Écriture, Choses politiques, Enseignement

Examens finaux

Un jeune moine voulait atteindre la sagesse.
Il se rendit donc au monastère de Zsouh, où enseignait le grand maître Bagha. Celui-ci le prit sous son enseignement pendant une année. Le jeune moine apprit l’art de la méditation, des mathématiques et du jardinage.
Au bout d’une année, le maître Bagha appela le jeune moine dans sa tente.

« Jeune moine, je t’ai convié sous ma tente pour que tu puisses prouver ta sagesse.

– Merci maître.

– Il n’y a pas de quoi. Avant de passer les épreuves, je vais te poser une question décisive.

– Je vous écoute, maître.

– Jeune moine, te sens-tu capable de réussir des épreuves de sagesse? »

Le jeune moine réfléchit un moment. Il avait beaucoup appris aux côtés du maître, et il pensait avoir fait des progrès adéquats. Il répondit donc:

« Oui, je me sens capable de réussir les épreuves, maître.

– Sors d’ici, prétentieux! Tu ne mérites pas que j’examine tes compétences! »

Très surpris, le jeune moine ressortit de la tente. Et pendant une année supplémentaire, il suivit l’enseignement du maître. Il apprit de nouveau l’art de la méditation, des mathématiques et du jardinage.
À la fin de l’année, Bagha fit revenir le jeune moine sous sa tente, pour à nouveau éprouver sa sagesse.

« Jeune moine, je t’ai à nouveau convié sous ma tente. Je te repose la même question: te sens-tu capable de réussir les épreuves de sagesse? »

Le moine avait réfléchi pendant toute l’année à cette question. Il trembla un peu, puis répondit:

« Non, maître. »

Bagha se mit à nouveau dans une colère noire:

« Sors d’ici, fainéant! As-tu donc paressé toute l’année pour n’avoir rien appris de plus? »

Le jeune moine était tout à fait interloqué. Il ne comprenait pas pourquoi sa réponse ne lui avait pas ouvert les portes des épreuves de sagesse. Mais il respectait son maître, et il travailla encore à son service pendant une année.
Le temps venu, le maître Bagha fit venir une troisième fois le jeune moine sous sa tente:

« Jeune moine, je t’ai enseigné l’art de la sagesse pendant trois bonnes années. J’aimerais à nouveau te soumettre aux épreuves, mais avant cela, je vais te poser la même question que les années précédentes. Tâche cette fois d’y répondre avec sagesse. Alors, te sens-tu capable de réussir les épreuves de sagesse? »

Le moine fit mine de réfléchir, mais il avait la réponse depuis deux jours:

« Maître, je ne sais pas. Je ne connais pas encore ces épreuves, mais je ferai de mon mieux. »

Son maître Bagha sourit et lui dit:

« Très bien, jeune moine. Tu as répondu judicieusement. Tu vois, la première année, tu étais plein de confiance, rempli d’égo: je devais te purger de ta vanité. La deuxième année, tu hésitais, tu doutais, tu n’avais plus de repères. Je devais te montrer le chemin. Par ta nouvelle réponse, tu viens de me prouver que tu as trouvé un équilibre entre doute et confiance. C’est ça, la sagesse.

– Merci, maître.

– Tu peux maintenant repartir chez toi, jeune moine, car je n’ai plus rien à t’apprendre. »

Et le jeune moine repartit chez lui. Plus sceptique, plus confiant, et plus sage.

grat grat grat

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Choses politiques

Ce que je n’arrive pas à comprendre chez les humains

Mon chat Tibert (toujours en fugue) m’a laissé une liste de choses qu’il ne comprenait pas chez les humains:

les femmes enceintes qui fument

Tibert ne comprend pas pourquoi les humains cherchent à connaître en détails certains phénomènes médicaux, pour les ignorer grossièrement la minute d’après.

– l’engouement pour les sports automobiles

Qu’est-ce qu’il y a de spectaculaire? (m’a demandé un jour Tibert). L’impression de vitesse, sans doute (lui ai-je répondu). Mais pourtant, c’est la vie qui va déjà trop vite (m’a-t-il rétorqué).

– l’armée suisse

Tibert estime que le concept « d’armée défensive » est la plus grande mascarade rhétorique du siècle.

– la presse people

On dirait que vous cherchez à vous intéresser à ce qui est le plus bizarre, le plus lointain, le plus exceptionnel de vos propres âmes. Pourtant vous avez quantité de philosophes qui auraient dû vous convaincre que le voyage en vous-mêmes était le seul qui vaille la peine.

