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Gourmet culturel

Lundi passé j’ai regardé le magazine 36,9° sur les liens entre microbiote et humeur. Très joli, plutôt bien mené, mais c’était juste la preuve que « On est ce que l’on mange« , qui relève un peu du bon sens : si je me bourre de cornets à la crème-à-la-vanille-au-sucre-glace, c’est assez normal que je saute aux murs en mode hyperactif sur un circuit de Formule Un avec Cyril Hanouna comme copilote.

Fun fact : il y a une semaine, le conseil national refusait une initiative pour limiter l’usage du sucre dans les aliments. La libre responsabilité des consommateurs et consommatrices. Rigolo de voir que notre liberté / responsabilité est tout à coup très bien défendue quand il s’agit de bouffer des bonbons et nous rendre diabétiques pour faire ensuite exploser les coups de la santé.

Food for thought : on s’intéresse beaucoup à ce qui entre dans notre ventre, mais relativement peu à ce qui déboule dans notre tête. On pourrait imaginer parler un peu plus de diététique culturelle : il y aurait des gens pour vous mettre au régime-sans-téléjournal, ou vous conseiller quelles fictions regarder – « Vous souffrez d’éco-anxiété ? Lisez Ecotopia ou allez voir Toutes les choses géniales, voilà qui devrait vous remettre sur pied. »

Vers 2017, j’ai commencé à consulter la liste des 250 films les mieux notés sur IMDb : une compilation des films qui ont reçu des meilleures notes par les utilisateurs « érudits », ce qui veut dire que si vous avez mis 5 étoiles à Ace Ventura mais que c’est le seul film que vous ayez noté, vous êtes jugé moins crédible qu’une adhérente qui a mis trois étoiles à Titanic mais a noté 273 films (ce qui paraît plutôt sensé). Bref, j’ai commencé à regarder la liste dans l’ordre. Qu’on soit bien d’accord, hein : j’ai pas fait QUE ça de mes journées. C’est juste que quand j’avais une heure de libre, je regardais un bout de demi-film que je terminais le lendemain. Bien tranquillou avec un frichti de légumes poêlés au reste du frigo, je matais Les Evadés à ma pause de midi. Puis je dégustais des asperges-mayo devant Usual Suspects. Et ainsi de suite, jusqu’à avoir totalisé 76 films vus sur les 100 premiers (et après il y a eu la pandémie).

Premier effet : je suis devenu incollable sur les classiques.

Deuxième effet : je suis devenu exigeant en terme de cinéma. Habitué à la crème de la crème, à du Hitchcock platinum et à du Coppola deluxe, j’ai désormais de la peine à mater un film médiocre. Je me suis rendu compte à quel point la télévision proposait des téléfilms mal écrits, mal joués, mal montés. Et comme le dit Catherine Price dans The Power of Fun, on peut s’habituer à une espèce de semi-fun, de divertissement léger qui nous fait bandouiller par intermittence, une semi-molle télévisuelle, une espèce de soupe qu’on se force à boire parce que finalement, on est pas mal sur ce canapé, non ?

(tiré du merveilleux https://xkcd.com/2727/)

(ma traduction décomplexée) « C’est marrant de voir à quel point c’est socialement acceptable de conseiller à quelqu’un de passer 10 à 15 heures devant une série à la télé; alors que si c’était un film… »

Et donc.

Si vous vous habituez à un régime de bonne nourriture culturelle, vous élevez votre niveau d’exigence.
Oh yeah, vous vous dites que je ne suis qu’un cinéphile pédant et arrogant, gourmet et peine-à-jouir. Well… c’est inexact : je peux encore voir des merdes, mais je les vois avec la tendresse de Roger Federer qui regarderait un débutant jouer au tennis.

(Cadeau bonux : ça marche aussi avec la musique, les bouquins et les informations d’actualité.
Je discutais avec un pote qui me disait sombrer dans une torpeur éco-anxieuse à chaque nouvelle news sur le climat qui apparaissait sur son fil d’actualité Instagram. Délivrez-vous des réseaux sociaux. Vous êtes ce que vous mangez.)

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Ecriture de tréteaux

Jeudi soir, je jouerai la cinquième représentation d’Odysseus Fantasy, le nouveau spectacle des ArTpenteurs. La troupe s’installe pour une semaine de représentations à la plage d’Yverdon-les-Bains. Le chapiteau rouge va se dresser entre sable et sous-bois, pour faire résonner l’Odyssée d’Ulysse au milieu des caleçons de bain vert fluo et des chipolatas grillées. Et même si les vers d’Homère auront une légère odeur de crème solaire, c’est de toute façon la poésie qui gagne à la fin.

Heureux qui comme lui a fait un beau voyage

La création prit quantité de détours: Thierry Crozat (mise en scène) a réuni 4 comédiens (Chantal Bianchi, Corinne Galland, Lorin Kopp et mescolles) pour 5 semaines et demie de création et de recherches. On avait fait deux semaines de labo en janvier (écriture & clown de théâtre) pour avoir quelques ancrages, avant de lancer l’esquif d’une écriture de plateau carrément homérique. 

