Le Cercle des poètes disparus. Quand Robin Williams était encore vivant et que je n’avais pas encore de barbe au menton. Il était le héros de mon adolescence, de Hook à Good Morning Vietnam, l’enfant dans un corps d’adulte, le monstre d’improvisation et de fantaisie qui sautait dans tous les sens.
Il y a cette scène où il fait monter les étudiants sur son pupitre. Engoncés dans le conformisme des années 50, les élèves ont de la peine à se lâcher. Alors le professeur Keating (Williams) les force à déclamer de la poésie en les poussant de son bureau professoral. Remuez vos tripes, Ô capitaine mon capitaine, le jeune Ethan Hawke au visage d’ange qui découvre ses émotions.
Mais oui, vous savez, cette scène.
Je chiale à chaque fois.
Maintenant, je connais, les larmes ne me prennent plus par surprise. Je repère les séquences qui précédent, je sens les frissons me parcourir les bras. La chair de poule. Mais quand la fameuse scène est là, je chiale comme l’ado des années 90 que j’étais.
Mais ça ne s’arrête pas là. Il y a aussi Vol au-dessus d’un nid de coucou, Milos Forman au sommet de son art, Jack Nicholson en rebelle foldingue. La séquence où Miss Fletcher interdit aux pensionnaires de regarder le match de baseball. Et McMurphy (Nicholson) s’assied quand même devant le poste éteint, et il commence à commenter un match qui n’existe pas. Alors les autres aliénés s’approchent du poste, et voient que le poste est éteint, mais ils voient aussi que McMurphy commente le match du poste éteint, et ils voient que McMurphy y croit, alors ils y croient aussi. Et moi aussi j’y crois aussi et je pleure comme une Madeleine dans mes coussins brodés. Mon chat n’y comprend rien.
Et là encore, j’ai beau savoir que la scène arrive, j’ai beau me dire que c’est du cinéma, je suis ému.
Au fil des années, j’ai repéré quelques scènes comme ça qui me faisaient chialer à chaque fois, les fameuses sure-to-weep-like-a-baby-scenes. Je suis sûr que vous avez les vôtres. Donc moi, c’est:
- dans l’Eveil, la première fois que le Dr Sayer (Robin Williams) parvient à « réveiller » le patient Lowe (De Niro), malgré les réticences de son supérieur hiérarchique. Passe la balle, hop, hop, je pleure;
- dans Gandhi, à la fin de la marche du sel, lorsque des activistes non-violents souhaitent entrer dans une raffinerie de sel. Ils sont roués par les forces anglaises, sans jamais répondre par un geste violent. Pif, paf, voilà pour ta gueule, je chiale;
- dans le Seigneur des Anneaux, lorsque Gandalf aide Pippin à allumer les feux d’alarme du Gondor malgré les ordres de Denethor. Woush woush, cadrage panoramique sur les crêtes des montagnes, mes yeux s’embuent à cent à l’heure;
- dans Good Morning Vietnam, lorsque Kronauer (Robin Williams) désobéit à Dickerson en produisant quand même son émission de radio subversive. Je jubile et verse une larme antimilitariste;
- dans les Evadés, lorsque Andy Dufresne (Tim Robbins) parvient à s’évader par les égouts et lève les bras au ciel sous le déluge. Ça me coule des deux yeux, autour du nez, que d’eau, que d’eau.
Vous voyez le pattern? (outre le fait que Robin Williams m’émeuve particulièrement)
Hein, le pattern?
La désobéissance. La résistance à l’autorité. Le pouvoir de l’imagination et l’espoir inaltérable.
J’avais entendu qu’en tant qu’individu, on était plus sensibles émotionnellement à certaines thématiques qu’à d’autres. Ça va de pair avec la théorie des cinq blessures fondamentales qui peuvent nous caractériser: je ne tique pas face à l’injustice comme d’autres tiquent sur l’ingratitude, par exemple.
Là, à travers ces scènes de film qui me retournent les glandes lacrymales, je crois que je touche à une part essentielle de mon être: en irrémédiable optimiste, je sais qu’il y a toujours un chemin possible, même à travers les coups sur la tronche et les revers de fortune. La thérapie par les scènes qui font chialer. La catharsis par le cinéma.
Allez-y.
Faites l’inventaire pour vos scènes à vous, et trouvez votre pattern.
Et « Orange Mécanique » est dans la liste?
Well… c’était juste pour l’illustration, et même si j’adore ce film, je crois que j’arrive à le regarder avec les yeux secs.