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Le prochain pont à traverser (3) : 10 gestes pour saboter le capitalisme

Voilà le plan, camarades : plutôt que de poser des bombes ou kidnapper des dirigeants, nous allons simplement ralentir le système dans sa chute; l’accompagner dans son effondrement. Nous ne détruirons aucune machine, nous ne pourfendrons aucun dirigeant, nous ne lutterons même pas contre le système.

Nous allons l’ensabler.

Nous mettrons notre grain de sable là où ça crisse, nous sèmerons notre bonne graine là où ça pousse, nous deviendrons les empêcheurs de spéculer en rond; la machine va se défendre, se débattre, se désarticuler et tomber face contre terre.

[Si personne n’achète des produits de multinationales], en 48 heures le système s’écroule.

Dominique Guillet (fondateur de Kokopelli)

On m’oppose souvent que les actions individuelles ne suffiront pas à changer le système. Il est vrai que les actions individuelles isolées resteront des gouttes d’eau (dans un océan de plastique). Mais les actions individuelles collectives, elles, ont toutes les chances de renverser la vapeur, tout autant qu’une action politique.

De fait, certains opposent ces deux types d’actions, alors qu’il s’agit bien plutôt de conjuguer action politique ET gestes individuels. Et si les actions que nous pouvons mener à titre individuel sont nombreuses, elles n’ont pas toutes le même impact sur l’environnement, et certainement pas le même « coût » comportemental : s’il est plutôt difficile de changer un régime alimentaire inscrit dans une culture ou un métabolisme, il est relativement simple de placer ses économies dans une banque éthique.

Par exemple, Eléonore a énormément de difficultés à changer de banque (coût négligeable, impact énorme) et a choisi de renoncer à quelque chose comme les shampooings testé sur les animaux (faible coût comportemental) : l’impact de son action est très limité (son bénéfice est même dégradé par le fait qu’elle a quelques actions au Crédit Suisse). Dans le même ordre d’idée, des actions écologiques qui vous paraissent radicales (comme se passer de supermarchés pendant un mois, ou faire zéro-déchets sur une semaine) n’ont pas vraiment de sens sur le court terme. Il faut donc chasser le naturel au galop, débusquer des actions à fort impact et les ancrer durablement dans notre quotidien.

10 exemples (classés par ordre croissant d’impact écologique) :

Installer une minuterie pour son wifi
Investissement en temps : 5 minutes
Coût : environ 18 balles
Impact sur l’environnement : plutôt modeste, on va pas se mentir
Courez chez votre quincailler (ou pire, commandez-le en ligne) pour acquérir un programmateur horaire pour prise électrique; branchez-le sur l’alimentation de votre télé/wifi/time capsule, etc. (tout ce qui peut être éteint pendant que vous dormez). Programmez-le pour qu’il coupe le courant entre minuit et 7 heures du matin et VOILÀ !, vous venez de faire une économie d’électricité de 30% sur cette consommation-ci.
BONUS : moins d’ondes dans votre cerveau, vos ovaires et vos testicules.

Investir dans un rasoir old-school et du savon à raser
Investissement en temps : 5 minutes
Coût : environ 20 balles
Impact sur l’environnement : on va pas se leurrer, c’est encore assez négligeable
Mais cette action va vous permettre de boycotter Gillette, d’avoir du matériel de hipster et de diminuer vos déchets en rasoirs jetables, bombes de mousses à raser et triple-lames. En plus, vous gagnerez en efficacité, messieurs.
BONUS : vous vous rasez au blaireau. Au blaireau !

Ecrire une lettre à sa régie pour effectuer une rénovation thermique de son bâtiment
Investissement en temps : 5 minutes
Coût : un timbre à 1.-
Impact sur l’environnement : très important sur le long terme
Je vous ai concocté un modèle ici. À ré-envoyer chaque mois. L’obstination finit toujours par payer.

Mutualiser ses outils, ses robots ménagers, ses trucs et ses machins
Investissement en temps : 15 minutes
Coût : 7.-
Impact sur l’environnement : variable
C’est l’idée de Pumpipumpe : sur votre boîte aux lettres, vous collez des stickers qui désignent ce que vous être d’accord de prêter à vos voisins. C’est un petit laboratoire de mutualisation des ressources. On commence par se prêter un barbecue, on enchaîne par s’échanger des jeux de société, on finira par mettre en commun nos bagnoles : on libère de l’espace personnel, on mutualise nos ressources et on retrouve la qualité des biens communs.
BONUS : vous allez redécouvrir votre quartier et les belles personnes qui y habitent !