– les gens qui ne se saluent pas dans la rue

C’est peut-être parce que je suis un chat (me dit-il), mais je ne comprends pas comment vous pouvez passer les uns à côté des autres sans vous adresser ne serait-ce qu’un signe de reconnaissance. Moi, je salue même les fleurs et les abeilles, tu sais. On fait tous partie du monde vivant, oui ou merde?

Tibert et sa liste

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Écriture, Choses politiques

À l’article de la mort

Je dois cette histoire vraie à Brigitte Romanens, qui m’a confiée son chat Lipton (le frère de Tibert!).

Il était une fois, en Suisse Romande, une famille qui vivait très heureuse avec un chien. Les enfants avaient accueilli le petit chiot avec bonheur, et l’animal avait grandi en même temps qu’eux, pour atteindre l’âge respectable de vingt-cinq ans. Maintenant, il était très vieux, et le vétérinaire recourait désormais aux soins palliatifs pour lui soulager ses misères.

Un certain hiver, le chien commença à se traîner dans la maison, à l’article de la mort. Autant dire que la famille était desespérée. Au bout d’un mois, la mère alla voir le vétérinaire. Monsieur le vétérinaire, dit-elle, on ne sait plus quoi faire à la maison. Fido est tellement vieux, on dirait qu’il ne veut pas mourir. Mais nous ne pouvons pas nous résoudre à le piquer. Qu’est-ce qu’il faut faire, monsieur?

– Je comprends votre douleur. Mais voilà ce que vous devez faire: vous allez lui dire qu’il peut mourir. Vous allez lui donner la permission de partir.

La mère revint à la maison sans savoir si ça allait marcher. Le soir, elle demanda à la famille de dire adieu au chien. Elle l’emmena pour une dernière promenade (son parcours préféré!), et une fois de retour à la maison, elle lui murmura à l’oreille.

– Nous t’avons beaucoup aimé, mon chien. Merci pour tes caresses et tes aboiements. Tu peux mourir, si tu veux.

Elle se trouva un peu ridicule de parler à un chien; en allant se coucher, elle riait encore d’elle-même et se promettait de passer à une solution plus expéditive. Elle fit des rêves compliqués.

Mais le lendemain matin, le chien s’était laissé mourir.

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Choses politiques, Enseignement

7 conseils pour réussir ses études

Après avoir réussi successivement le Gymnase (lycée), l’Université et la Haute École Pédagogique (IUFM) du premier coup, en menant également une carrière d’improvisateur, de musicien amateur et d’amant (!), je me permets de partager quelques conseils. À prendre où à laisser; faites-en votre miel, ça n’engage à rien.

  • Soyez présent

Venez au cours. Venez aux séances de séminaires. Venez aux trucs qui sont pas vraiment obligatoire, mais qui pourraient être intéressants. Le but, c’est de faire partie des murs. Les rares fois où vous serez cloués au lit, on remarquera (et déplorera) votre absence. Et quand je dis « soyez présent », suivez le cours, ne suivez pas la conversation du dernier rang.

  • Faites le boulot

Le moindre exercice à rendre, donnez-le dans les délais. La moindre dissertation à écrire est sur la table de l’assistant au jour dit. Le courriel que vous devez écrire au professeur pour lui annoncer votre programme d’examen, vous le taperez à la minute où vous aurez fini de lire ce billet.

  • Faites-vous apprécier des profs

J’ai été prof, je sais de quoi je parle: l’enseignant est de toute manière favorable à l’élève qu’il aime bien. Évaluations, délais, entretiens… Tout joue en la faveur du chouchou. Pas besoin de vous transformer en lèche-cul pour autant: faites juste le mec qui écoute; regardez votre prof quand il parle; regardez-le avec le regard intelligent de l’élève qui comprend.

  • Limitez le temps avec vos collègues étudiants (surtout les imbéciles)

Seigneur, on serait surpris du temps que les gens passent délibérément avec des collègues qu’ils n’aiment pas. Fuyez les gens qui ne vous apportent rien. Ayez toujours un livre urgent à lire à la biblio. Arrêtez le café. Refusez les apéros. Tout ça ne va pas vous « donner du courage » ou vous « détendre ». Ce qui vous détend, c’est d’arriver le soir à la maison en ayant bien bossé.

