Enseignement, Improvisation et créativité

Une escalope sous l’aisselle

Exercice:

1) Pensez à un objet qui vous inspire émotionnellement – ça peut être très personnel; vous avez le droit d’être trivial ou banal. Une pomme fera l’affaire. Vous pouvez aussi chercher plus loin: un hérisson, la photo de votre grand-père, une liasse de billet de mille francs.

2) Pensez à une partie du corps. Vous pouvez choisir un organe interne ou une zone dont vous ne connaissez pas le nom.

3) Commencez à déambuler dans l’espace de l’atelier, comme si vous deviez marcher avec cet objet sur l’endroit du corps que vous avez choisiPar exemple, moi, j’ai choisi de placer une escalope de porc (crue) sous l’aisselle. Ça me met mal à l’aise et me donne envie de serrer les bras contre mon corps. Vous pouvez aussi réaliser des actions simples: déplacer une chaise, ré-ajuster un tableau au mur, déplacer la poubelle. Tentez aussi des actions dirigées sur vos partenaires: serrez la main de Sophie, brossez le T-shirt d’Ismaël, relacez les baskets de Kimberley.

4) Lorsque vous croisez un partenaire, jaugez-le avec quelques mètres à l’avance, puis serrez-lui la main. La poignée de main signifie un « transfert de charge« : vous allez imiter la démarche de votre partenaire (et vice-versa). Pas d’échange verbal pour vérifier que la « charge » est correcte. On s’en contrefout. Ne venez pas tout polluer avec de l’intellectualisation et la pulsion de « faire juste ». Ce qui est important dans tout l’exercice, c’est que l’ancrage doit vous faire explorer une nouvelle manière de marcher.

Recommencez avec de nouvelles combinaisons [objet] + [partie du corps]. Ce qu’il faut encourager chez les participants, c’est le sens du jeu: qu’est-ce qui les inspire le plus, émotionnellement? Une banane écrasée? Une taupe hyperactive? Une lettre de rupture? Et comment ça les fait réagir? Sont-ils fiers de marcher avec un microphone dissimulée dans leur genou? Sont-ils honteux de cacher un furoncle purulent derrière l’oreille? Sont-ils irrités de subir un cactus dans l’estomac? Je me fous de ce que vous vous donnez, j’ai juste envie de vous voir explorer une autre manière de marcher, de vous tenir debout, de parler et de réagir à votre partenaire.

https://www.youtube.com/watch?v=IqhlQfXUk7w

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Actualité, Écriture, Improvisation et créativité

Improvisation at the Speed of Life

C’était un ouvrage très attendu du côté de l’impro anglo-saxonne. Dans la communauté francophone, personne n’en parle (et c’est dommage) et bien peu ont déjà entendu parler (et c’est dommage) des excellents TJ & Dave, deux sommités de l’improvisation dans la mouvance de « Del Close », auteurs d’un duo génial: 60 minutes d’impro de type longform, sans artifice, sans suggestion et sans concession.
Personnellement, c’est le meilleur spectacle d’impro qu’il m’a été donné de voir en vidéo, et leur bouquin est à la hauteur de leur talent (et c’est génial).

« Je suis sûr que vous avez déjà eu ce feeling, quand vous êtes dans un Harold: une scène est en train de se jouer, vous êtes en réserve, mais les choses ne se passent pas tout à fait comme il faudrait; ou alors la scène aurait besoin de se terminer. Votre corps commence à bouger pour éditer la scène, mais vous vous arrêtez pour une raison quelconque. Peut-être que vous vous dites: « J’ai aucune idée pour commencer la scène suivante », ou « J’ai pas envie de mettre les pieds dans le plat », ou « J’ai rien de malin à ajouter ».
Dites-vous que votre première impulsion d’édition était correcte. Votre pied avait raison. Ecoutez votre pied. Soyez attentifs à ce genre d’instinct. La peur n’est jamais une bonne raison d’interrompre son élan. Il y a peut-être d’autres facteurs qui entrent en jeu, mais la peur seule n’est jamais une raison valable. »

Improvisation at the Speed of Life, Jagodowski, Pasquesi & Victor, pp. 128-129 [ma traduction]

La philosophie de TJ Jagodowski et Dave Pasquesi est relativement simple: improviser, c’est écouter, puis réagir, puis écouter, puis réagir, de manière la plus organique et la plus simple possible. Rien de nouveau sous le soleil, mais quelques perles de sagesses, et des vérités souvent très bien expliquées.

