Le 4 décembre 2024, j’étais en train de manger une raclette tranquillou devant la télé, et tout à coup Christelle Luisier débarque dans le TJ pour donner un cours magistral de « Comment-ne-pas-répondre-aux-questions. » Et tout ça gratuitement. Vous l’avez peut-être loupé, du coup je vous le refais avec la transcription verbatim et mes commentaires. Et les questions en gras, comme ça on voit à quel point on peut arriver à sourire sans répondre à une seule question pendant deux minutes trente.
Contexte : un reportage sur la commune de la Tour-de-Peilz qui accumule les chantiers et les constructions. Trop de maisons, trop de travaux et des habitants qui se plaignent. La Municipalité est impuissante, puisque le plan d’aménagement est trop récent et que la loi protège les intérêts des propriétaires. Interview de la Présidente du Conseil d’Etat. Et donc, masterclass de langue de bois :
(Le journaliste) Madame la Présidente, bonsoir.
(La Présidente) Bonsoir.
(Le journaliste) Christelle Luisier, vous présidez le gouvernement vaudois, vous êtes également en charge du territoire, vous entendez cette inquiétude, euh, d’une commune là en particulier. Que peut faire l’Etat pour rassurer ces communes ?
(La Présidente) Bon ben tout d’abord effectivement vous l’avez rappelé hein, on a un droit fédéral qui aujourd’hui incite à densifier vers l’intérieur, à éviter le mitage du territoire, à préserver les zones agricoles; donc ce que vit la Tour-de-Peilz, on le vit sur le plan vaudois, mais aussi sur le plan suisse, euh donc on a une pénurie de logement et on a une nécessité hein de trouver des solutions par rapport à ça. Donc c’est vrai que, je dirais que, par rapport aux solutions, les premières solutions elles sont communales; c’est déjà d’avoir des planifications qui puissent avancer de manière rapide, parce que vous savez, un des soucis c’est quand vous avez des plans qui ne sont plus en phase avec la réalité. Typiquement le fait d’avoir de la nature en ville, de préserver justement, potentiellement des parcs, ou des maisons, c’est tout à fait possible dans le cadre de ces plans, mais les besoins de la population aujourd’hui ne sont pas forcément ceux d’hier.
Traduction : c’est la loi fédérale, on est tous à la même les cucus, c’est à la commune de gérer; quand les plans sont bien fait ça fonctionne quand même mieux, et c’était quoi déjà, votre question en fait ? Ah oui, vous vouliez des solutions pour rassurer. Vous êtes pas rassurés, là ?
(Le journaliste) On entend –
(La Présidente) Et puis après ben ce qu’il faut, c’est euh de la qualité et aussi de la participation pour qu’il y ait de l’adhésion.
Traduction : en fait à la Tour vous avez fait nawak. On est dans un pays démocratique, quand les gens se plaignent, agitez le terme « participation » et « adhésion » et vous verrez, après les gens feront moins les malins.
(Le journaliste) Christelle Luisier, on entend cette inquiétude, il y a des signaux faibles un peu partout, à Genève aussi quand on veut densifier dans votre canton, dans d’autres communes également, euh, les gens ont l’impression qu’on construit beaucoup pour accueillir plus de monde, mais que ces apparts se remplissent aussitôt et qu’il faut qu’on en construire d’autres. Il y a un sentiment de perte de contrôle peut-être ?
(La Présidente) Bon je dirais qu’il y a, qu’il y a deux phénomènes. 1) Il y a quand même un phénomène de « Not In My Backyard » hein, en bon français, donc « Pas dans mon jardin », donc c’est vrai qu’on a quand même aujourd’hui une recrudescence hein de voisins ou de gens qui n’ont pas envie forcément que l’on construise à côté de chez eux alors même que l’on est dans des centralités, qu’on est à côté des services, du rail, et cetera. Donc ça c’est un premier problème. 2) Le deuxième, c’est qu’effectivement aujourd’hui on a dans la population potentiellement un sentiment de saturation, et moi je crois euh fortement au développement de notre pays, la croissance elle apporte de la prospérité, parce qu’elle permet la création de places de travail, la prospérité et donc de la redistribution de richesses pour assumer les prestations, avec le vieillissement de la population et cetera, MAIS, mais, c’est aussi aux autorités de pouvoir rassurer, et pour rassurer, eh bien il faut que ce développement il reste qualitatif, et donc qu’il y ait d’une part des logements qui reste avec des loyers abordables, et d’autre part que la qualité de vie soit au rendez-vous.