Première couche: l’Odyssée d’Ulysse. Texte-fleuve, immense récit alambiqué entre les souvenirs confus du héros, les suppliques de Télémaque, les divines querelles et des références souvent enfouies au plus près de notre culture occidentale. Charybde et Scylla, le cyclope, le cheval de Troie… On a passé plusieurs semaines à enfoncer quelques portes ouvertes et dépasser des culs-de-sacs pour aérer tout ce bazar.

Deuxième couche: des clowns privés de parole. L’idée primordiale était de pouvoir créer un spectacle sans recourir au texte. Grommelots, mimiques, musiques, tout y a passé pour échapper au français. Ecueils de la langue. Hauts-fonds de la forme théâtrale. Naufrage du sens. A la quatrième semaine, on se résout à chapitrer le spectacle de quelques apartés poétiques. Sinon le spectateur-qui-veut-chercher ne comprendra rien à rien et voudra partir (quant au spectateur-qui-se-laisse-aller, c’est de toute façon gagné).

Troisième couche: la vie de Thierry. J’ai pas cherché à connaître tous les détails, mais ça tourne autour de la Mer (Méditerranée) et de la Mère (nourricière), de l’arrachement et de l’attachement, de la geste (homérique) et du geste (le théâtre par le mime). C’est dense, cow-boy. 

Pitch Lynch

Le résultat? Une fable poétique et visuelle entre Homère sous acide et un rêve de Stephen King. Désormais, quand on me demande le pitch je dis ça: « C’est l’Odyssée d’Ulysse adapté par David Lynch qui avait à sa disposition 4 clowns de théâtre et la vie de Thierry à raconter. » À partir de là, débrouillez-vous.
Perso, c’est le spectacle le plus intrigant, complexe et poétique qu’il m’ait été donné la chance de jouer, avec son lot de double (voire triple) sens, d’images surréalistes et de musiques enchanteresses. On a déjà joué 2 scolaires à la Vallée de Joux il y a 10 jours, les élèves (9e & 10e) étaient scotchés. Et puis c’est pas trop long: en septante minutes on fait le tour, et je sais que tu aimes ça, les spectacles pas trop long.

Trilogie

Jusqu’en 2020, on part pour une belle trilogie sur les traces d’Homère. L’année prochaine, on élaborera une fresque centrée sur le récit d’Ulysse; en 2020 ce sera « IF – l’Odyssée de l’arbre », autour de la Ville d’Yverdon-les-Bains, l’écologie et le pouvoir des conifères. Et comme le projet change tout le temps, je suivrai l’aventure avec une poignée de billets sur ce blog pour rendre compte de la luxuriance des idées de la troupe.

Odysseus Fantasy, un spectacle à suivre du 7 au 10 juin 2018 à Yverdon-les-Bains, puis pendant l’été à Romainmôtiers, La Tour-de-Peilz et Sion. Tournée et informations ici.

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Quand tu commences

Bon, mais vous prévoyez quand même une trame?

(C’est la question qu’on me pose le plus souvent après un spectacle ou une animation d’impro. C’est toujours un compliment, je trouve. Et c’est aussi une formidable manière de définir l’art de l’improvisation avec le spectateur, qui après avoir confié son admiration pour notre sens de la répartie, notre connexion collective et notre humour, me lance:)

Bon, mais vous prévoyez quand même une trame?

Rien n’est prévu à l’avance; on ne sait pas dans quelle époque on va jouer, quels personnages on va incarner et quels seront les éléments de l’histoire. Ça serait même contre-productif: si on prévoit des choses à l’avance, il y a le risque qu’un comédien oublie ce qui a été prévu ou qu’un élément extérieur vienne perturber nos plans. Et alors là, ça devient très compliqué d’improviser: est-ce que je reste fidèle au « plan », ou est-ce que j’oublie complètement le script? Et est-ce que mes collègues feront le même choix? C’est plus simple de ne rien prévoir, et d’approcher la scène comme une page blanche. 

Mais comment vous savez quelle idée il faut suivre?

A priori, on suit toujours la première idée qui est exprimée, parce que c’est celle qui existe, qui est déjà là, que le public a vue. L’essence de l’improvisation théâtrale, c’est de pouvoir présenter des histoires dans des réalités cohérentes. Si mon partenaire commence à jouer un cow-boy, j’ai tout intérêt à évoluer dans le même univers. Je pourrais faire un autre cow-boy, ou un apache, ou un croque-mort, ou son père qui veut le décourager de se venger des pillards qui intimident la ville.

Ça veut dire que vous allez toujours à l’idée la plus simple?

