Improvisation et créativité

Théâtre incassable

There is no such thing as a denial. There are things that arguably make improv harder, but there is no such thing as a denial.
(Le refus n’existe pas. On peut admettre que certaines choses rendent l’improvisation plus difficile à mener, mais le refus n’existe pas.)
The Improvisor’s Improvisor, 7 avril 2014

La rudesse n’existe pas.

Le manque d’écoute n’existe pas.

Vous pouvez improviser en gardant un oeil méfiant sur vos camarades. Vous pouvez les attendre au contour, les accuser de monopoliser la scène. Vous pouvez débriefer pendant quelques heures leurs fautes commises, oui, à ce moment-là du spectacle.

Et d’un autre côté, vous pouvez jouer avec générosité, et croire à l’impro comme du théâtre incassable, où toutes les erreurs, maladresses, confusions, seront intégrées comme une composante essentielle du spectacle.

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À la rescousse de l’impro « courbée »

Les improvisateurs feraient bien de se procurer l’Art invisible, la bande dessinée de Scott McCloud. Cet essai (sous forme de cartoon) explique la structure esthétique du 9e art, avec en toile de fond, la déconsidération dont fait preuve l’art de la bande dessinée.

Ça m’a fait très vite penser à la condescendance dont peuvent faire preuve certains ayatollahs du « théââââtre » quand il s’agit de parler d’improvisation théâtrale. Mais aussi au sein-même de la communauté du théâtre spontané, où le débat sur le réalisme est d’actualité et peut conduire à une polarisation du débat entre impro stylisée et impro réaliste (lire par exemple un des derniers articles de Ian, ou ici sur Impro-Bretagne; mais de toute façon c’est un débat récurrent).

D’un côté, nous avons les partisans de l’impro « courbée » (je l’appelle comme ça, parce que la manière la plus simple de l’illustrer, c’est de s’imaginer un improvisateur de 16 ans qui interprète un vieux serviteur médiéval en « courbant » le dos, en penchant la tête et en prenant une voix gutturale). L’impro courbée, c’est le théâtre qui recourt à un haut niveau de stylisation théâtrale; dans le pire des cas, on a une caricature unidimensionnelle; dans le meilleur des cas, on a jeu très marqué, typique de la farce, qui privilégie l’immédiateté et la construction.

À l’opposé, nous avons les défenseurs du réalisme et du « voile léger » (Del Close disait que le personnage doit être porté comme un « voile très fin sur les épaules du comédien »); dans le pire des cas, on obtient un jeu désincarné, fuyant; dans le meilleur des cas, une formidable intimité entre public et personnages, puisque le spectateur « croit » véritablement être le voyeur d’une scène sincère de la vie humaine.

Bien sûr, chaque camp pense faire de la meilleure impro que leurs opposants. Les partisans de l’impro courbée s’ennuient aux spectacles « monotones » et « manquants de punch » des improvisateurs de la seconde catégorie, tandis que ces derniers crachent sur la « parodie de théâtre » qui est offerte, dans un « bal de techniques jamais maîtrisées ». On croit à un problème d’énergie et de talent, alors que ces deux courants (tout à fait estimables, le premier comme le deuxième) doivent être considérés comme des tentatives différentes de représenter la réalité.

L’impro devient donc un art versatile, dans la mesure où il peut s’appuyer sur tout l’éventail des styles existants dans le continuum entre impro courbée et impro réaliste.

Quand on critique le style de jeu d’une autre troupe, équipe, ou même format, il convient donc de faire cette distinction: le fait que je n’aime pas ton style ne veut pas du tout dire que tu n’es pas bon dans ta pratique (exemple: je n’aime pas le Match, mais je pense que vous le jouez très bien).

Par contre, on peut vraiment réfléchir sur les forces et faiblesses de chacun de ces styles. Je n’aurai jamais l’idée, par exemple, d’aborder une improvisation western de manière réaliste.

En fait, cela n’aurait aucun sens.

