain et solide, basés sur des valeurs partagées. Enfin, nous croyons à un amour qui se construit, qui s’entretient et qui mûrit. Nous croyons à la vie.

Réaliste

En ce jour du 18 mai, nous nous marions tout en sachant que 57,4% des jeunes mariés finissent par divorcer, que 65,3% des personnes interrogées avouent avoir trompé leur partenaire, et que c’est surtout la tradition judéo-chrétienne qui nous pousse à reproduire un schéma monogamique dépassé. Nous savons que ce ne sera pas facile tous les jours. Même aujourd’hui d’ailleurs, c’est difficile. Edgar sent déjà sous les bras.

Idéaliste

En ce jour béni pour le moment pluvieux mais le soleil ne va pas tarder, nous nous unissons solennellement pour l’éternité et jusqu’à la fin du monde entier. Nous croyons à un amour passionné chaque jour que Dieu lui-même en personne fait, et nous croyons au plus profond de notre être intrinsèque et essentiel que nous sommes faits mutuellement et naturellement l’un pour l’autre, que nous ne nous fâcherons jamais, et que notre amour illimité ne connaîtra pas de limites incommensurables dans l’infini de l’éternité infinitésimale que Dieu lui-même fait chaque jour.

Sexuel

Nous nous prenons mutuellement devant cet hôtel autel pour jouir des plaisirs de la vie à deux. Sur lèche mes mains Sur les chemins de l’amour, nous serons les missionnaires du désir, les envoyés en l’air de Dieu, et nous prodiguerons l’Esprit Seins Saint envers nos semblables. Nous croyons à l’amour comme un qu’on s’en suce consensus idéal, fait de joies et de caresses dis-mon-nom divines.

Minimaliste

Bon. Ça, c’est fait.

Mariage Blanc

Moi, Edgar Chevalley, prend volontiers pour époux Mademoiselle Skolenska Kushtagamin (je prononce juste?) et nous bénissons cette union devant de nombreux témoins ici présent, monsieur l’officier d’état-civil. Nous faisons le serment de nous aimer pendant de nombreuses années, ou en tout cas pendant le délai légal de 480 jours (cachet du contrat de mariage faisant foi). Vous êtes tous invités chaleureusement à ne pas passer à l’improviste au domicile du couple.

Mariage arrangé

Merci à nos deux familles pour cette bonne idée de cérémonie. Nous nous réjouissons de nous découvrir un peu plus dans notre future vie à deux. Nous avons même déjà trouvé quelques points communs (en matière de liberté individuelle, notamment). En outre, Edgar a promis d’être discret.

Remariage

En ce jour re-béni, nous re-choisissons de réunir nos âmes re-devant le Seigneur Re-Dieu. Par les re-liens du remariage, nous re-promettons de nous re-aimer et de nous re-soutenir re-mutuellement dans les re-épreuves de la re-vie. Nous re-croyons à la réanimation.

Émotif

En ce jour béni – oh bon sang ce que je suis émue – nous choisissons d’unir (renifler) nos âmes devant le Seigneur Dieu (sortir un mouchoir). Par les liens du mariage, nous (bégayer) nous, nous, nous, promett-on-on (sangloter nerveusement) on-on de-de-de nous aihahhaaaha ouhhrgg (là, être pris de spasmes, tout en cherchant à recommencer une phrase). Nous… nous… (de plus en plus lentement – pleurer). Nous… nous… (faire des mouvements incompréhensibles – sourire à l’assistance). Nous… nous… (rouler les yeux). Nous… (défaillir)

(l’organiste enchaîne avec le Cantique 468)

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