Oui et non. Si je reprends mon exemple de western, j’ai une totale liberté de point de vue, de thématique et de registre théâtral: je peux incarner un autre cow-boy qui vient d’être provoqué en duel (une scène qu’on a certainement vu déjà plein de fois); je peux aussi mettre en scène le colt du cow-boy qui exprime des états d’âme sur le pouvoir qu’il donne aux hommes « Bouhouhou! Je ne suis qu’un instrument de mort; j’aurais dû faire comme mon cousin, qui donne les départs des courses de chevaux au Minnesota! »

Et quand vous n’avez plus d’idée? Ou que vous n’avez pas la bonne idée?

Il n’y a pas de « bonnes » idées. Les grandes idées sont des petites idées qu’on a laissé grandir. L’attitude à avoir, c’est que les idées n’ont pas besoin d’être trouvées. Elles sont déjà là, il suffit juste d’y prêter attention. Mettons qu’une comédienne vienne au centre du plateau et se mette à taper du pied et à regarder sa montre. Peut-être qu’elle n’a aucune idée de ce qu’elle fait (de prime abord, elle attend) ou de qui elle attend (Son élève? Son adjoint au maire? Son dragon?). Qui peut juger laquelle de ces idées sera une « bonne » idée? Dès que vous changez votre attitude sur la qualité de la créativité, vous vous libérez d’un poids énorme.

Mais alors qu’est-ce que vous travaillez dans vos « répétitions d’impro » ou vos ateliers du genre?

Sur des ateliers de deux à trois heures, les improvisatrices et improvisateurs professionnels apprennent généralement à se connecter les uns aux autres, à accéder à leur imagination, en plus de tout le travail théâtral qui peut être abordé: voix, corps, interprétation, développement d’un catalogue de personnages…

Ha, je vous arrête, là: vous préparez vos personnages! Vous admettez quand même que vous préparez des choses à l’avance?

Quand Miles Davis nettoie sa trompette, est-ce qu’il est en train de planifier son prochain solo? Je ne crois pas. Pour nous, le travail des personnages, c’est la même chose: on peaufine un instrument, on donne un corps à l’enveloppe. C’est le contenu qui change à chaque fois. Je ne vais pas jouer mon boucher marseillais de la même manière dans une scène d’amour et dans une scène de dispute. Je ne vais pas le jouer de la même manière face à un pote de compagnie ou à un improvisateur que je connais à peine. Je ne vais pas le jouer de la même manière à une animation d’entreprise ou un spectacle devant dix personnes. En fait, je ne vais jamais le jouer de la même manière: les personnages sont là pour être toujours réinventés.

Mais… Est-ce que ça vous est arrivé de ne plus avoir d’idées?

Souvent. Tout le temps. C’est le meilleur état, parce qu’il nous laisse libre et nous pousse dans les retranchements. Et en même temps, on n’est jamais sans idées. Il suffit de faire deux minutes de méditation pour voir qu’on est incapable d’arrêter son esprit. Les idées circulent, elles coulent autour de nous. Si vous écoutez autour de vous, vous avez toutes les idées de la terre. Le génie de l’improvisation, c’est de pouvoir exprimer et connecter ses idées, pour en faire quelque chose de théâtral. Si je tourne calmement autour d’une première idée, je vais très vite avoir envie de raconter une histoire; si j’entends un spectateur qui tousse, je vais pouvoir raconter l’histoire d’un glaire qui voulait désespérément sortir de sa gorge et découvrir le monde. Je vais faire voyager ce glaire et lui faire vivre des aventures.

Mais quel genre d’aventures? Vous avez des trucs pour raconter les histoires?

Une histoire fonctionne comme un coeur qui bat: un moment de tension (systole) et un moment de relâchement (diastole). C’est un rythme binaire, très lent. Le spectateur va retenir sa respiration quand l’héroïne soulève la voiture pour sauver son chien, et il y aura un soupir de soulagement en voyant que Youki est encore vivant. Une histoire, c’est donc créer des problèmes et y trouver des solutions: notre cerveau reptilien est très fort pour créer des problèmes (Danger! Mammouth! Froid!), et notre cerveau gauche, plus abstrait, peut conceptualiser des solutions. Un enfant de six ans sait construire une histoire, parce qu’il a intégré très tôt ce besoin de danger/solution: c’est un peu comme un jeu « pour se faire peur », comme le lionceau qui se fait pourchasser par sa mère dans la savane. Et ça nous fait retomber sur une fonction vitale du théâtre, qui est de purger nos pulsions-passions-peurs et de cultiver le champ des possibles. À partir de là, on ennuie rarement si on raconte une histoire.

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Où est Charlie?
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À priori, oui.

Le week-end passé, j’étais invité à la première édition du WISE, le Festival d’improvisation de Clermont-Ferrand organisé par Improvergne. 160 participants, 10 formateurs, 4 journées d’ateliers et 3 soirs de spectacles. De la très très belle organisation, à tel point que j’étais persuadé que c’était la 6e édition de l’évènement: l’équipe réunie autour de Rémi Couzon gérait tout ça avec une efficacité rare, l’ambiance était top et la proximité des lieux de stages donnait une superbe unité à ce Festival qui a de beaux jours devant lui.