Tout d’abord, le western, en tant que genre cinématographique, est déjà une abstraction à partir de la réalité de la conquête de l’Ouest américain. C’est donc une première stylisation. Dans Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone a écrit une histoire, mis en scène ses personnages. La lente séquence d’introduction (quand les trois truands attendent le personnage joué par Charles Bronson) n’est pas réaliste, au sens que le scénariste, le réalisateur, le monteur et les comédiens ont tous collaboré pour donner une version condensée (artistique, stylisée) de la réalité.

Deuxièmement, le public (et l’arbitre, dans un certain sens) s’attend à retrouver certains des codes du genre. Attention, ça ne veut pas dire qu’il faut tous les lui offrir. (Non, monsieur le buisson virevoltant, veuillez rester sur le banc). Mais dès lors que nous sommes dans un western, il faut pouvoir représenter la catégorie avec un certain nombre d’outils théâtraux à disposition (les jeux de regard, les positions des comédiens dans la patinoire, apparition/disparition derrière la bande, les mimiques) et un catalogue de signes (représenter la chaleur étouffante, les crachats des cow-boys, la tension palpable) pour rendre au mieux la catégorie imposée.

C’est parfois le problème des spectacles à catégories: la créativité des comédiens disparaît derrière l’étalage gratuit des signes et des figures imposées, comme si l’impro n’était qu’une énième variation d’un prototype inventé, il y a bien longtemps, au Québec ou à Chicago. Il s’agit donc, en atelier, de questionner les catégories en tant que globalité de signes et de techniques, de s’efforcer d’éviter les lieux communs, et de chercher à les réinventer.

Réinventer, encore et toujours.

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Onze livres

Onze bouquins qui m’ont très fortement influencé, ces onze dernières années:

La dramaturgie, d’Yves Lavandier
Un ouvrage qui ne paie pas de mine (un éditeur indépendant, une mise en page très laide), mais qui recoupe tous les meilleurs bouquins qu’on peut lire sur la construction de scénario. Les nombreux exemples (films, pièces de théâtre), puisés très largement (cultures diverses, époques diverses) en font un outil indispensable.

Oublier le temps, de Peter Brook
Un bouquin qui m’a redonné la foi dans l’analyse du spectacle vivant. Largement autobiographique, l’essai retrace les tentatives artistiques de Brook. En plus d’être un fabuleux raconteur d’histoires, le maître tire de formidables conclusions de ses errements.localglobal

Solutions locales pour un désordre global, de Coline Serreau
Tiré du film du même nom, il reprend les interviews en détails de plusieurs spécialistes. C’est probablement ce livre qui m’a poussé à cultiver mon propre jardin pendant quelques années.

La Danse de la Réalité, d’Alexandro Jodorowsky
La fantastique autobiographie de ce maître insaisissable, poète, acteur, mime, tarologue, psychomage et scénariste de bandes dessinées. Avec humour et mystère, Jodorowsky tisse des liens entre sa réalité intérieure et le monde extérieur, pour mieux nous montrer que tout est connecté. Une énigme fascinante, qui m’a relancé dans une période mystique.

Le Pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle
Si je m’assieds chaque jour pour écouter ma respiration pendant sept minutes, c’est grâce à ce livre.

Des Jeux et des hommes, d’Eric Berne
Un ouvrage de psychologie appliquée, qui m’a beaucoup aidé à prendre du recul par rapport aux interactions sociales. Si nous interagissons, c’est pour éviter de créer des tensions. Nous recourons à un répertoire de « jeux », qui suivent des scénarios bien délimités. Le livre d’entrée à l’analyse transactionnelle.

La méthode Tools, de Phil Stutz et Barry Michels
Depuis cette lecture, je ne procrastine plus, je ne crains plus, et j’aime davantage. Attention, c’est un peu mystico-ésotérique, il faut le prendre avec des pincettes. Mais il y a des comportements psychologiques qu’on ne m’avait jamais aussi bien expliqués.