« Suivre la peur » peut nous servir de repère pour avancer dans une scène formidable, consistante et durable. Partons sur l’idée d’un couple sur le point de sortir au restaurant; jusqu’ici, le spectacle nous a suggéré l’idée que le couple était en crise. On pourrait donc faire le choix « prudent » de jouer une discussion sur le choix du restaurant: italien, indien ou chinois? Ou peut-être devrait-on se faire livrer? Un choix plus « dangereux » consisterait à traiter des problèmes du couple: devraient-ils divorcer? Doivent-ils envisager une séparation de quelques semaines? Est-ce qu’ils s’aiment encore? En improvisation, nous devrions nous engager dans ces questions difficiles et compliquées, ce genre de débats qu’on s’évertue à éviter dans la vie réelle.
L’ironie, c’est qu’en traitant ce genre de sujets difficiles, l’impro devient beaucoup plus confortable à mener. La tragédie sur le mariage aboutira à une scène beaucoup plus intéressante, engageante et durable que les digressions sur la qualité de la farce à la ricotta dans les ravioli. Tenir 50 minutes sur scène en parlant de pâtes, c’est vraiment difficile. Mais parler pendant 50 minutes d’un mariage qui flanche? Fastoche! Notre boulot devient plus facile, parce qu’on a beaucoup plus de matériel à exploiter, plus d’émotions à ressentir et davantage de situations et de relations à exploiter. »

Improvisation at the Speed of Life, Jagodowski, Pasquesi & Victor, p. 75 [ma traduction]

Le bouquin se présente parfois comme une discussion informelle entre les deux improvisateurs et Pam Victor, qui co-signe le livre. Il y a un côté « le-lecteur-est-une-mouche-qui-assiste-à-une-discussion-intime-sur-l’impro » qui rend l’ouvrage très sympathique. Le style très détendu de TJ & Dave est bien retranscrit, leur approche est abondamment détaillée et nourrie de nombreux détails et anecdotes. Dans les bémols, on peut seulement relever quelques redondances (globalement, l’ouvrage est plutôt mal structuré – mais comment structurer efficacement un ouvrage d’impro, je vous le demande?) et quelques maladresses de style.

Actuellement, c’est ce que j’ai lu de mieux sur la mouvance « slow comedy », donc je le recommande chaudement comme lecture d’été.

Interro en septembre.

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Enseignement, Improvisation et créativité

Catalogue ou concentré de tomate?

Deux styles d’ateliers, selon que vous pratiquez avec un geek du rendement, ou un maître zen qui n’a plus rien à prouver.

1) Le catalogue d’exercices
Le formateur a des tonnes d’exercices à partager, à des niveaux divers, sur des modes différents. C’est fun, c’est frais, c’est généreux, ça peut partir dans tous les sens. Ça va généralement convenir aux débutants et ça dérouillera les vétérans. Les exercices sont enchaînés sans que tout le monde puisse forcément y passer, avec un abondant débriefing sur les manières d’atteindre le nirvana de l’exercice. Défaut majeur: on risque d’effleurer les sujets sans approfondir quoi que ce soit.

2) Le concentré de tomate
L’intervenant a un exercice-fétiche, autour duquel gravitent quelques exercices préparatoires. Les participants peuvent tous se frotter à l’enjeu principal, centré sur un élément de jeu bien précis. Tous les participants peuvent passer au moins une fois, et reçoivent un débriefing centré sur leur pratique individuelle. Défaut majeur: si on n’entre pas dans la démarche, si on se brouille avec le formateur, on passe complètement à côté de l’atelier.

Lorsque j’intervenais dans des équipes externes, j’ai longtemps favorisé le catalogue d’exercices. Je disais « Voilà des outils que je peux vous présenter. Je vais vous en montrer un maximum, et vous pourrez ensuite les approfondir quand je ne serai plus là. » Parfois, je rajoutais aussi « Faites ceci en mémoire de moi » mais tout le monde croyait que j’avais une maladie grave ou un complexe messianique (alors j’ai arrêté).