C’était une occasion pour moi de retrouver de bons amis et de faire quelques découvertes. Oui, Fabio, le geocaching est mille fois mieux que Pokemon Go! Oui, Katar, je reste un enfant de six ans dans un corps de prof de grec! Oui, Remi, il faut absolument un 2e WISE en 2017!

L’improvisation francophone commence à se constituer en communauté

C’est Matthieu Loos qui parlait de ça, en expliquant qu’avec de belles initiatives comme le podcast d’Hugh Tebby et les festivals européens, les professionnels de l’impro commençaient à se solidariser autrement que par le Match. On se croise à Nancy ou à Toulouse, on refait le monde à l’Improvidence, Yverdon-les-Bains ou Clermont-Ferrand. Tout ça pour partager des expériences, des questionnements et des idées autour d’une passion-métier qui gagne peu à peu ses lettres de noblesses.

Facebook vient combler les vides et met en réseau: à l’inverse du format Match qui favorise les échanges internationaux, les concepts qui tendaient à isoler les compagnies dans leur coin trouvent une manière de garder le contact: les festivals inspirent, fédèrent et relient.

À priori, OUI.

Dans tous les ateliers, il y a le (ou la) stagiaire qui pose des questions. Celui pour qui tout est sujet à débat, celle à qui il faut toutes les précisions imaginables avant de faire l’exercice. J’avais déjà parlé de ma politique agressive à l’encontre des questions, mais je sais mettre de l’eau dans mon vin: j’ai remarqué que la plupart des questions que les stagiaires me posent sont des requêtes de permissions (Est-ce qu’on peut commencer l’impro sur une chaise?), des interrogations motivées par la peur (Ça marche, si mon personnage est fâché au début de la scène?) ou des questions propres à chaque exercice – et donc, des cas particuliers: grand paradoxe de vouloir improviser en planifiant déjà les réactions pour chaque cas de figure.

Je me rends bien compte que ces stagiaires sont souvent dépendant d’un style d’apprentissage qui s’appuie sur un programme de cours clair, d’une théorie complète. Ces élèves sont tentés par l’exhaustivité (Que faire dans le cas où…) et la cohérence (Mais tout à l’heure, tu as dit que…). J’ai remarqué que je couvrais 95% des questions avec cette simple et brève réponse: A PRIORI, OUI.

Je vais me faire imprimer un T-shirt, ça fera le mec qui est cool.

Du contenu dans l’enveloppe

Dans les discussions autour des spectacles, on commence à dépasser la pure technique. Il est bientôt fini le temps où on décrivait seulement un « concept ». Les professionnels sont aguerris aux techniques et se désintéressent d’une impro purement performative. Qui veut encore faire une improvisation alphabétique de 2 minutes sur la suggestion « oncologue »? Certes, les vieilles ficelles auront la vie dure, spécialement dans le théâtre en entreprise et les formats de divertissement, mais je trouve enthousiasmant d’entendre des réflexions sur l’esthétique propre à une troupe ou sa quête de sens.

Partout, les praticiens prennent conscience du potentiel illimité de l’improvisation théâtrale (et de sa qualité théâtrale, justement). « L’impro, espace de réalité augmentée depuis plus de 3’000 ans« , devrait-on dire. Le matin du 15 juillet, alors que je réfléchissais au format que nous allions proposer en carte blanche le soir, j’apprenais le tragique évènement de Nice. Et immédiatement, j’ai su que nous devions faire un spectacle là-dessus (ou à tout le moins, aborder le sujet sous un angle personnel). Parce que si le théâtre doit parler du monde, il doit parler du monde d’aujourd’hui. Quel théâtre plus contemporain que celui qui peut improviser ses textes le soir-même? Il était vital que nous parlions de tolérance, d’ouverture, d’écoute et de tendresse humaine.

Pour que l’improvisation soit au-delà d’un « divertissement sans substance » (Johnstone) et que la discipline devienne « le théâtre du coeur » (Del Close).

Be wise.

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« L’improvisation est basée sur un mensonge »

Une légende de l’improvisation. Un monstre sacré. David Catpurring a marqué toute une génération, à travers des ateliers suivis par des milliers d’élèves-comédiens, un livre publié chez Fayard et un mausolée taillé dans des os de mammouth, qui résume ses 15 règles immuables en improvisation. Aujourd’hui reclus dans une grotte du Worcestershire, il sort de sa réserve pour redresser quelques torts qui endommagent selon lui le noble art de l’improvisation théâtrale. Récit d’une rencontre.

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À l’époque de la construction du mausolée

Maître Catpurring, vous vous êtes retiré de la scène de l’impro depuis 10 ans. Pourquoi être sorti de votre réserve, récemment?

Je lis tellement de conneries. Dans ma grotte, j’ai le WiFi, et croyez-moi, l’Internet offre tout un paquet d’âneries à lire. Quand on brocarde Trump et ses amis, ça ne me fait rien, mais attaquer les fondements de l’impro, moi ça me rend ribouldingue.