The War of Art, de Steven Pressfield
Une piqûre de rappel pour lutter contre la procrastination. Une réflexion intéressante sur le rôle de l’artiste, ses épreuves et les exigences qu’il doit se poser.

Making Ideas Happen, de Scott Belsky
Que tous ceux qui ont perdu une heure de leur vie dans une séance improductive, un comité mou-du-genou ou une collaboration infructueuse se précipitent sur ce livre. L’ouvrage distingue les rôles de producteurs exécutifs (Steve Jobs) et de producteur d’idées (Steve Wosniak), une belle métaphore aux deux rôles nécessaires à la réalisation de projets.

The Creative Habit, de Twyla Tharp
Depuis que j’ai lu ce bouquin, j’écris un haïku par jour.tharp-creative-habit

L’Art Invisible, de Scott McCloud
Dernière lecture en date (fini hier soir): une analyse limpide et révolutionnaire (pour moi!) de l’art de la bande dessinée. En tirant de nombreux parallèles avec d’autres arts, McCloud ouvre des possibilités très intéressantes pour casser les codes de création et de rapport au spectateur (lecteur).

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Fiche technique (fable)

Quand on part en tournée avec un spectacle, on en voit des vertes et des pas mûres au niveau de l’accueil technique; et même si la majorité du temps, les techniciens sont des anges prêts à vous conseiller, vous aider avec bienveillance et vous assister dans la création, parfois,vous tomberez sur des bananes. Parfois, c’est de votre faute (vous êtes une brêle au niveau technique et vous avez mal anticipé), et parfois, c’est juste des bananes (la mauvaise foi existe).

Pour éviter ce genre de problème, les artistes et techniciens se sont mis d’accord sur un protocole bien simple: la sacro-sainte fiche technique. Source de tensions potentielles, la fiche technique (ou rider) permet d’anticiper les besoins matériels que l’artiste prévoit de trouver à son arrivée dans le lieu de spectacle. Le rider permet également de préciser les conditions de l’accueil: bouteilles d’eau sur place, loge chauffée, fer à repasser, douche à disposition… Le genre de truc qui vont parfois de soi, mais qui gagnent à être mises par écrit.

PLAN DE SCENE NOOM 2011

Ce qui conduit parfois à des abus: certains connaissent déjà l’anecdote du groupe de rock qui demandait, sur son rider technique, à ce qu’on puisse trouver en loge des M&M’s triés par couleur, dans des bols différents. Au-delà du simple caprice, la légende veut que le groupe ait mis au point cette stratégie pour vérifier que la fiche technique ait été lue et respectée. Ben oui: si tu ne vois pas de M&M’s en arrivant sur place, il y a de fortes chances pour que le reste des demandes n’aient pas été respectées. C’était donc juste une précaution, une condition de validité pour tester la conscience professionnelle du régisseur.

L’autre jour, on m’a rapporté une autre anecdote originale concernant les exigences exubérantes en matière d’accueil. Je dénonce: c’est Raphaël Noir, réalisateur de musique et injecteur d’énergie, qui m’a raconté ça:

Un producteur musical aimait les bons vins. Il gérait les tournées d’un très bon groupe, très courtisé dans les festivals. Il avait pris l’habitude d’ajouter donc au rider technique qu’il fallait trouver en loge 6 bouteilles d’un grand cru, genre du bordeaux à 200 balles la topette.

Pour ne pas fâcher les artistes, les organisateurs de festival s’exécutaient, en pensant récompenser ainsi le travail des artistes. Las! Ils constataient bien vite que c’était le fin renard de producteur qui embarquait les bouteilles tel quel pour garnir sa cave.