Placer ses économies dans une banque alternative
Investissement en temps : 1 heure
Coût : variable (en fonction de votre banque actuelle)
Impact sur l’environnement : ENORME (surtout si vous étiez chez Crédit Suisse et UBS)
Je suis à la Banque Alternative Suisse depuis 7 ans; ils ont tout l’e-banking dont vous pouvez rêver, la carte Maestro et la carte VISA s’il vous la faut. Les options sont simples, le site est très clair et vous serez sûr d’avoir face à vous une banque transparente (ils publient la liste de tous les crédits octroyés).
BONUS : j’avais une limite de 1’000.- sur ma carte qui m’a grandement incité à réduire ma consommation.

S’inscrire pour des paniers de légumes hebodmadaires
Investissement en temps : 30 minutes (retour sur investissement énorme)
Coût : compter peut-être 20.- de plus par mois au budget-légume
Impact sur l’environnement : ENORME
Impact sur la paysannerie et encouragement aux initiatives de transition : ENORME
Mon amoureuse nous a inscrit au Clos du Moulin depuis le début de l’année et je n’ai que des louanges : ça m’incite à cuisiner des nouveaux légumes, c’est forcément local et bio, je coupe les intermédiaires (et les navets). Il y a probablement une ferme qui s’occupe de ça près de chez toi.
BONUS : tu peux généralement te faire livrer sur le pas de porte.

Boycotter les grandes surfaces et les multinationales
Investissement en temps : dépend de la concentration géographique de vos petits commerces
Coût : très variable – certains biens sont un peu plus chers, d’autres meilleurs marchés (moins d’intermédiaires); dans tous les cas, vous contribuerez à un tissu économique plus résilient
Impact sur l’environnement : ENORME
Quand vous connaissez les scandales autour de Nestlé, les conditions de travail chez Aldi/Lidl et les marges brutes de Coop et Migros, vous comprenez vite que tout le monde bénéficiera d’un commerce équitable à petite échelle. Alors achetez vos légumes chez le marchands de légumes, vos jouets chez le marchand de jouets et vos livres en librairie.
BONUS : les professionnels vous conseillent bien mieux que des caissières sous-payées (ou des robots-scanners)

Tendre au zéro-déchet
Idem que le précédent : ce que vous perdrez à fréquenter les magasins en vrac, vous l’économiserez en taxe au sac.
BONUS : vous allez apprendre à faire de la lessive bio et du déo artisanal.

Adopter un régime locavore et flexitarien
Investissement en temps : zéro
Coût : le plus souvent, c’est moins cher
Impact sur l’environnement : GIGANTESQUE
Vous allez décourager la production de viande de mauvaise qualité, améliorer les conditions économiques des agriculteurs, diminuer votre consommation cachée en eau, en céréales et réduire votre impact climatique globale. Et s’il vous plaît, évitez de compenser votre apport en protéines par du soja brésilien ou des fèves d’Italie : votre corps va trouver tout ce dont il a besoin chez votre boucher-paysan, votre maraîcher du samedi matin et votre petite épicerie du coin de la rue.
BONUS : vous allez découvrir les asperges au serac (avec un filet d’huile de noix de derrière les fagots)

Boycotter l’avion
Investissement en temps : pour Bâle-Tokyo, on est d’accord qu’en train c’est plus long. Mais pour Genève-Paris, la SNCF est votre amie
Coût : yep, le ticket de train est scandaleusement plus cher
Impact sur l’environnement : HOMÉRIQUE
Voilà combien pollue un avion.
Et si vous n’êtes toujours pas convaincu, demandez-vous pourquoi vous tenez tant à voyager. L’industrie du tourisme vous fait miroiter une « rencontre avec une autre culture ». Dans la réalité, le plus souvent, vous aurez un guide anglophone, des musées aseptisés qui vous présentent une histoire sélective, des restaurants franchisés, des sites dénaturés et des villes occidentalisées.
Le tourisme vous propose des « expériences immanquables » en jouant sur votre peur de rater quelque chose. Mais cette peur est insatiable : toute votre vie, vous allez manquer des évènements, rater des occasions, vous absenter du moment où tout le monde s’amusait. La réelle expérience à laquelle vous pourriez vous préparer, c’est passer du temps avec les gens que vous aimez, faire des choses qui vous plaisent, explorer votre potentiel artistique, et la plupart de ces choses ne gâchent pas un gramme de planète.

