C’était un ouvrage très attendu du côté de l’impro anglo-saxonne. Dans la communauté francophone, personne n’en parle (et c’est dommage) et bien peu ont déjà entendu parler (et c’est dommage) des excellents TJ & Dave, deux sommités de l’improvisation dans la mouvance de « Del Close », auteurs d’un duo génial: 60 minutes d’impro de type longform, sans artifice, sans suggestion et sans concession.
Personnellement, c’est le meilleur spectacle d’impro qu’il m’a été donné de voir en vidéo, et leur bouquin est à la hauteur de leur talent (et c’est génial).
« Je suis sûr que vous avez déjà eu ce feeling, quand vous êtes dans un Harold: une scène est en train de se jouer, vous êtes en réserve, mais les choses ne se passent pas tout à fait comme il faudrait; ou alors la scène aurait besoin de se terminer. Votre corps commence à bouger pour éditer la scène, mais vous vous arrêtez pour une raison quelconque. Peut-être que vous vous dites: « J’ai aucune idée pour commencer la scène suivante », ou « J’ai pas envie de mettre les pieds dans le plat », ou « J’ai rien de malin à ajouter ».
Dites-vous que votre première impulsion d’édition était correcte. Votre pied avait raison. Ecoutez votre pied. Soyez attentifs à ce genre d’instinct. La peur n’est jamais une bonne raison d’interrompre son élan. Il y a peut-être d’autres facteurs qui entrent en jeu, mais la peur seule n’est jamais une raison valable. »Improvisation at the Speed of Life, Jagodowski, Pasquesi & Victor, pp. 128-129 [ma traduction]
La philosophie de TJ Jagodowski et Dave Pasquesi est relativement simple: improviser, c’est écouter, puis réagir, puis écouter, puis réagir, de manière la plus organique et la plus simple possible. Rien de nouveau sous le soleil, mais quelques perles de sagesses, et des vérités souvent très bien expliquées.
« Suivre la peur » peut nous servir de repère pour avancer dans une scène formidable, consistante et durable. Partons sur l’idée d’un couple sur le point de sortir au restaurant; jusqu’ici, le spectacle nous a suggéré l’idée que le couple était en crise. On pourrait donc faire le choix « prudent » de jouer une discussion sur le choix du restaurant: italien, indien ou chinois? Ou peut-être devrait-on se faire livrer? Un choix plus « dangereux » consisterait à traiter des problèmes du couple: devraient-ils divorcer? Doivent-ils envisager une séparation de quelques semaines? Est-ce qu’ils s’aiment encore? En improvisation, nous devrions nous engager dans ces questions difficiles et compliquées, ce genre de débats qu’on s’évertue à éviter dans la vie réelle.
L’ironie, c’est qu’en traitant ce genre de sujets difficiles, l’impro devient beaucoup plus confortable à mener. La tragédie sur le mariage aboutira à une scène beaucoup plus intéressante, engageante et durable que les digressions sur la qualité de la farce à la ricotta dans les ravioli. Tenir 50 minutes sur scène en parlant de pâtes, c’est vraiment difficile. Mais parler pendant 50 minutes d’un mariage qui flanche? Fastoche! Notre boulot devient plus facile, parce qu’on a beaucoup plus de matériel à exploiter, plus d’émotions à ressentir et davantage de situations et de relations à exploiter. »Improvisation at the Speed of Life, Jagodowski, Pasquesi & Victor, p. 75 [ma traduction]
Le bouquin se présente parfois comme une discussion informelle entre les deux improvisateurs et Pam Victor, qui co-signe le livre. Il y a un côté « le-lecteur-est-une-mouche-qui-assiste-à-une-discussion-intime-sur-l’impro » qui rend l’ouvrage très sympathique. Le style très détendu de TJ & Dave est bien retranscrit, leur approche est abondamment détaillée et nourrie de nombreux détails et anecdotes. Dans les bémols, on peut seulement relever quelques redondances (globalement, l’ouvrage est plutôt mal structuré – mais comment structurer efficacement un ouvrage d’impro, je vous le demande?) et quelques maladresses de style.
Actuellement, c’est ce que j’ai lu de mieux sur la mouvance « slow comedy », donc je le recommande chaudement comme lecture d’été.
Interro en septembre.