  • Communiquez honnêtement (avec les profs, avec vos amis, avec vous-même)

Vous avez besoin d’un délai supplémentaire pour rendre votre travail écrit; envoyez un courriel au professeur pour lui demander ce qui est possible. Vous avez merdé votre présentation orale; dites à votre co-séminariste pourquoi. Prenez la responsabilité. Montré que vous comprenez ce qui s’est passé et que vous reconnaissez vos erreurs. Soyez dur avec vous-même. Puis pardonnez-vous.

  • Rendez-vous indispensable

Vous êtes doué en informatique, et vous en faites profiter toute la classe. Vous prenez des bonnes notes, et vous les photocopiez à ceux qui vous le demandent. Vous connaissez le mystérieux numéro de la salle où a lieu le prochain cours et vous le communiquez aux autres. De cette manière, vous partez en positif avec les autres. Quand vous serez dans la merde, vous aurez des gens sur qui compter. Après quelques années, ça s’appelle de l’amitié.

  • Ayez les yeux plus gros que le ventre. Mais finissez quand même l’assiette

Prenez beaucoup trop d’engagements (surtout quand vous devez finir votre travail de certificat); c’est lorsque vous êtes sous pression que vous êtes efficace (dans les limites du raisonnable). Demandez à ce qu’on vous impose des délais. Mettez-vous en retard exprès, une fois pour rire. Lisez un bouquin de gestion du temps, aussi.

Je ne garantis pas que vous réussirez. Mais par contre, vous vous rendrez compte que les « bons élèves », les « premiers de classe », les « intellos » appliquent tout naturellement ces principes depuis leur plus tendre enfance.

Et ça marche.

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Actualité, Choses politiques

Peut-être mon dernier billet

Randy Pausch est décédé il y a une semaine d’un cancer du pancréas.

C’était un charmant gaillard.

Je l’ai découvert en visionnant une vidéo sur la manière de gérer un peu mieux son temps, alors que j’étais dans une période où je procrastrinais relativement pas mal (ça veut dire beaucoup). Randy Pausch m’a convaincu qu’il était redoutablement efficace de traiter ses e-mails régulièrement et de se coucher avec une boîte de réception vide (conseil que j’applique avec succès depuis 3 mois, yeah).

En quelques mots, Randy Pausch est un universitaire brillant, mais pas seulement: c’est un humaniste profond, un orateur hors pair et un philosophe incroyablement pratique: le genre de mec qui vous donne des conseils de time management alors même qu’il sait qu’il n’a plus que 6 mois à vivre. Il avait ainsi pris l’habitude, dans ses conférences, d’annoncer de but en blanc sa mort imminente. « S’il y a un éléphant sur scène, autant le présenter tout de suite au public, » disait-il, en commentant le diapositive qui montrait les tumeurs sur son pancréas.

En septembre 2007, il avait donné une conférence intitulée The Last Lecture pour encourager les gens à réaliser leurs rêves de gosses. Perso, c’est plutôt sa précédente causerie qui m’avait le plus impressionné, mais cette « dernière conférence » est peut-être plus émouvante; elle a réalisé l’improbable prouesse d’être une vidéo qui a dépassé les 5 millions de visions sur YouTube, alors même qu’elle dépasse une heure.

Ce qui me semble intéressant à dire, c’est que Randy Pausch illustre une prise de conscience assez courante chez nous: on a tous entendu parler de quelqu’un, proche ou pas, qui a subitement ré-orienté sa carrière, sa manière de vivre ou ses priorités suite à une crise de santé / un accident gravissime / une expérience de la mort.

Mais oui, vous connaissez tous l’histoire de l’oncle Richard qui, suite à son accident quasi-mortel, a revendu son entreprise qui était sa vie, lâché ses actions Swisscom, et prend son pied à donner des cours de macramés aux enfants handicapés du Bénin.

Je fais le lien avec Eckhart Tolle, que j’ai lu récemment, qui disait que la sagesse vient après avoir décidé de lâcher son ego, de « mourir avant sa vraie mort »: c’est tellement dommage d’avoir besoin d’une rencontre choquante avec la mort pour faire le point sur sa vie.

Dieu m’est témoin que je ne vous souhaite ni cancer exécrable, ni perte de votre animal favori, ni accident de voiture avec du sang sur les vitres.

Mais faites-vous plaisir avant que ça vienne, bon sang.

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Choses politiques

Le coup de marteau

On ose à peine appeler ça une légende urbaine, puisque c’est plutôt une histoire campagnarde, que mon père raconte quelquefois quand il veut donner un argument sur la valeur de l’expérience.