Il y a plusieurs limites à cette approche conçue comme un « inventaire d’exercices »: la semaine suivante, quand je ne suis plus là, les élèves ne font pas forcément les exercices que je leur ai présentés; la routine est revenue au galop, leur entraîneur régulier a d’autres chats à fouetter, la technique se disperse, on égare le cahier de notes, et voilà encore un atelier à 250 balles qui passe par la fenêtre. Normal: les improvisateurs aiment les défis; si je leur ai juste fait miroiter un objectif flou, ils n’ont pas pu se casser les dents sur un élément de jeu, ils ne sont pas stimulés. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre (même en leur disant que c’est bon pour la santé).

Ces derniers temps, j’étais souvent de l’autre côté, en tant que participant. J’ai pu prendre conscience que ce qui était important pour l’élève-comédien, c’est d’avoir un cadre d’exercice précis et efficace avec une philosophie bien structurée tout autour. Idéalement, on souhaite un exercice simple à appréhender, mais mobilisant des compétences tellement fondamentales que la réalisation de l’exercice en appelle à un savoir-faire compliqué. Dans les stages où j’ai le plus appris, j’étais en face d’exercices réputés « impossibles »: la chaise du clown, le masque neutre, la transmission de couleurs par le mime… Le genre d’énigmes théâtrales qui peuvent vous accompagner pendant toute votre carrière, et qui vous mettent en face de vous-mêmes, en tant qu’artisan.

Comme dit mon frangin:
« L’important, dans la sauce tomate, c’est les tomates. »

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Improvisation et créativité

L’art et la manière

Intérieur.
Salon chic et sobre.
Une table basse et un sofa très confortable.
Un homme s’adresse à nous.

Ça vaut pour le Match, mais aussi pour tous les concepts qui utilisent le « à la manière de ». Qu’on bosse Molière, Tarantino ou Salvador Dali, il va s’agir de faire de l’improvisation de genre. Ça va ressembler à rien de connu, c’est inédit, c’est de l’impro. Fume, c’est de la bonne.

À la manière de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière.
À la manière de Charles-Ferdinand Ramuz dit Ramuz.
À la manière de Patrick Sébastien imitant Thierry Luron imitant Coluche imitant Georges Pompidou.
À la manière de n’importe quelle manière.

Premier réflexe du coach qui doit préparer son équipe pour le spectacle du samedi soir: piocher dans les clichés. On singe du Marcel Pagnol à l’emporte-pièce, enfilant sur le même fil de pensée un accent du Sud, un groupe de cigales et une partie de pétanque. Fume, mec: c’est de la parodie.

Le problème, c’est qu’on va retrouver toutes les semaines les mêmes lieux communs: Shakespeare se résumera à un bain de sang plein d’emphase surarticulée, Tchekhov à un lent ballet de comédiens catatoniques et Ionesco à un salmigondis d’idées disparates. À défaut d’avoir bossé à fond la catégories, on sert au public du fast-food pré-maché, sorte de transposition hasardeuse du polycop’ de terminale sur l’auteur en question, mâtiné d’une ou deux références wikipédia. C’est Mozart qu’on assassine.

(j’ai vu ça sur Facebook, aujourd’hui):

Jouer les catégories2

On court vers les clichés stylistiques, des slogans raccourcis pour éviter d’entrer dans le détail: « Kafka, c’est l’oppression d’un système incompréhensible sur un protagoniste démuni » ou « La science-fiction, c’est l’exploration pragmatique d’une technologie futuriste ». Il y a d’autres formateurs pour insister sur les enjeux thématiques: « Beckett, c’est l’absurde de l’humain face à la souffrance et à la mort. » À quand un pavé jaune et noir L’impro pour les Nuls?

