Ok, disons-le franchement, je suis un méchant galopin en ce qui concerne le décrochage (davantage du décrochage « fou rire » que celui qui consiste à commenter l’action – voir la distinction qu’a réalisé Nabla à ce sujet). Mais comme je ne suis pas à un paradoxe près, en indécrottable donneur de leçons, voilà des procédés que j’utilise (ou pas) pour éviter de sortir du personnage.
1. Se dire que le décrochage, c’est mal
Oui, c’est mal de décrocher: vous sortez du personnage, vous cassez le quatrième mur, vous prouvez que vous êtes de mauvais comédiens, et vous diminuez la tension (comique ou tragique) sur scène. Certains diront que le public a-do-re que les improvisateurs décrochent, mais c’est une maigre consolation. Oui, le décrochage permet de voir pendant un instant le comédien derrière le personnage (et la bascule de statut qui en résulte fait que… oui, c’est drôle), mais il faut reconnaître que c’est au frais du bon déroulement du spectacle.
Beaucoup de gens croient que le décrochage permet de booster l’effet comique; dans les situations où cela s’applique, l’effet est de courte durée. Il faut se raccrocher aux techniques fondamentales de la comédie: Del Close et son Never joke the joke, John Cleese et l’idée de straight guy, l’école française et sa mauvaise foi sincère.
Dire une chose absurde tout en gardant son sérieux permet un effet de levier, une accumulation de tension comique prête à être libérée à tout moment. Être convaincu de la nocivité du décrochage ne va pas vous faire arrêter du jour au lendemain, mais c’est déjà un premier pas. Vous agissez sur votre intime conviction.
2. Se faire la promesse (collective) que ça n’arrivera pas
Parce que souvent, le décrochage est une affaire collective: certains collègues improvisateurs vont même essayer (dans un élan de mischief) de vous faire décrocher. Il faut donc que la troupe soit solidaire dans la volonté de sincérité sur scène. Vous pouvez donc annoncer, en avant-spectacle, que vous vous donnez comme objectif de ne pas décrocher ce soir-là, en intimant à vos partenaires de favoriser un jeu investi et intègre.
Limite du procédé: si vous partez dans un fou rire pendant le spectacle, les autres vont vous dire un truc du genre « gna gna gna, môssieur je-ne-veux-pas-décrocher a quand même rigolé comme un blaireau pendant la scène de l’hôpital« , ce qui peut vous plonger dans la position inconfortable de la victime du jeu du je-te-l’avais-bien-dit.
3. Se recentrer (respiration, sophrologie, comptage)
Parmi les recettes immédiates à appliquer en cas de décrochage: se concentrer sur sa respiration, son diaphragme; avoir préalablement « ancré » un geste qui vous « met à zéro » (par hypnose, auto-hypnose ou sophrologie); compter des séries mathématiques. Attention, ce dernier procédé vous éloigne d’un état d’écoute, donc c’est véritablement de porter votre attention sur l’ici et maintenant qui va vous aider à vous re-concentrer et improviser.
Le fou rire ressort d’un effet « retard » sur la chose drôle: on se raconte et re-raconte mentalement le gag. C’est ça qui nous fait généralement partir en boucle; il s’agit donc d’interrompre le processus mental et de porter son attention à la scène.
4. S’habituer à ne pas décrocher
Parce que le décrochage s’insinue comme une habitude. Donc: ni à l’entraînement, ni en spectacle.
5. Intégrer le décrochage
Non. Ça ne sert à rien. Le public n’est pas stupide. Il vous a vu décrocher. C’est trop tard. Si vous essayez de cacher la merde au chat, les spectateurs vont se dire qu’en plus d’être un mauvais comédien, vous êtes un sacré tricheur. Faire croire que vous avez « su rebondir sur votre décrochage », c’est assumer une victoire à la Pyrrhus avec un sourire naïf.
Il y a aussi un autre type de décrochage, que les improvisateurs aiment bien (qui ressemble à « commenter l’action »), c’est « regardez, je suis en train d’improviser ».
Ma réponse personnelle, c’est de se poser continuellement la question « comment rendre cette scène plus vraie ? » Une sorte de mantra, quoi.
http://improviser.fr/blog/2013/11/12/cacher-limprovisateur/