Pire que les retards imprévus des CFF, pire que leurs contrôleurs aigris, pire que les taches suspectes sur les sièges, pire que les gosses qui braillent dans tout le wagon; oui, il y a pire que tout ça: le vrai problème, le seul fléau, c’est l’usager pressé qui vous pousse sans aucune dignité au moment d’embarquer.
Tout d’abord, le train arrive en gare. Pendant la durée de sa lente immobilisation progressive, les voyageurs s’agglutinent comme des mouches autour d’une plaie sanguinolente, en ébauchant une bizarre chorégraphie: maladroitement, les pressés esquissent des mouvements de crabes pathétiques pour se positionner dans l’axe de la porte.
Ensuite, la porte s’ouvre pour laisser s’échapper les voyageurs précédents. Ceux-ci doivent se frayer un difficile chemin à travers la foule de pressés, qui ne lâchent pas d’un pouce leur précieux terrain – chèrement défendu à force de regards noirs et frottements subreptices. Comme s’ils ne connaissaient pas les règles élémentaires de proxémique, les pressés fusionnent en une masse noirâtre et humanoïde, qui se referme sur les évadés avec brutalité. Vous qui entrez en gare, abandonnez toute espérance d’apercevoir une once de dignité: ici, c’est chacun pour soi. Si les usagers avaient des machettes, il y aurait du sang sur les voies.
Troisième phase: les pressés se poussent discrètement pour entrer les premiers, obsédés qu’ils sont par l’idée d’être enfin à l’intérieur – comme si le train n’allait pas les attendre, comme si le wagon était un vagina dentata prêt à les avaler dans un gloussement sec et morbide. Toute trace d’empathie a définitivement disparu, et les pressés s’ignorent religieusement; le silence est de rigueur – on n’ose pas proposer un « après vous », qui pourrait soudain ouvrir une brèche d’humanité dans cet océan d’égoïsme.
Quatrième phase: une fois dans l’intimité du wagon, les pressés occupent leur place comme une propriété privée; tous les moyens sont bons pour prendre le plus de place possible, pour rendre impossible toute intrusion étrangère: bagages en désordre, nourriture odorante, pieds nus, position de sieste (parfois feinte), musique bruyante – les pressés ne reculent devant aucun stratagème. Et si un quidam se permet le sacrilège de demander si la place est libre, il se voit sanctionner d’un regard noir, d’un « mouais », d’un deuxième regard noir et d’une lente manifestation d’efforts surhumains, accomplis à contrecœur, pour libérer de l’espace.
Et encore – les pressés gardent toujours l’accoudoir central. Toujours.
… et l’autre soir, dans un élan d’humanité, comme tu dis, j’avais envie de crier un énorme « bonne soirée à tous » en sortant du train…
mince, finalement, ça aurai peut-être donné le sourire à quelques-uns… même les plus pressés!
on verra si cet élan me reprend une fois, he he!
oh yeah, j’en suis à toute balle! Je suis sûr qu’ils sont sensibles à l’humour, ces mecs-là!
Personnellement, j’ai toujours fantasmé sur le fait d’écarter les bras « à la Moïse » pour séparer le flux des voyageurs à quai… On verra si j’ose prendre mon élan.
Alors tu films Yvan, si tu prends ton élan!!
Viens faire un tour en NZ, avec la tête en bas il semblerait que les gens soient plus polis. Au lieu de s’étaler, il se resserrent, histoire d’être sûrs de laisser assez de place. Ils disent bonjour, et parfois au revoir, et certains engagent même la conversation!
Et le choc en arrivant il y a 4 ans: les gens remercient le chauffeur de bus en sortant… « thanks Driver! » 🙂