Un jour, un organisateur trouve la parade: au moment où le producteur entre dans la loge, il ne trouve pas les bouteilles de vin; il se plaint: « Pas de bouteilles, mon groupe ne joue pas! La fiche technique n’a pas été respectée ». En effet, il n’y a là aucune bouteille, mais plutôt une grande carafe à décanter, pleine de vin. Et l’organisateur de s’approcher pour triompher: « Vous vous trompez; la fiche technique a été respectée au-delà de toutes vos espérances. Je me suis renseigné auprès d’un oenologue réputé, et le bordeaux que vous avez commandé est à décanter au moins 3 heures avant consommation. Vous ne m’en voudrez pas d’avoir pris cette initiative, j’espère. C’est véritablement le meilleur moyen de déguster cette merveille. »

Le producteur, fâché, ne peut rien rétorquer. Il s’en va sans boire une goutte de vin, la queue entre les jambes.

Et l’organisateur de sourire, puisque la carafe, loin de contenir le prétendu nectar, était remplie de piquette à deux francs les cinq litres.

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La nonchalance et la réaction dynamique

Après de longs mois d’entraînements acharnés, d’exercices de drill, vos élèves parviennent enfin à maîtriser ce Graal de l’improvisation, cette toison d’or que constitue le « Oui, et… ». Combien de nuits à potasser les livres, à se refaire les exercices dans la tête, pour que le résultat arrive enfin, se décante dans leurs sourires innocents: ils sont là, vos élèves, ils se marrent, ils acceptent la réalité de l’autre, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Et ensuite, ils ne réagissent plus.

Exemple-type:

– Mon cher Søren, je vais devoir me passer de vos services. Je vous licencie de ce laboratoire.
– Ah bon.
(Rires divers dans la salle. Un frisson de mort parcourt l’échine du maître, qui sait que la scène vient de mourir dans un râle silencieux.)

C’est ce que j’appelle l’under-tilt, l’apathie anti-dramaturgique, le manque de coeur, la perte du sens du jeu: ce réflexe post-pubère qui fige les improvisateurs débutants (souvent adolescents, les pôôôôvres) dans des postures de nonchalants éternels, insensibles aux appels du pied de leur partenaire. Ça fait souvent rire le public, d’ailleurs, mais ça tue la scène, en la privant d’un véritable conflit, d’une nécessaire tension. Certains improvisateurs en usent et en abusent, parce que ça permet de rester léger, de ne pas trop s’impliquer dans le drame.

Mais il y a quelques élèves qui s’y fourvoient par bon sens, qui croient respecter les règles, qui s’adonnent à la nonchalance par excès de confiance.

Et c’est ma foi normal.

Oui, parce que je leur serine à court d’année qu’il faut accepter la réalité de l’autre comme si c’était la vôtre, qu’il faut être en confiance et commencer une impro sans trop de soucier de savoir comment le conflit naîtra. Alors eux, ces benêts (respectant la loi de l’effet pendule en didactique), se mettent à tout accepter comme du pain bénit, comme si c’était normal.

Donc. Il s’agit de ne pas confondre:

– la réaction de surprise de l’improvisateur débutant, souvent transformée en refus de jeu ou en annulation d’élément dramaturgique;
ET
– la réaction du personnage face à une information absurde, choquante, émotionnelle, provocante, qui permet de dynamiser la scène.

La première est à bannir, la deuxième est à souhaiter.

Bonsoir.

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Une manière d’aborder l’avant-spectacle

Beaucoup de choses ont été dites à propos de l’échauffement d’avant-spectacle, d’avant-Match, en improvisation théâtrale. (Spontanément en parle ici, Impro etc ici, s’il y a d’autres avis, commentez! Je vous ajouterai à la liste).

Je suis loin d’être dogmatique à ce niveau: après tout, chaque troupe doit développer son propre rituel d’avant-spectacle; ça fait partie de la culture d’équipe. Personnellement, j’ai déjà exploré plusieurs formules avec plus ou moins de succès; j’ai piqué des exercices et des rituels à droite et à gauche, j’ai observé les « meilleures pratiques » et leur éventuelle corrélation avec la qualité du spectacle qui suivait, et j’en suis arrivé aux conclusions suivantes:

  • L’échauffement doit être d’ordre « technique » (physique, vocal), comme tout autre spectacle vivant;
  • La mise en train doit être d’ordre « énergétique »: on se met en état de jeu, en état d’imaginer, en état d’écouter.