(Le journaliste) L’autre question –
(La Présidente) Et donc la qualité de vie, et ça a été dit dans ce reportage, c’est vraiment les infrastructures.
Traduction (easy shit, bro) : Plus de croissance ! Davantage de trucs ! Encore des machins !
(Le journaliste) Ouais, les infrastructures parlons-en. Ben hier soir votre collègue de parti PLR Philippe Nantermod en parlant des réfugiés ukrainiens disait « eh ben voilà, les gens trouvent qu’il y a trop de monde, parce que par exemple, alors qu’ils refusent les infrastructures, les autoroutes », euh, là on a vu l’exemple des écoles, on a l’impression de générations d’écoliers qui vont peut-être euh aller à l’école dans des containers parce qu’il faut construire très vite, il faut aller vite, euh est-ce qu’on arrive à suivre assez vite, finalement ?
(La Présidente) Bon je pense que c’est un de nos plus gros défis, euh, vous parlez des écoles, moi ce que j’entends beaucoup aussi c’est la question de la mobilité euh, donc euh les bus, le rail et cetera, et donc dans ce cadre-là, l’enjeu, pour nous, en terme d’autorité mais ça vaut aussi pour les autorités fédérales, cantonales et communales, c’est d’arriver à accompagner cette croissance avec ces infrastructures. Qui ne sont d’ailleurs pas forcément bloquées que pour des raisons financières, mais malheureusement parfois, aussi et même souvent pour de questions de procédures, de recours et cetera.
Traduction : les rares fois où on n’arrive pas construire assez vite, c’est à cause de la loi. Putain de démocratie, quand même.
(et ensuite, un autre sujet)
Devant ma téloche, j’avais l’impression d’une resuçée du générateur de langue de bois de Franck Lepage : on aligne des mots comme autant de slogans vides de sens. À chaque fois quelle parle des infrastructures, Mme Luisier prend bien soin d’éviter de parler des bagnoles. Comme si les infrastructures, c’était juste les bus, le rail et des « et cetera » qui sont tout à fait au même niveau. Ça passe, c’est en direct, c’est des grosses ficelles et des larges couleuvres, on parle pour ne pas dire grand-chose pendant trois minutes, mais comme ça on aura un peu évoqué le problème du monstre qui se fissure de partout. Et pendant ce temps, les municipales de la Tour-de-Peilz en ont raz la patate et les pelleteuses continuent de creuser les catacombes de la croissance.
C’est moins Mme Luisier que le journaliste que j’aimerais titiller avec un fer à béton : c’est dingue de pouvoir tolérer un tel fatras d’idées sur la croissance, comme autant chiffons rouges qu’on agite pour faire diversion. J’aurais aimé qu’il se lève, Philippe Revaz. Qu’il dénoue sa cravate, qu’il enlève son micro. Qu’il hurle « Non mais Christelle, répondez-moi à la fin ! Je vous pose une question simple sur le rôle de l’Etat et vous me dites qu’il faut de la participation, de l’adhésion et de la croissance ! Vous valez mieux que ça, Christelle ! Avouez qu’au fond de vous, vous êtes en porte-à-faux moral, face aux contradictions d’un modèle économique aveugle de son propre emballement ! ».
Et puis après il y aurait eu une petite fanfare sur le plateau, de la fumée et un grand banquet où on redécouvre les plaisirs simples.
D’ailleurs j’ai éteint ma télé.