BONUS GLOBAL : c’est un cycle vertueux. En plus d’ensabler le capitalisme, ces gestes nous conduisent vers un nouveau système plus économe, plus sain et plus conscient de ses limites. Le système touche à sa fin, nous allons précipiter sa chute pour être les pionniers de l’après-capitalisme. La fin n’est pas fin.

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Le prochain pont à traverser (1)

Il y a un mois, un pont à Gênes s’est effondré.

Hou là là, disaient les médias.

On l’avait bien dit, disaient les ingénieurs.

C’est horrible, disaient les téléspectateurs.

Et chacun d’entonner une petite théorie sur les constructions à l’emporte-pièce des années 50, sur la mauvaise qualité des matériaux, sur les détournements de fonds de la Mafia, sur les risques pour les ponts français, suisses, autrichiens.

Tout ça n’arriverait pas chez nous.

On invoque la fatalité, avant de reprendre le train-train quotidien et son cortège de certitudes. Les chiens aboient et la caravane médiatique passe: il faut maintenant s’intéresser à la rentrée scolaire, aux initiatives populaires de septembre et aux loups écrasés.

Il y a un climat qui est en train de s’effondrer.

Hou là là, disent les médias.

On le répète depuis trente ans, disent les ingénieurs.

C’est horrible, disent les téléspectateurs.

Et personne ne fait rien. Ou si peu.

La vérité, c’est que nous devrions être en état de guerre. En novembre 2017 est parue une lettre importante, co-signée par 15’000 scientifiques de 184 pays. Quinze milles scientifiques, c’est comme 10 fois Paris-Sorbonne de la crème des savants du XXIe siècle, qui descendent dans la rue (la Une du Monde) pour dire que nous pourrions bientôt laisser passer notre chance de gagner la guerre contre le changement climatique.

Les gens préfèrent détourner la tête ailleurs, reprendre du steak d’autruches et tuer le temps avec des Paris-Londres en avion plutôt que d’affronter le problème. La grande bataille de notre temps, dirait Gandalf.

Il nous reste 3 mois et demi avant la fin de l’année 2018, déjà en dépassement, peut-être l’année la plus chaude de notre histoire. Nicolas Hulot a crié son écoeurement, Aurélien Barrau a lancé son appel, les Suisses s’apprêtent à voter sur deux initiatives d’importance capitale sur le virage écologique à prendre (car ce ne sont pas des initiatives « redondantes » comme le prétendent les néolibéraux).

Ok, en fait il FAUT que vous voyiez l’appel d’Aurélien Barrau (notre Gandalf ?):

Il s’agit maintenant de changer de paradigme, de réévaluer notre responsabilité individuelle et collective. Il s’agit d’accepter la crise et de nous proclamer en état de siège contre les négationnistes, les pollueurs, les multinationales, les producteurs de plastiques, les consommateurs de gadgets électroniques, les geeks de la modernité, les ayatollahs du progrès, les touristes du week-end, les ados « influenceurs » à la botte du consumérisme, les grillétariens qui dévorent avec fierté leur sacro-sainte barbaque pour réaffirmer leur puissance sur le vivant.

(et accessoirement, il s’agit de glisser un triple OUI dans l’urne dimanche)

Il va nous falloir du courage, « du sang, de la sueur et des larmes » (Churchill), « des mesures impopulaires » (Barrau) et une capacité à « ré-enchanter son imaginaire » (Latouche). On ne peut plus rester dans cette posture de déni, en laissant le pouvoir aux politiques de droite, en laissant les solutions aux scientifiques et en laissant les actions aux illuminés.

C’est notre monde.

 

 

 

Un pont à traverser: mode d’emploi pour adoucir l’effondrement écologique

  1. Se limiter à 2’000 kg de CO2 par habitant par année (renoncer à l’avion et à la voiture, se limiter à de la viande (locale) une fois par semaine, isoler son logement, faire toutes ses courses zéro déchets dans des magasins locaux)
  2. Boycotter le capitalisme (mettre ses économies à la Banque Alternative Suisse, refuser les grandes marques, voter pour une gauche antiproductiviste)
  3. Convaincre ses amis et ses ennemis de faire de même

Voilà, c’est tout ce qu’il faut pour sauver le monde.

 

 

La semaine prochaine, nous verrons quels scénarios sont prévus pour 2050 si on ne fait rien, combien coûte (en kg de CO2) un voyage en avion, et pourquoi une planète à +6° n’est pas envisageable.

Et pour garder l’optimisme, une vidéo qui fout la pêche et célèbre la créativité, la joie et l’énergie du genre humain:

 

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