Pour moi (je l’évoquais déjà là), la catégorie en impro passe par un travail d’adaptation, notamment en fonction de quatre contraintes:

  1. la contrainte temporelle
    Quand tu dois jouer du Brecht sur 4 minutes, il faut forcément que tu prennes des raccourcis. Tu ne peux pas TOUT jouer, donc tu dois réduire, épurer, condenser, pour que le public s’y retrouve, et que tu te garantisses tout de même une marge de manoeuvre d’improvisation; tu veux pas non plus jouer en accéléré, donc il faut choisir. Et choisir, c’est renoncer.
  2. la contrainte théâtrale
    Hitchcock au théâtre, ça ne peut pas être la même chose que Hitchcock à l’écran: il y a d’autres codes à mettre en place. Les oeuvres cinématographiques adaptées au théâtre sont toujours ré-écrites par un dramaturge compétent, parce que le langage est différent. Si je veux mettre en scène la séquence de la douche de Psychose, je dois adapter l’éclairage, jouer sur des angles morts, jouer sur une musique et son volume, dissimuler le climax par un artifice technique (rideau ou black-out) pour atteindre les mêmes effets.
  3. ça reste de l’impro, mec
    Il faudra bien traiter le thème ou la suggestion, écouter l’énergie de la scène, improviser avec le partenaire, pour que ça reste du théâtre spontané. J’entends des anecdotes chaque mois de catégories tellement bien préparées qu’elles « figent » l’impro dans un protocole de lieux communs; la spontanéité ne peut plus que follement se débattre comme une mouche prise au coeur d’un flan à la framboise. FRAMBOISE. J’AI DIT FRAMBOISE.
  4. la contrainte culturelle
    À moins que vous ne soyez la troupe d’improvisation des chargés de cours de Paris-Sorbonne, votre public ne va peut-être pas saisir les subtiles références historiques que vous essayez de faire passer dans votre impro proustienne. Attention, hein, je suis pas en train de dire qu’il faut prendre le public pour un imbécile. Bien au contraire: il faut viser un effet stylistique qui vient sublimer l’impro, pas un exercice de style juste pour dire ah-ce-qu’on-est-fort-d’avoir-relevé-ce-défi-en-plaçant-cette-référence-si-subtile.

Pistes à explorer (je suis pas avare de conseil oh non, alors ça pour les conseils il y a toujours quelqu’un, ha c’est malin)

Il s’agit de travailler l’improvisation de codes plutôt que les codes en eux-mêmes (si tu offres un poisson à un homme, il mangera un jour, etc). Pour moi, c’est davantage intéressant de savoir créer des codes de jeu au fur et à mesure du spectacle (des patterns, des games) plutôt que de les travailler indépendamment du jeu. Hey, je donne ce stage cet été, qui traite justement de ça!

Traiter chaque impro dans son unicité, sans forcer la catégorie. Se focaliser en premier sur le thème (ou l’énergie de la scène) et le mettre en relation avec l’esthétique de la catégorie.

(cet article n’a pas de vraie fin, il est écrit « à la manière du théâtre contemporain »)

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Enseignement, Improvisation et créativité

Les ficelles du métier

Some improv students keep coming again and again to my workshops; they want to understand the exercises, but they forget to understand how I teach them.

Keith Johnstone, 2008, pendant un atelier

Keith remarquait que certains de ses élèves devenaient fascinés par les exercices, comme si la substance de son enseignement s’y trouvait tout entière. Il regrettait que les participants ne prêtent pas plus attention à la manière qu’il avait d’enseigner, cette approche toute particulière de considérer le groupe comme un ensemble vivant qui doit progresser comme un seul organisme. Et surtout d’observer son rôle de pédagogue, de coach en créativité et d’ouvreur de possibles.

Parmi les mille manières d’enseigner l’impro, au-delà des exercices de bases, au-delà de l’approche théâtrale qui diffère d’un enseignant à l’autre, voilà trois « gadgets pédagogiques » dénichés au hasard des stages que j’ai suivi en tant que participant et qui ont facilité la tenue de mes ateliers:

Des volontaires à la carte
À qui le tour pour l’exercice suivant? Vous voulez deux personnes sur scène, mais les participants se regardent l’oeil vide, le dos appuyé au mur, pour savoir qui daignera y aller. Ou alors, problème inverse: ça se bouscule au portillon (signe que les participants veulent davantage jouer). La solution, c’est de les tirer au sort!
J’ai piqué ce truc à une enseignante du primaire, alors que j’étais observateur dans sa classe: elle avait inscrit le prénom de tous ses élèves sur une carte à jouer, qu’elle pouvait manipuler, brasser, grouper en duo ou en trio. « Ça me permet d’interroger tout le monde en ordre aléatoire, sans avoir à faire une liste moi-même; je suis sûre de n’oublier personne ».
Depuis, j’ai adopté le système pour la plupart de mes cours réguliers: ça permet de faire passer tout le monde en variant les tirages. Oui, il y aura des cours où Fatima et Jean-Luc passent tout le temps ensemble. Et alors? C’est le hasard des cartes!
(le hasard, créateur de couples)

Le journal des répliques
C’est Colleen Doyle qui m’a fait découvrir cette pratique: dans un grand cahier, je note les répliques importantes de l’impro, pendant qu’elle se joue. Ça permet ensuite de la débriefer de manière vivante, en rappelant les phrases « pivots » qui ont structuré l’impro. Ça valorise les improvisateurs dans leur rôle de créateur de contenu, ça permet de suivre l’impro en direct sans avoir peur d’oublier de faire une note, et cadeau-bonus: à la fin de l’année, vous avez un recueil de phrases mythiques!

L’exercice en tuto
Là, c’est une démarche très johnstonienne: plutôt que d’expliquer tout l’exercice en une fois, je tire au sort deux volontaires, et je les invite à commencer une impro. Ensuite, je leur explique la suite de l’exercice progressivement, du plus simple au plus complexe. Le premier duo à passer fonctionne en tant que scène de démonstration de l’exercice (quitte à les faire repasser plus tard dans l’atelier). J’ai constaté que ça marchait plutôt bien, parce que ça évite la crispation du débutant (je veux voir en quoi consiste l’exercice avant de m’y lancer), ça permet d’expliquer clairement et fluidement une tâche complexe (les improvisateurs sont projetés dans l’action), et on perd moins de temps à répondre aux questions.

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Improvisation et créativité, Vidéos

Faire flèche de tout bois (ou comment mettre le feu)

C’est l’histoire de Morgan Price, en concert avec le Duke Ellington Orchestra. L’alarme incendie démarre par accident, et s’installe pendant son solo (une minute trente, quand même).

Sa réaction spontanée est époustouflante: il sourit. Puis il intègre le son comme un élément de solo. Avec génie. Et il nous raconte toute une histoire, puisqu’il va faire plusieurs rappels de la note de l’alarme, y compris pendant le dernier point d’orgue.

Plusieurs leçons à en tirer:

  • Si les circonstances extérieures « imposent » quelque chose à l’artiste, et que l’artiste l’intègre immédiatement, ça devient un cadeau.
  • Si on intègre ce genre d’accident, le public a l’impression de vivre quelque chose d’exclusif, d’exceptionnel; le concert aura un goût différent de tous les autres concerts; c’est comme posséder une Omega en série limitée, ou un tirage numéroté de Franquin.
  • Le public assiste avec enthousiasme (et bienveillance) au processus de création: il devient partie prenante (presque participant) du concert, dès le moment où on lui a livré les clés de l’élaboration de l’oeuvre; l’art devient ludique (par rapport à un art de consommation).

Il y a des spectacles d’improvisation qui posent un cadre tellement bruyant que toute les alarmes incendies du monde ne parviendront jamais aux oreilles des comédiens sur le plateau.

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Improvisation et créativité

Débuts de scènes: 3 égarements de débutants

Que ce soit avec des jeunes improvisateurs lors d’une journée d’initiation, ou avec des adultes en cours annuels, je remarque toujours les mêmes patterns de maladresses pour les débuts d’improvisations « à froid », c’est à dire sans injonction de thème, ou sans préciser le Qui-Quoi-Où:

1. Scènes de présentation

Symptôme: ce sont les fameux dialogues creux, les « – Bonjour, ça va? – Oui, ça va et toi? », qui ne donnent aucune information pertinente; ce peut-être aussi les débuts très lents, avec une observation qui résulte plus de l’interrogation du comédien que celle du personnage (« – Qu’est-ce que tu fais? »).
Cause: les comédiens découvrent le début d’impro comme une scène nue, et leur partenaire est pour eux un inconnu.
Une autre manière de concevoir le début d’impro: pour être le plus tôt possible dynamique, une scène d’impro doit commencer au plus près du drame et des circonstances nécessaires pour le comprendre. Il nous faut donc beaucoup d’informations pertinentes en début de scène, pour étoffer la plateforme de la scène. Il faut partir du principe que la scène a « déjà commencé », et que les comédiens doivent continuer « ce qui est déjà en cours ».
Le gadget pour lutter contre: la première réplique commence par un « – Et… » ou un « – Alors… »; cela nous donne l’illusion que la scène commence en pleine conversation. Dans le même ordre d’idée, on peut d’emblée tutoyer et nommer le personnage de son partenaire.

2. Le conflit immédiat

Symptôme: dès le départ, les personnages se disputent, débattent ou s’affrontent (ou pire encore, ne s’accordent pas sur la réalité d’un élément de la scène).
Cause: les improvisateurs voient leur partenaire comme un adversaire de leur créativité, ou pensent que le conflit engendrera forcément du drame et de l’action.
Une autre manière de concevoir le début d’impro: même si le conflit est au centre de l’action théâtrale, il est plus prudent de poser suffisamment d’éléments solides (relation-activité-environnement) avant de le déclencher, pour utiliser le contexte comme un levier. Si le conflit devient l’essence de la scène, alors il doit pouvoir compter sur un terreau fertile d’arguments, pour monter en tension jusqu’à éclater; on veut éviter les feux de paille.
Le gadget pour lutter contre: forcer son personnage à faire des premiers choix positifs.

3. La vérité est ailleurs

Symptôme: très rapidement, les personnages abandonnent leur action en cours, changent de lieu pour « faire quelque chose » ou s’ennuient sur place en regrettant de ne pas être ailleurs, ou à un autre moment de l’histoire.
Cause: les comédiens ont peur du vide du moment présent, et cherchent à fuir dans une autre action ou dans un autre espace-temps.
Une autre manière de concevoir le début d’impro: tout ce dont vous avez besoin pour construire la scène est déjà là, dans les yeux de votre partenaire ou sur scène. Intensifiez le point de concentration de votre personnage. Creusez la première idée.
Le gadget pour lutter contre: répétez la première réplique pour l’intensifier. Réagissez en silence. Suivez les réactions de votre corps.

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Improvisation et créativité

Ancrages personnages

L’improvisation théâtrale, c’est créer des personnages en deux secondes. Pas d’étude de texte, pas de biographie à digérer, on n’a pas le temps. Il faut donc un ancrage solide en début de scène. Solide, parce que si la scène dure un peu, tu dois pouvoir le tenir, ce personnage.

Une tentative de liste des ancrages de personnages:

PHYSIQUES

– Pieds: angle et points d’appui; démarche
– Posture de la colonne, du bassin, des épaules et de la tête
– Vitesse, poids et amplitudes des mouvements
– Voix: hauteur, débit, accent, articulation, ouverture de la bouche
– Rapport à l’environnement immédiat

PSYCHOLOGIQUES

– Emotion et attitude
– Objectif ou obsession
– Statut

Là encore, Jill Bernard est de très bon conseil: nul besoin de se creuser la tête à configurer plusieurs ancrages. Si j’en choisis un, cela va conditionner les autres, instinctivement.

Prendre cette liste, l’explorer sur soi. Voilà qui prend déjà 10’000 heures.

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(c) Julien Mudry 2015
Enseignement, Improvisation et créativité

Des questions? Pas de questions!

Dans certains ateliers, j’annonce une politique sévère: je décourage les participants de me poser des questions avant de se lancer dans un nouvel exercice. Certains le prennent très mal, alors je m’explique:

  • C’est pour favoriser l’action (et décourager le bla-bla)
    Certains élèves me posent la questions pour gagner du temps: « plus je réussis à faire parler mon enseignant avant l’exercice, plus grande seront mes chances de réussir l’exercice », croient-ils. « Je vais probablement pouvoir trouver une idée de génie pour contourner l’exercice, ou épater mes camarades. » Ça ne sert à rien. C’est de la procrastination.
  • C’est pour favoriser la prise d’initiative
    Quand vous tolérez l’ambiguïté d’une consigne, vous commencer déjà à l’interpréter. Et donc, vous vous habituez à faire des choix, à prendre des initiatives (une qualité essentielle en improvisation).
  • C’est une éthique de l’improvisation
    Dans le jeu, vous aurez tout intérêt à ne pas poser des questions: une question crée un besoin d’information, alors que votre job d’improvisateur est d’apporter de l’information signifiante au spectateur.
  • Ça peut faire des miracles (c’est créatif)
    Parfois, j’ai des élèves qui ont très mal interprété une consigne, pris leurs libertés et inventé un nouvel exercice (oui, c’est très johnstonien). Ça me va. Si j’ai merdé ma consigne, c’est ma faute.

La photo en Une, c’est Julien Mudry.

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Enseignement, Improvisation et créativité

Awake the sheep-Master!

This post is an English summary of these articles (part one, part two and part three), as Stefan Pagels Andersen kindly asked me for a translation. I thought it could be interesting for european students that are interested in the iO improv philosophy.

In September 2014, Strasbourg’s Theatre de l’Oignon organized a three-day intensive with the iO West organization (see here for more information about them). Fort those not familiar, let’s say they’re the inheritors of Del Close’s legacy, the Harold format. Twenty people for all over France, one German actress and one Swiss (me).

Lyndsay Hailey was the teacher for this workshop, a splendid southern belle, a mix between Geena Davis and Angelina Jolie – everyone was in love after 10 minutes. Most of the workshop took place in English, as we could choose to perform the little scenes either in French or English.

Lyndsay began with a 30 minutes talk about the iO improv didactics and fundamentals. She compared their philosophy with other schools of improv, without being judgmental – a very good point indeed. She explained the basic rules:

  1. The “Yes, And” principle, which his to be taken for its core value: you “yes-and” your partner in the way he builds reality, but you can of course create conflict or refuse to do things.
  2. No judgement from your part on any aspect on the creation: don’t judge your ideas or the quality of the production of your partners. This element would become a mantra through the whole workshop: your partners are geniuses, artists and poets.
  3. The improviser has to be ahead of the audience, at least for a few steps: that doesn’t mean you have to plan. It pushes you to avoid “predictable space”, where the audience will probably know also where you’re going. You have to surprise your partners to surprise yourself (and the audience).
  4. Shoot the grandma: for a dramatic conflict to become comic, you have to raise the stakes to a cathartic point, and make the conflict “explode”. Lyndsay took this metaphor from her very conservative grandma who would always argue up to an unbearable point.
  5. The 3-7-10 rule: you have to heighten a game through several degrees, to overcome it in some way. Each occurrence has to be slightly bigger than the previous one, to build dramatic tension (or comic relief).
  6. Base reality: who-what-where: iO improv is very much based on relationships, hence on the quality of the link between the two partners. Avoid transaction scenes, or talking about past or future. Take for granted that you’ll know each other for at least six months.
  7. No plot. Scenes will never go further than 3 minutes, so you don’t need to look for a big dramatic structure. You are rather looking (from the aisles) for the best moment to end the scenes by editing it.
  8. The group is always right, and should always follow its first idea: don’t add to much to what is already there.

After having exposed these basic principles, Lyndsay proposed a few presence games: word-at-a-time stories, Die Game, organic storytelling, exercises where you have to mirror your partners’ energy in order to get to an “organic” state of group mind. Through this process, we trained the four dimensions of listening: literal listening (the words), local listening (the acting), emotional listening (empathy) and global listening (the game). There would be a fifth dimension to consider: intuitive listening (energy, mystery).

In the afternoon, we continued to work on listening (“In real life, we only listen to 10% of what is said – we’re usually busy already working out an answer.”). Lyndsay made us lie on the floor. “You are sheep. Really a whole herd of sheeps: you think like sheeps, you breathe like sheeps, you move sheepishly, and you’re going to sleep as sheep. When I say so, you’ll wake up. You’ll do as the whole herd do: if someone moves, you’ll move. If someone yawns, you’ll do the same. Now, go, wake up as sheep!”

This is a game of pattern repetition, where an idea get to be explored: the snore becomes a yawn, which evolves in a sniff, then everybody stands up and sniff a each other. The force of the group mind, of team spirit. Lyndsay pushed us to maintain eye and physical contact, to breath together, in order to get in a kind of light group trance. A state of complete presence and availability to the partners.