Pour moi, l’échauffement physique n’est pas négociable: le comédien doit être dans une condition physique optimale; le corps est un instrument qu’il doit respecter et préparer à incarner à peu près tout. Je déteste cette excuse (johnstonienne?) selon laquelle un spectacle d’improvisation devrait commencer à un niveau « médiocre » pour se garantir une marge de progression. C’est bien mal penser des possibilités de son art, que de sous-jouer et de chercher délibérément à provoquer du mauvais théâtre.

La mise en train énergétique peut vite gaver certains comédiens, qui ont besoin d’un moment à eux pour évacuer le trac (la fameuse « petite clope qui fait du bien », le caca de la peur*, etc.). J’ai de plus en plus tendance à imposer à ces joueurs un moment de recueillement avec toute l’équipe, tout en leur ménageant un moment individuel.

Dès lors, la forme actuelle que je défends passe par trois phases:

  1. une montée en énergie physique, vocale et énergétique: 10′ de vocalises et de travail sur la respiration, 10′ d’échauffement physique;
  2. un jeu collectif pour susciter « l’envie de jouer » (playfulness) en 5′. Des mimes à deviner, ou une chanson stupide à composer sur le moment (sans enjeu d’imagination);
  3. une »mise à zéro de l’énergie de groupe »: pour se mettre sur la même longueur d’onde; depuis quelques temps, je ritualise un « cercle des souhaits »: tous les comédiens se donnent l’accolade en formant un cercle commun, et en partageant honnêtement, simplement et de manière positive un « souhait » sur le spectacle à venir.

Ce dernier rituel permet de se plonger dans un état positif de volonté de faire un beau spectacle, une écoute intime des souhaits du groupe. Bien sûr, ça ne garantit rien en terme de qualité, mais au moins on est sûr d’avoir mis toutes les bonnes énergies de son côté. Et ça, j’en suis certain: la manière que vous avez d’approcher l’avant-spectacle influence votre manière de faire le spectacle. J’ai rarement vu des génies se préparer comme des touristes.

*Pour une analyse approfondie de la notion de caca de la peur, consulter Garbiewicz (1989).

*Non, je déconne.

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La bonne manière de réagir à une critique

Artistes, comédiens, musiciens, improvisateurs… Voici la seule, l’unique, la meilleure manière de réagir à une critique (bonne ou mauvaise).

  1. Dites merci.

Bien sûr, il y en aura pour ergoter, pour dire que toutes les critiques ne sont pas bonnes à prendre, que tous les commentaires sont superflus, que le public n’est pas forcément expert. C’est un autre débat. Je veux dire, on vous fait l’honneur de vous donner un feedback (souvent sans qu’on l’ait demandé) sur votre prestation; et pour ceci, dites merci.

Ça vaut aussi pour les bilans / débriefings d’après-spectacle entre comédiens.

Si vous ne dites pas merci, c’est que vous avez pris le feedback personnellement, sans professionnalisme. Et si c’est le cas, c’est déjà trop tard, parce que recevoir une critique sans prendre du recul, ça ne sert à rien.

Respirez. Et dites merci. Et sachez-le, vous êtes toujours un bon artiste / comédien / musicien / improvisateur, même après cette critique.

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Pourfendre le décrochage

Ok, disons-le franchement, je suis un méchant galopin en ce qui concerne le décrochage (davantage du décrochage « fou rire » que celui qui consiste à commenter l’action – voir la distinction qu’a réalisé Nabla à ce sujet). Mais comme je ne suis pas à un paradoxe près, en indécrottable donneur de leçons, voilà des procédés que j’utilise (ou pas) pour éviter de sortir du personnage.