Ribouldingue, ça existe vraiment comme mot?

Oui, mais ça ne veut pas exactement dire ce que vous avez compris.

Passons. Vous vous êtes élevés contre les improvisateurs qui proclament que « l’impro, c’est la vie » ou « l’impro, c’est comme la vie de tous les jours ».

Oui, c’est le premier gros problème. C’est surtout que ces bâtards nous expliquent que gna gna gna, l’impro c’est la vie réelle, c’est comme une discussion, gna gna, par exemple là on est en train d’avoir une discussion, alors pif paf c’est de l’impro. Pas du tout. PAS DU TOUT. Ces gens se gourent complètement. Ils se mettent le doigt dans l’oeil jusqu’au pancréas. L’impro, c’est bien plus que ça. C’est du théâtre. Et je dis théâtre sans dire « théâââââtre », c’est pas prétentieux, je veux juste dire que le théâtre est une représentation concentrée de la réalité.

Qu’entendez-vous par là?

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Enfin un peu de poésie.

Ben, le théâtre, c’est pas montrer quelqu’un qui va faire ses courses, qui attend le bus ou qui fait sa lessive. Ce matin, j’ai fait ma lessive, par exemple. Vous croyez que ça intéresse quelqu’un, ça? Non! Tout le monde se contrefiche de mes slips à rayures grises. Faire sa lessive normalement, c’est inintéressant, c’est pas de l’art pour deux sous. Les gens ont confondu la quête du réalisme avec la quête du trivial. Je vais encore au théâtre, croyez-moi, et je vois plein de choses triviales. Pas de contenu. Pas d’émotion. On dirait que le comédien lit son texte, quand bien même il le sait par coeur.
Mais attention, hein: c’est aussi possible de faire de l’art avec quelqu’un qui fait sa lessive. Vous pouvez le mettre dans des situations incroyables, dans un état d’esprit qui fait que ça sera tragique, ou comique, ou intense. Je ne suis pas en train de prêcher pour des actions incroyables et des effets spéciaux hollywoodiens, hein.
Prenez Psychose, de Hitchcock: quand Marion Crane prend sa douche, l’activité est inintéressante – sauf pour les voyeurs, bande de fripouilles – mais c’est surtout le suspense induit par le meurtre imminent qui rend l’action magnétique. Donc non, l’impro, c’est pas comme la vie de tous les jours. L’impro c’est bien plus que la vie, c’est toute la vie, c’est une vie artistique.

Oui, c’est ce que Peter Brook dit quand il explique que le théâtre est un « concentré de vie ».

Si vous pouviez me laisser ce genre de réplique, ça serait sympa.

Mes excuses. Mais revenons plutôt à vos dernières déclarations. Vous vous battez contre ceux qui comparent l’impro au jazz.

C’est très simple à comprendre: le jazz est musical, l’impro est théâtrale, point barre. Ce qui veut dire que vous avez plein de points communs, mais une différence fondamentale: le jazz en tant que musique est un art de l’abstrait – les sons nous procurent des émotions, mais ne formulent pas un langage articulé; à la différence de l’impro, qui met en scène des personnages qui s’expriment en français. On ne peut pas comparer une symphonie de Chopin et une tragédie de Shakespeare. C’est deux médias différents.
Bien sûr, si vous me parlez d’une comédie musicale jazzy – concrète, donc – ou d’une impro avec de la poésie sonore – abstraite, donc -, alors là, on peut discuter. Mais arrêtez de me dire que Miles Davis aurait pu débouler sur une patinoire en improvisant 4 minutes en alexandrins. Arrêtez ça, c’est grotesque. Grotesque. Ça me fout de l’urticaire.

Désolé de vous mettre dans des états pareils.

Non, c’est rien. Je peux vous offrir à boire, en fait?

Non, merci, pas soif.

Ah, j’aurais dû proposer avant. Je suis un hôte exécrable.

Non, non. Tout va bien!

Bon, vous êtes bien gentil.

Poursuivons, si vous le voulez bien. 

Un instant! Vous voyez, ce petit dialogue qu’on vient d’avoir.

Oui?

Et bien, il est trivial, sans réelle substance. Il est quotidien. Ce n’est pas de l’art. Et on peut dire qu’il est inintéressant.

C’est vrai. 

Ce qui était intéressant dans ce petit dialogue, c’est ce qu’il révélait sur nos personnalités, sur notre relation. Au niveau littéraire, c’est encore trop pauvre. Donc, il faudrait le retravailler pour le présenter sur une scène de théâtre.

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Maître Catpurring, grand observateur de la réalité.

J’aimerais revenir sur votre troisième déclaration, le mensonge que vous dénoncez quant aux origines de l’impro. Vous critiquez la référence à la commedia dell’arte.