Il y avait un temps où chaque village du canton de Vaud (Suisse) avait une laiterie. Vous savez certainement qu’une laiterie dispose d’une énorme cuve, où est caillé, puis présuré le lait afin d’amorcer le processus de fabrication du fromage. Parfois, cette cuve est fixée sur un axe tournant, pour permettre le brassage de la masse.

Dans un village dont on a oublié le nom, le laitier constate que sa cuve fait un drôle de bruit. Une espèce de brom-bodom-bom-bodom persistant, un bruit sourd qui finit par résonner dans toute la laiterie.

« Il faut faire quelque chose, » se dit le laitier. « Je vais appeler le fabricant de la cuve, il doit pouvoir réparer ça. »

Le fabricant ne sait pas d’où provient le bruit. « La cuve a probablement reçu un choc. Elle n’est plus tout à fait ronde, elle est déséquilibrée sur son axe. À part changer la cuve, il n’y a rien à faire. »

« Mais je n’ai pas les moyens de changer la cuve! » dit le laitier. « Vous n’auriez pas une autre solution? »

Le fabricant lui répond qu’il voit peut-être une autre alternative. « Il y avait un vieux ouvrier dans notre filiale suisse-allemande, il avait le chic pour résoudre toutes les pannes. Il pourra peut-être vous aider. »

Ni une, ni deux, le laitier appelle le spécialiste; le lendemain, il est là: c’est un vieillard moustachu qui sent la poussière.

Le vieux s’approche de la cuve. Il la fait tourner. Il écoute le bruit. Il ressort de la laiterie, fourrage dans sa voiture, revient avec un marteau. Il fait à nouveau tourner la cuve. Il écoute le bruit. Il arrête la cuve.

À un endroit précis de la cuve, il assène un violent coup de marteau. Il fait tourner la cuve.

Plus un bruit. La cuve est comme neuve, et glisse sur son axe.

Le laitier saute de joie: « Seigneur! Merci mon brave! Vous êtes un sacré spécialiste! Comment puis-je vous remercier? »

Le vieux fait un signe de la main, il parle de facture. Le laitier croit s’en tirer avec une bonne bouteille. Il offre un verre au vieux, qui ne refuse pas. Il le remercie encore et encore, lui tape sur l’épaule.

Trois jours plus tard, le laitier reçoit une facture du spécialiste. Il est plutôt surpris, presque en colère: il y a un total de 1021 francs. Le détail n’est pas expliqué. Le laitier téléphone au vieux pour lui demander des précisions. Le vieux lui répond.

« C’est simple, mon bon monsieur:

Essence: 20 francs.

Un coup de marteau: 1 franc.

Savoir où donner le coup de marteau: 1000 francs. »

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Choses politiques

Paradoxe de Vez (2007)

Théorème formulé en décembre 2007 par le pasteur et philosophe Christian Vez:

Les adolescents, par le jeu de la confrontation, tendent à faire le contraire de leurs parents.

Pour autant que ces derniers aient fait le contraire de leurs propres parents, alors les adolescents font la même chose que leurs parents.

Autre formulation:

Soit trois générations: les adolescents (A), leurs parents (B) et leurs grands-parents (C); si l’on part du principe que tous les adolescents désobéissent à leurs parents et tentent d’échapper au schéma familial, on a: (A) désobéit à (B), et (B) a désobéi à (C) lorsque (B) étaient enfants. Avec du recul, (A) et (B) on donc effectivement fait la même chose, en désobéissant à leurs parents.

Corollaire:

Imaginons maintenant qu’une génération (A) d’adolescents tente d’échapper à ce paradoxe, en « faisant comme leurs parents ». Par là, ils vont à l’encontre de la norme fondamentale (jeu de la confrontation). Dès lors, ils ne font pas comme leurs parents; à ce titre, ils font donc comme leurs parents.

Est-ce que quelqu’un aurait de l’aspirine?

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Choses politiques

Martin Luther

Le réformateur (1483-1546) a dit :

« J’ai tant de choses à faire aujourd’hui que je vais encore prier pendant une heure. »

Une belle leçon de gestion du temps: l’art de planifier précautionneusement plutôt que de se lancer dans l’activité sans avoir pensé aux priorités.

Je repars pour une autre heure de glande.

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Choses politiques, Internet

Je mourrai incomplet

Je sais pas pour vous, mais j’ai de la peine à NE PAS finir une boîte de chocolat.