1. Se dire que le décrochage, c’est mal

Oui, c’est mal de décrocher: vous sortez du personnage, vous cassez le quatrième mur, vous prouvez que vous êtes de mauvais comédiens, et vous diminuez la tension (comique ou tragique) sur scène. Certains diront que le public a-do-re que les improvisateurs décrochent, mais c’est une maigre consolation. Oui, le décrochage permet de voir pendant un instant le comédien derrière le personnage (et la bascule de statut qui en résulte fait que… oui, c’est drôle), mais il faut reconnaître que c’est au frais du bon déroulement du spectacle.
Beaucoup de gens croient que le décrochage permet de booster l’effet comique; dans les situations où cela s’applique, l’effet est de courte durée. Il faut se raccrocher aux techniques fondamentales de la comédie: Del Close et son Never joke the joke, John Cleese et l’idée de straight guy, l’école française et sa mauvaise foi sincère.
Dire une chose absurde tout en gardant son sérieux permet un effet de levier, une accumulation de tension comique prête à être libérée à tout moment. Être convaincu de la nocivité du décrochage ne va pas vous faire arrêter du jour au lendemain, mais c’est déjà un premier pas. Vous agissez sur votre intime conviction.

2. Se faire la promesse (collective) que ça n’arrivera pas

Parce que souvent, le décrochage est une affaire collective: certains collègues improvisateurs vont même essayer (dans un élan de mischief) de vous faire décrocher. Il faut donc que la troupe soit solidaire dans la volonté de sincérité sur scène. Vous pouvez donc annoncer, en avant-spectacle, que vous vous donnez comme objectif de ne pas décrocher ce soir-là, en intimant à vos partenaires de favoriser un jeu investi et intègre.
Limite du procédé: si vous partez dans un fou rire pendant le spectacle, les autres vont vous dire un truc du genre « gna gna gna, môssieur je-ne-veux-pas-décrocher a quand même rigolé comme un blaireau pendant la scène de l’hôpital« , ce qui peut vous plonger dans la position inconfortable de la victime du jeu du je-te-l’avais-bien-dit.

3. Se recentrer (respiration, sophrologie, comptage)

Parmi les recettes immédiates à appliquer en cas de décrochage: se concentrer sur sa respiration, son diaphragme; avoir préalablement « ancré » un geste qui vous « met à zéro » (par hypnose, auto-hypnose ou sophrologie); compter des séries mathématiques. Attention, ce dernier procédé vous éloigne d’un état d’écoute, donc c’est véritablement de porter votre attention sur l’ici et maintenant qui va vous aider à vous re-concentrer et improviser.
Le fou rire ressort d’un effet « retard » sur la chose drôle: on se raconte et re-raconte mentalement le gag. C’est ça qui nous fait généralement partir en boucle; il s’agit donc d’interrompre le processus mental et de porter son attention à la scène.

4. S’habituer à ne pas décrocher

Parce que le décrochage s’insinue comme une habitude. Donc: ni à l’entraînement, ni en spectacle.

5. Intégrer le décrochage

Non. Ça ne sert à rien. Le public n’est pas stupide. Il vous a vu décrocher. C’est trop tard. Si vous essayez de cacher la merde au chat, les spectateurs vont se dire qu’en plus d’être un mauvais comédien, vous êtes un sacré tricheur. Faire croire que vous avez « su rebondir sur votre décrochage », c’est assumer une victoire à la Pyrrhus avec un sourire naïf.

http://www.youtube.com/watch?v=G1t9_JneZNc

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Exercice: Cocktail Party

Un exercice d’impro très classique, mais qui mérite de faire partie des « gammes » à pratiquer de temps en temps, pour rester affûté:

  • Formez 4 groupes de deux à trois personnes, répartissez-vous sur l’espace scénique.
  • Vous êtes tous à un cocktail: un apéritif de mariage, une soirée d’entreprise… Jouez-le! Vous avez un verre à la main, une cigarette, etc. Trouvez votre sujet de conversation.
  • À mon signal, les groupes vont progressivement continuer à s’impliquer dans leur conversation, mais en silence. Il ne restera qu’un seul groupe qu’on entend discuter. Les autres font juste semblant de parler.
  • Tout à coup, le groupe qui parlait va s’interrompre, et c’est un autre groupe qu’on va recommencer à entendre – comme si on avait coupé le son pendant un instant de la discussion; on peut donc partir du principe qu’il y a eu une ellipse dans la discussion.
  • Et ainsi de suite, jusqu’à ce que les groupes aient de nouveau eu l’occasion de parler. Alternez plusieurs fois.
  • Au fur et à mesure de ce va-et-vient (Give & Take), une thématique commune doit se dessiner. Ne « forcez » pas une thématique, laissez-là émerger.

Cet exercice est souvent utilisé comme une introduction au Harold: comment faire des connections thématiques, comment gérer des transitions fluides entre des focus scéniques, etc.

Pour moi, c’est un exercice d’écoute inestimable, parce qu’il travaille sur trois niveaux d’écoute différents:

  1. J’écoute mon partenaire pour pouvoir intervenir sur la conversation en cours (écoute locale).
  2. J’écoute tous les improvisateurs en jeu (les autres groupes), pour interrompre et me laisser interrompre au bon moment (écoute globale).
  3. Enfin, j’écoute avec attention le contenu thématique développé par tous les groupes, pour en dégager des leitmotivs (écoute thématique).

À pratiquer sans modération, matin, midi et soir.

 

 

 

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Choisir, c’est renoncer

Je vieillis.

Je vois mes jeunes élèves-improvisateurs répondre mollement à mes courriels qui leur proposent des engagements. Ils n’agendent pas systématiquement, ils se trompent de dates; il y a ceux qui se désistent. Moi je fais mon intéressant, je les traite de « génération Y », tout en sachant que ça implique que je me traite comme un vieillard cacochyme, gardien d’une tradition de l’agenda-papier, des rendez-vous notés au stylo et d’une loyauté à l’engagement qui ferait pâlir un samouraï du XVe siècle. samourai

Que ce soit pour une fête du vendredi soir ou un spectacle pro, que ce soit pour un rendez-vous galant ou une partie de WoW, j’estime que les engagements pris sont des choix définitifs. Je déteste travailler avec des gens qui me répondent que « oui, ils passeront à la fête, sans doute, en soirée, oui, on essaiera, c’est où, déjà? ». Ou les gens qui répondent à un doodle en m’envoyant un courriel explicatif que « je n’ai pas encore toutes mes dates, je ne sais pas encore quand je vais partir en vacances, etc. ».

S’il vous plait.

Engagez-vous. Ou pas. C’est aussi simple que cela.

Bien sûr, tout est lié. Ceux qui ne s’engagent pas dans la vie réelle ne s’engageront pas sur scène. Accumulant les offres aveugles pour « laisser le choix », ils joueront des scènes floues, remplies de questions (implicites ou explicites), s’effilochant dans des semi-absurdités qui laisseront les spectateurs pantois. (« Il n’est pas encore là. Il devait venir pour… le truc. Il a laissé ça, là. Tu crois que c’est pour nous? ») (bâillement).

Pourtant, sur une scène d’improvisation, les idées coulent. Il suffit de faire les choix, d’éliminer le superflu, de préciser les intentions. C’est l’approche déductive à l’improvisation (par rapport à une approche inductive qui chercherait à « apporter du contenu »). Personne ne peut choisir pour votre personnage!

Finalement, il y a quelque chose de profondément egoïste dans le fait de ne pas s’engager: c’est dire au partenaire « choisis pour moi, fais cet effort ». C’est de la paresse intellectuelle (et pire: artistique), c’est ne pas avoir compris la nature radicalement généreuse du créateur: celui qui fait l’effort de proposer quelque chose de précis au monde.

Je vieillis, et me sens d’une génération qui donne beaucoup à des jeunes qui ne savent pas recevoir.

(c’est juste une posture)

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