Totalement. Dans les manuels, on vous dépeint « l’histoire de l’improvisation », avec son prestigieux « ancêtre » sous la forme du théâtre des Italiens du XVIIe siècle. Tout le monde est content, c’est comme s’il y avait une filiation avec Molière, ça permet de redorer le blason de l’impro, de lui donner des lettres de noblesses. Mais pourquoi, si la commedia est le papa de l’improvisation, n’y a-t-il rien eu au XVIIIe et au XIXe siècle en matière d’improvisation?
On part d’une idée fausse, qui est que la commedia était improvisée. Rien n’est plus faux. Le capocomico – le chef de troupe – définissait le scénario approprié à jouer devant le public, avec les personnages de la pièce, l’ordre des scènes, les lazzi – une place à l’improvisation, certes – à intégrer pour la représentation. Mais les comédiens connaissaient l’histoire, connaissaient les personnages de leurs partenaires, savaient leurs répliques par coeur. C’était du théâtre à peu près écrit. Oui, probablement y avait-il quelques saillies spontanées et des références à l’actualité. C’est nécessaire en théâtre de rue, pour capter l’attention et focaliser les esprits. Mais de là à définir la commedia comme ancêtre de l’impro telle qu’on la pratique aujourd’hui, c’est fort de café.

On pourrait dire que la commedia est une première tentative d’utilisation de l’impro dans le spectacle écrit, non?

Vous êtes moins stupide que vous en avez l’air.

Non mais dites-donc!

(Les deux personnages s’empoignent; l’intervieweur tente un coup de poing, mais l’ermite le retient en s’appuyant sur la table au centre-scène. Les deux finissent par tomber à terre. En se relevant, ils se rendent compte de leur substance théâtrale. Faisceaux de lumière blanche. Stroboscope et fumée. Les deux personnages explosent. Morceaux de peau, chairs rouges, organes déchiquetés et gouttes de sang aux quatre coins de l’espace scénique. Le metteur en scène s’avance depuis les coulisses. Il s’excuse, puis explose à son tour.) 

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Rorschach

« À quoi vous fait penser cette tache, monsieur? »

Mon partenaire de scène me tend un carnet imaginaire; entre ses deux mains qui enserrent le vide, je ne vois rien, évidemment. Mon corps veut voir, mais mon regard passe à travers, et je distingue les sourires crispés des premiers rangs de spectateurs. Quelle mouche me pique de débouler sur scène sans idée, moi?

Je regarde mon partenaire de jeu. Il est tendu. Il se retourne à Jardin, pour faire un mime obscur, un vague geste de dévissage-de-bouteille ou je ne sais quoi. Une troisième manche de Time’s Up alcoolisée, on dirait. J’ai pas la référence, je comprends rien. Il se tourne vers moi; il a l’air tendu, presque énervé. Je respire péniblement, la tension est à son comble.

Rorschach

Débuter une scène improvisée, c’est faire le test de Rorschach: à partir d’une vague énigme, on va laisser faire notre inconscient, notre instinct, pour mettre du spécifique sur du flou. Parce que l’improvisation théâtrale, c’est construire sur du vide: pas de costume de Richard III, pas de décor en plan incliné; à peine un thème ou une suggestion qui flotte dans l’esprit du spectateur. Il va falloir bâtir sur le vide, sans chercher à toujours remplir. Mon Royaume pour une idée!

Le public est venu voir des comédiens sans peurs et sans reproches se débattre avec des contraintes draconiennes: comment va-t-on enchanter cette scène vide, avec du contenu qui ait du sens? Devant moi, quelques vagues indices que m’a donné mon partenaire. L’énigme. Je lutte, je sue; et en même temps, c’est bon; ce sont aussi ces gouttes de sueur que les 98 spectateurs sont venus voir: un comédien-dramaturge qui crée en direct, comme dans ces restaurants asiatiques où on vous grille une plancha de poulpes coupés juste devant vous. L’impro a ce petit goût de fait maison.

Pendant ce temps, je continue mon enquête.

« À quoi vous fait penser cette tache, alors? »

L’improvisateur est un chien policier qui renifle les petites transformations du plateau de jeu, pour en extraire la substantifique moelle. Après, il s’agira de ronger ce squelette d’idée, de jeter les osselets pour suivre le fil narratif. C’est ce que je me tue à dire aux élèves avancés qui ont encore peur de la scène vide: venez sans rien. C’est le meilleur état de création. Vous allez « voir » la scène qui se fera devant vous, sans avoir l’impression de créer. La création sans travail. L’effort sans effort. Wu Wei.

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Improvisation et créativité

L’impro c’est pas jouer au poker

Pas de réaction.

Pas d’intérêt.

L’impro, c’est pas jouer au poker. Ni épater ses potos qui sont restés en bas du slingshot.

Alors maintenant tu vas me montrer ce que tu ressens, ce que tu as dans le ventre, et j’espère bien que ça va s’afficher quelque part sur ton corps, bon sang.

Même un battement de cil. Ça me suffit.

Tant que c’est sincère.