We worked then on very short two-persons scenes, trying to “continue the scene which is already taking place”. This is another way to think about scene initiations, stemming from TJ and Dave’s conception: you don’t simply build a scene out of nothing. You “jump” into one that is already taking place. With this in mind, we worked on the primal energy, the core of the relationship with the partner. Slow-impro like. It looked very much like Meisner’s teaching. Then we began to work on the first two stages of a Harold, from an ensemble game that looked a bit like the sheep-game.

On the second day, we went on working on the Harold structure (three beats of three scenes, each beat being initiated by an abstract “game”). Lyndsay made us work hard on listening: “Your primary focus is your scene partner. Your secondary focus is your other partners; and don’t forget that the audience is also your “other partner”.

Use the whole buffalo: explore your first idea, and use it thoroughly, deepy, developing it into a climax (the 3-7-10 rule); avoid looking for heterogeneous ideas that would dilute the focus of your scene: everything in it should have a use (even an absurd one).

Lyndsay identified for us the main pitfalls of scene development: struggling for control (physical fight or sterile arguing), asking questions (in order to know where the improv is going to), leading your partner (in order to be certain of where the improv is going to). You have to be present to your partner, and that’s all (the “theatre of the heart”, iO-style). There is another school of improv which is less organic and more intellectual, where you don’t look for anything but the game (UCB-style).

Look into the eyes of your partner! You will get all your emotional impulsions from there. Relationship is fundamental. A character can live anywhere; a plot cannot : you don’t need to focus on the narrative, the four core plots or the hero’s journey : short scenes will arise from the connections between the characters. Get away, you Aristotle fans! Improv is not the bastard of well-scripted theatre, you have to make it a bit dirty and to focus on the joy of creation and connection! Do not worry about a well-balanced play about a protagonist getting his way around a narrative.

Rituals: you have to take special care to quit your daily life and enter the stage area. Get in / Get out of the role with a special ritual. Lyndsay shows us kundalini yoga, which puts everyone into their body.

Lyndsay introduced us to two initiations game: Soundscapes (where participants have to build a musical loop) and Hot Spot, where participants are in circle and take turns singing one bit of a song, joining the leader in the center, each tune being somewhat linked to the previous one. If you have no idea, you come center all the same, and “save” your partner by singing “Happy Birthday” to everyone.

With the third day came skills integration: we worked deeply on emotional initiations and talked about the show of the previous night (there was a show organized at the Onion’s venue). “The show had a good level, but there were to many dead spaces and the scenes were going for too long. An iO principle is that you never edit the scene you’re in – it’s always the job of someone in the aisles, like in the Hot Spot. You should never hesitate to edit a scene that needs to be killed, even if you have no idea what to do after (just trust your partners).” Lyndsay presented us to the three kinds of possible edits: fluent edit (where the initiation game naturally morphs into a scene), title edit (where a sentence or a slogan comes to summarize the game/scene and ends it), and the sweep edit (where an improviser – from the aisle – sweeps the stage on foreground).

We worked on environments: Lyndsay was amazed how European actors succeeded in creating reality through miming skills. We worked with “private moments” (a solo in a room of our actual home) and short scenes: this is the kitchen from character A, who invited character B to stay for the fortnight. You had to interact emotionally, without erasing the physical game you were initially developing (“Talk through your orange juice!”). Here again, the aim is to heighten an existing (physical) game.

To get to a conclusion, Lyndsay gave us four ways to create characters from scratch: play yourself, play from an emotion, take you environment into account, play from your spine. We practiced these anchors with silent, short duets in an environment. Focusing on yourself at first, and then integrating the actions of your scene partner.

In conclusion, three days of dense teaching, where I could revise my opinion about the American longform (which we Europeans usually call shortform) and where I got a nice reminder about the usefulness of emotional anchors. Lyndsay was a great teacher, full of resources and fresh insights. Thanks and congratulations to the Théâtre de l’Oignon (Strasbourg), Stefan Pagels Andersen (Copenhagen Improv Festival) and the twenty participants for making this happen.

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