Même chose au restaurant: si on me propose le « menu dégustation », qui réunit toutes les spécialités du coin dans des petites portions, c’est fini, je commande à la serveuse avec un rictus sardonique au coin des lèvres. Ou alors, si je suis en Écosse, il me faut mon haggis, la fameuse panse de brebis farcie, dont tout le monde dit qu’elle est dégueulasse, mais moi j’étais tombé sur une bonne, ça dépend du boucher, c’est comme le boudin.

Eugène Boudin (1824-1898), peintre français, précurseur de l’impressionnisme

Donc si je suis en Écosse, je vais vous faire tous les restos d’Edinburgh jusqu’à avoir the plat pittoresque, comme disent les-z-anglais, le célèbre truc qui fait que je pourrais dire à tout le monde que j’ai mangé du haggis. Le truc qui rendra mon voyage complet. Le truc qui me fera tendre vers l’exhaustivité. Comme ça, je peux désormais dire: « Ça, c’est fait! ».

Ben ouais, c’est comme ça, toute ma vie est une longue liste de choses à faire. Et j’ai la misérable vanité de croire encore que je pourrais tout faire, ha ha ha, quel naïf ce mec, oui mais ce mec c’est moi. Et ma vie est un enfer depuis que je souhaite mourir complet.

Primo, quand je joue à l’ordinateur, je ne m’arrête pas avant de finir le jeu. Ça peut faire trois semaines que je joue à Magic: Empire of Kingdom en mode « difficile », j’insiste pour finir le jeu. Il peut y avoir une pile de copies qui m’attendent à la salle des maîtres, rien à faire, je finis le jeu. Il peut y avoir des codes sur supersoluces.com, je les ignore galamment et je finis le jeu. Et je pousse la délicatesse jusqu’à le recommencer en mode « expert »encore une fois et à LE FINIR.

Deuzio, quand je vais dans une soirée, je suis le dernier à rentrer. Ça peut être une fête du slip sans nom, une orgie pathétique sans espoir ou une partouze sans filles, je m’en contrefous, je RESTE. C’est comme si je voulais être sûr que rien ne va se passer sans moi, une espèce de mégalomanie à vouloir être toujours dans les bons – ou les mauvais – coups.

Tertio, j’ai fait une brillante carrière universitaire. Sans fausse modestie. Et tout ça, parce que je n’ai pas manqué un seul cours. Pas un. Je venais même quand ils étaient annulés. Je relisais mes notes. Je rendais tous les devoirs demandés. Je travaillais toutes les questions d’examens, alors même qu’on sait très bien que « le sujet de linguistique générale, personne tombe dessus ». M’en fous. J’étais toujours là, au premier rang, alors même que le cours ne me servait strictement à rien – vous pensez, j’avais déjà lu trois fois le bouquin du prof. Mais c’était juste pour éviter d’être absent le jour où j’apprendrais quelque chose.

Quaterio, je suis un indécrottable de YouTube. Je peux visionner des gigabytes de vidéos toute la nuit, en papillonnant de liens en liens, rien que pour être sûr que je n’ai rien manqué. Mon espoir secret et de voir la totalité des vidéos présente sur le site. Au fond de moi, je sais que c’est mathématiquement impossible, mais je tente quand même le coup. Je visionne les vidéos les plus consultées, les plus commentées, les favorites, blah blah blah, jusqu’à ce que j’aie comme l’impression de déjà vu. Comme ça je suis sûr de pouvoir répondre « ah ouais, je l’ai vu aussi » quand quelqu’un me parle de « la vidéo avec le mec qui fait l’évolution de la danse à travers les âges, tu sais ».

Quinto, je suis incapable de dire non à quelqu’un qui me propose un plan. Que ce soit une animation d’impro pourrie ou un cortège de fanfare, une séance de badminton (juste une partie, allez!) ou une soirée-jeux (juste quatorze parties, allez!), une pièce de théâtre ou un opéra contemporain, je m’embarque. Roulez, jeunesse! Je me dis que ça sera déjà tout ça de fait sur ma liste. Et dans les rares cas où je refuse – généralement, c’est quand on m’invite à deux trucs en même temps – je me morfond d’avoir loupé LE truc qui aurait fait de moi un homme un peu plus complet.

Tout cela fait de moi un pervers de l’exhaustivé. Et pourtant, pourtant. Je mourrai incomplet. De n’avoir pas fait mille et mille choses.

Tiens, je parie qu’en arrivant devant La Mort, je serai encore assez débile pour lui dire: « Ça, c’est fait! »

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