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Enseignement, Improvisation et créativité

Une escalope sous l’aisselle

Exercice:

1) Pensez à un objet qui vous inspire émotionnellement – ça peut être très personnel; vous avez le droit d’être trivial ou banal. Une pomme fera l’affaire. Vous pouvez aussi chercher plus loin: un hérisson, la photo de votre grand-père, une liasse de billet de mille francs.

2) Pensez à une partie du corps. Vous pouvez choisir un organe interne ou une zone dont vous ne connaissez pas le nom.

3) Commencez à déambuler dans l’espace de l’atelier, comme si vous deviez marcher avec cet objet sur l’endroit du corps que vous avez choisiPar exemple, moi, j’ai choisi de placer une escalope de porc (crue) sous l’aisselle. Ça me met mal à l’aise et me donne envie de serrer les bras contre mon corps. Vous pouvez aussi réaliser des actions simples: déplacer une chaise, ré-ajuster un tableau au mur, déplacer la poubelle. Tentez aussi des actions dirigées sur vos partenaires: serrez la main de Sophie, brossez le T-shirt d’Ismaël, relacez les baskets de Kimberley.

4) Lorsque vous croisez un partenaire, jaugez-le avec quelques mètres à l’avance, puis serrez-lui la main. La poignée de main signifie un « transfert de charge« : vous allez imiter la démarche de votre partenaire (et vice-versa). Pas d’échange verbal pour vérifier que la « charge » est correcte. On s’en contrefout. Ne venez pas tout polluer avec de l’intellectualisation et la pulsion de « faire juste ». Ce qui est important dans tout l’exercice, c’est que l’ancrage doit vous faire explorer une nouvelle manière de marcher.

Recommencez avec de nouvelles combinaisons [objet] + [partie du corps]. Ce qu’il faut encourager chez les participants, c’est le sens du jeu: qu’est-ce qui les inspire le plus, émotionnellement? Une banane écrasée? Une taupe hyperactive? Une lettre de rupture? Et comment ça les fait réagir? Sont-ils fiers de marcher avec un microphone dissimulée dans leur genou? Sont-ils honteux de cacher un furoncle purulent derrière l’oreille? Sont-ils irrités de subir un cactus dans l’estomac? Je me fous de ce que vous vous donnez, j’ai juste envie de vous voir explorer une autre manière de marcher, de vous tenir debout, de parler et de réagir à votre partenaire.

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Actualité, Écriture, Improvisation et créativité

Improvisation at the Speed of Life

C’était un ouvrage très attendu du côté de l’impro anglo-saxonne. Dans la communauté francophone, personne n’en parle (et c’est dommage) et bien peu ont déjà entendu parler (et c’est dommage) des excellents TJ & Dave, deux sommités de l’improvisation dans la mouvance de « Del Close », auteurs d’un duo génial: 60 minutes d’impro de type longform, sans artifice, sans suggestion et sans concession.
Personnellement, c’est le meilleur spectacle d’impro qu’il m’a été donné de voir en vidéo, et leur bouquin est à la hauteur de leur talent (et c’est génial).

« Je suis sûr que vous avez déjà eu ce feeling, quand vous êtes dans un Harold: une scène est en train de se jouer, vous êtes en réserve, mais les choses ne se passent pas tout à fait comme il faudrait; ou alors la scène aurait besoin de se terminer. Votre corps commence à bouger pour éditer la scène, mais vous vous arrêtez pour une raison quelconque. Peut-être que vous vous dites: « J’ai aucune idée pour commencer la scène suivante », ou « J’ai pas envie de mettre les pieds dans le plat », ou « J’ai rien de malin à ajouter ».
Dites-vous que votre première impulsion d’édition était correcte. Votre pied avait raison. Ecoutez votre pied. Soyez attentifs à ce genre d’instinct. La peur n’est jamais une bonne raison d’interrompre son élan. Il y a peut-être d’autres facteurs qui entrent en jeu, mais la peur seule n’est jamais une raison valable. »

Improvisation at the Speed of Life, Jagodowski, Pasquesi & Victor, pp. 128-129 [ma traduction]

La philosophie de TJ Jagodowski et Dave Pasquesi est relativement simple: improviser, c’est écouter, puis réagir, puis écouter, puis réagir, de manière la plus organique et la plus simple possible. Rien de nouveau sous le soleil, mais quelques perles de sagesses, et des vérités souvent très bien expliquées.

