Actualité, Choses politiques

Le matin dimanche, l’interview de Guy Parmelin

Guy Parmelin, comment allez-vous ?

Assez crevé. Les gens se rendent pas compte, mais au Conseil Fédéral (CF) on bosse plus de 60 heures par semaine. C’était le cas auparavant pendant les sessions parlementaires, mais avec la pression de la crise du Corona, ça devient très lourd. Ma femme m’a encouragé à prendre des vitamines, ça va un peu mieux mais ça reste chaud les ballons.

Est-ce qu’on peut se tutoyer, en fait ? Vous connaissez mon père, Robert Richardet.

Oui, oui, pas de problème. De toute manière les citoyens ne respectent plus grand-chose. C’est pas contre toi, hein : je dis ça parce qu’on reçoit des critiques super agress’ sur la manière de gérer le pays, comme si les citoyens ne mesuraient pas l’ampleur du truc et que tout le monde pouvait s’improviser épidémiologiste. Pour dire la vérité, il y a aussi des moments où je pige que dalle. J’essaie de faire confiance à Koch et Berset, il faut savoir déléguer. Moi je m’occupe de l’économie, c’est déjà un monstre pavé; alors si en plus on se chope des insultes, je suis à deux doigts de retourner soigner mes vignes. Merde à la fin (main sur visage), euh non je voulais pas dire merde (sourire gêné).

Je te sens un peu vénère.

Je te donne un exemple : on commence à avoir des lettres de petits indépendants qui sont au bord de la ruine. Ils ont rien vu venir, ils découvrent qu’il y a un vide dans les aides possibles; je comprends bien qu’on puisse rien faire avec 20 balles par jour d’APG (Allocations Perte de Gain), mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse, moi ? D’un autre côté j’étais en visioconférence avec le boss de Lufthansa qui menaçait de lâcher Swiss. Et ensuite les écolos tambourinent à ma porte avec des contraintes à mettre à l’aviation. Comme si c’était le moment de parler de contraintes ?

Mais reconnais-le, la crise serait une opportunité pour tout renégocier, non ?

Mais renégocier quoi ? Je le vois bien qu’on a un système de marde, avec deux poids deux mesures à tous les niveaux : en fait, si tu veux mon avis, cette crise est en train de dénoncer les inégalités économiques, et les gens préféreraient ne pas le savoir. On avait le déni climatique, désormais on a le déni économique. Hop un virus, et tout à coup les gens s’intéressent à la politiques ? Le péquin moyen – sans mauvais jeu de mot – (rires), il veut surtout aller au boulot normalement, boire son café normalement et regarder la télé normalement, sans trop se cultiver politiquement. Les gens aimeraient que tout redevienne comme avant. Mais même moi, en tant qu’UDC, j’y crois pas une seconde.

C’est quoi, ton projet de société pour la suite ?

Franchement, j’en sais trop rien. J’imagine qu’il va falloir lâcher du lest sur le Salaire à Vie. Pendant les vacances de Pâques, j’ai lu Bernard Friot, et je commence à être convaincu que c’est une solution qui peut nous sortir de l’ornière. En plus, j’ai vu qu’il a écrit d’autres bouquins sur l’abolition de la dette, je suppose que ça pourra nous être utile. Les gens ne réalisent pas à quel point la crise qui nous attend va dépasser celle de 2008. Il y a douze ans, on avait sauvé l’UBS un peu sous la table; de toute façon, dès que ça dépasse le million, la plupart des gens ne comprennent plus comment ça fonctionne en économie. Heureusement, parce que sinon on aurait tout le monde dans la rue, malgré les règles de distanciation ! (rires)

Mais du coup, ton projet de société ?

Je sais que ça va en choquer plus d’un au parti, mais je pense que les jeunes écolos ont raison : on va droit dans le mur depuis les années 1990 avec cette histoire de développement durable. Ça ne peut pas fonctionner. J’en causais avec Caro [son épouse, NDLR] l’autre jour : les gens sont déconnectés de la nature, ils sont stressés par un modèle hyper-compétitif et patriarcal… Alors oui, je sais bien que je ne suis pas dans le bon parti pour exprimer ça, mais j’ai envie de dire qu’il faut nous reconnecter à la nature, à la terre, au service agricole…

C’était ça, l’idée malheureuse derrière l’expression d’oreiller de paresse ? Se remettre à travailler aux champs ?

Rha là là, cette bourde qui a fait les choux gras des petits comiques… J’ai été très mal compris, mais l’idée c’était d’encourager les gens à cultiver leur propre jardin, au sens Voltarien mais aussi au sens propre : d’un côté, j’ai des amis maraîchers qui peinent à trouver de la main-d’oeuvre, et de l’autre j’ai des gens au chômage technique. Si les gens se sortaient un peu plus les pouces du derche, on aurait une utopie écolo-locale sur un plateau !

Et le monde d’après, justement ?

Economiquement, je pense qu’on va tenir, parce qu’on a quand même des putains de belles réserves (sic). Mais c’est financièrement où on va s’écharper sur les dettes : faut-il les annuler ou pas, réclamer un intérêt sur les prêts à intérêt zéro, tout ça j’y crois pas trop. Si on suit ce que qu’écrit David Graeber (et tout le monde devrait lire Graeber, il devrait être au programme scolaire, bordel à cul !) (sic), on devrait aller vers un jubilé de la dette, point barre. Là, avec les plans d’endettement on va léguer le résultat d’une grosse dépression à nos enfants. Qui parierait sur un tel système ? C’est criminel de faire porter aux suivants le poids de nos fautes. Si avec mon frangin j’avais dû racheter les vignes de mon père, je travaillerais encore à la rembourser en tirant la langue. La dette, c’est très virtuel. C’est qu’un truc pour se chamailler.

Un dernier mot pour la fin ?

Puisqu’on me donne une tribune pour m’exprimer – enfin – librement, j’aimerais dire deux choses : 1) la première c’est que je m’excuse platement pour ma malheureuse expression d’oreiller de paresse. J’ai merdé, je reconnais. J’y ai beaucoup réfléchi à cette bourde. Je pense que c’est le résultat d’une partie de moi, de mon conditionnement d’homme de la terre qui doit bosser pour faire fructifier les affaires. Ça ressort de temps en temps et c’était au mauvais moment. Bien sûr que je ne veux pas dire que les indépendants sont des paresseux, loin de là. C’était une frustration qui est ressortie de manière délicate, et si je pouvais retirer cette parole, je n’hésiterais pas à dégainer mon sécateur (sourire).
2) La deuxième chose, c’est qu’il faut arrêter de critiquer l’action du CF pendant cette crise. Ça nous mine en tant qu’êtres humains. Dites-vous bien qu’avec ce virus, personne ne sait vraiment de quoi il parle. On est dans une situation inédite où les médecins s’agitent en racontant tout et son contraire. En écho, pour parer à la crise économique, les experts de la finance racontent tout et son contraire. Au CF, on est conseillé par des dizaines d’experts qui compilent des milliers de rapports. Ensuite Daniel Koch lit tout ça, nous fait un digest et nous donne son avis. Koch, c’est une putain de machine, le mec fait du canicross et porte un sac à dos à coque, je vois mal à qui je pourrais faire davantage confiance : les mecs savent ce qu’ils font. Alors vos petites piques sur Facebook, ça va un moment mais à la longue c’est blessant. Voilà. Et Santé ! (rires) (et ouverture d’une troisième bouteille de Gamaret)

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