« Suivre la peur » peut nous servir de repère pour avancer dans une scène formidable, consistante et durable. Partons sur l’idée d’un couple sur le point de sortir au restaurant; jusqu’ici, le spectacle nous a suggéré l’idée que le couple était en crise. On pourrait donc faire le choix « prudent » de jouer une discussion sur le choix du restaurant: italien, indien ou chinois? Ou peut-être devrait-on se faire livrer? Un choix plus « dangereux » consisterait à traiter des problèmes du couple: devraient-ils divorcer? Doivent-ils envisager une séparation de quelques semaines? Est-ce qu’ils s’aiment encore? En improvisation, nous devrions nous engager dans ces questions difficiles et compliquées, ce genre de débats qu’on s’évertue à éviter dans la vie réelle.
L’ironie, c’est qu’en traitant ce genre de sujets difficiles, l’impro devient beaucoup plus confortable à mener. La tragédie sur le mariage aboutira à une scène beaucoup plus intéressante, engageante et durable que les digressions sur la qualité de la farce à la ricotta dans les ravioli. Tenir 50 minutes sur scène en parlant de pâtes, c’est vraiment difficile. Mais parler pendant 50 minutes d’un mariage qui flanche? Fastoche! Notre boulot devient plus facile, parce qu’on a beaucoup plus de matériel à exploiter, plus d’émotions à ressentir et davantage de situations et de relations à exploiter. »

Improvisation at the Speed of Life, Jagodowski, Pasquesi & Victor, p. 75 [ma traduction]

Le bouquin se présente parfois comme une discussion informelle entre les deux improvisateurs et Pam Victor, qui co-signe le livre. Il y a un côté « le-lecteur-est-une-mouche-qui-assiste-à-une-discussion-intime-sur-l’impro » qui rend l’ouvrage très sympathique. Le style très détendu de TJ & Dave est bien retranscrit, leur approche est abondamment détaillée et nourrie de nombreux détails et anecdotes. Dans les bémols, on peut seulement relever quelques redondances (globalement, l’ouvrage est plutôt mal structuré – mais comment structurer efficacement un ouvrage d’impro, je vous le demande?) et quelques maladresses de style.

Actuellement, c’est ce que j’ai lu de mieux sur la mouvance « slow comedy », donc je le recommande chaudement comme lecture d’été.

Interro en septembre.

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Enseignement, Improvisation et créativité

Catalogue ou concentré de tomate?

Deux styles d’ateliers, selon que vous pratiquez avec un geek du rendement, ou un maître zen qui n’a plus rien à prouver.

1) Le catalogue d’exercices
Le formateur a des tonnes d’exercices à partager, à des niveaux divers, sur des modes différents. C’est fun, c’est frais, c’est généreux, ça peut partir dans tous les sens. Ça va généralement convenir aux débutants et ça dérouillera les vétérans. Les exercices sont enchaînés sans que tout le monde puisse forcément y passer, avec un abondant débriefing sur les manières d’atteindre le nirvana de l’exercice. Défaut majeur: on risque d’effleurer les sujets sans approfondir quoi que ce soit.

2) Le concentré de tomate
L’intervenant a un exercice-fétiche, autour duquel gravitent quelques exercices préparatoires. Les participants peuvent tous se frotter à l’enjeu principal, centré sur un élément de jeu bien précis. Tous les participants peuvent passer au moins une fois, et reçoivent un débriefing centré sur leur pratique individuelle. Défaut majeur: si on n’entre pas dans la démarche, si on se brouille avec le formateur, on passe complètement à côté de l’atelier.

Lorsque j’intervenais dans des équipes externes, j’ai longtemps favorisé le catalogue d’exercices. Je disais « Voilà des outils que je peux vous présenter. Je vais vous en montrer un maximum, et vous pourrez ensuite les approfondir quand je ne serai plus là. » Parfois, je rajoutais aussi « Faites ceci en mémoire de moi » mais tout le monde croyait que j’avais une maladie grave ou un complexe messianique (alors j’ai arrêté).

Il y a plusieurs limites à cette approche conçue comme un « inventaire d’exercices »: la semaine suivante, quand je ne suis plus là, les élèves ne font pas forcément les exercices que je leur ai présentés; la routine est revenue au galop, leur entraîneur régulier a d’autres chats à fouetter, la technique se disperse, on égare le cahier de notes, et voilà encore un atelier à 250 balles qui passe par la fenêtre. Normal: les improvisateurs aiment les défis; si je leur ai juste fait miroiter un objectif flou, ils n’ont pas pu se casser les dents sur un élément de jeu, ils ne sont pas stimulés. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre (même en leur disant que c’est bon pour la santé).

Ces derniers temps, j’étais souvent de l’autre côté, en tant que participant. J’ai pu prendre conscience que ce qui était important pour l’élève-comédien, c’est d’avoir un cadre d’exercice précis et efficace avec une philosophie bien structurée tout autour. Idéalement, on souhaite un exercice simple à appréhender, mais mobilisant des compétences tellement fondamentales que la réalisation de l’exercice en appelle à un savoir-faire compliqué. Dans les stages où j’ai le plus appris, j’étais en face d’exercices réputés « impossibles »: la chaise du clown, le masque neutre, la transmission de couleurs par le mime… Le genre d’énigmes théâtrales qui peuvent vous accompagner pendant toute votre carrière, et qui vous mettent en face de vous-mêmes, en tant qu’artisan.

Comme dit mon frangin:
« L’important, dans la sauce tomate, c’est les tomates. »

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