Les improvisateurs feraient bien de se procurer l’Art invisible, la bande dessinée de Scott McCloud. Cet essai (sous forme de cartoon) explique la structure esthétique du 9e art, avec en toile de fond, la déconsidération dont fait preuve l’art de la bande dessinée.
Ça m’a fait très vite penser à la condescendance dont peuvent faire preuve certains ayatollahs du « théââââtre » quand il s’agit de parler d’improvisation théâtrale. Mais aussi au sein-même de la communauté du théâtre spontané, où le débat sur le réalisme est d’actualité et peut conduire à une polarisation du débat entre impro stylisée et impro réaliste (lire par exemple un des derniers articles de Ian, ou ici sur Impro-Bretagne; mais de toute façon c’est un débat récurrent).
D’un côté, nous avons les partisans de l’impro « courbée » (je l’appelle comme ça, parce que la manière la plus simple de l’illustrer, c’est de s’imaginer un improvisateur de 16 ans qui interprète un vieux serviteur médiéval en « courbant » le dos, en penchant la tête et en prenant une voix gutturale). L’impro courbée, c’est le théâtre qui recourt à un haut niveau de stylisation théâtrale; dans le pire des cas, on a une caricature unidimensionnelle; dans le meilleur des cas, on a jeu très marqué, typique de la farce, qui privilégie l’immédiateté et la construction.
À l’opposé, nous avons les défenseurs du réalisme et du « voile léger » (Del Close disait que le personnage doit être porté comme un « voile très fin sur les épaules du comédien »); dans le pire des cas, on obtient un jeu désincarné, fuyant; dans le meilleur des cas, une formidable intimité entre public et personnages, puisque le spectateur « croit » véritablement être le voyeur d’une scène sincère de la vie humaine.
Bien sûr, chaque camp pense faire de la meilleure impro que leurs opposants. Les partisans de l’impro courbée s’ennuient aux spectacles « monotones » et « manquants de punch » des improvisateurs de la seconde catégorie, tandis que ces derniers crachent sur la « parodie de théâtre » qui est offerte, dans un « bal de techniques jamais maîtrisées ». On croit à un problème d’énergie et de talent, alors que ces deux courants (tout à fait estimables, le premier comme le deuxième) doivent être considérés comme des tentatives différentes de représenter la réalité.
L’impro devient donc un art versatile, dans la mesure où il peut s’appuyer sur tout l’éventail des styles existants dans le continuum entre impro courbée et impro réaliste.
Quand on critique le style de jeu d’une autre troupe, équipe, ou même format, il convient donc de faire cette distinction: le fait que je n’aime pas ton style ne veut pas du tout dire que tu n’es pas bon dans ta pratique (exemple: je n’aime pas le Match, mais je pense que vous le jouez très bien).
Par contre, on peut vraiment réfléchir sur les forces et faiblesses de chacun de ces styles. Je n’aurai jamais l’idée, par exemple, d’aborder une improvisation western de manière réaliste.
En fait, cela n’aurait aucun sens.
Tout d’abord, le western, en tant que genre cinématographique, est déjà une abstraction à partir de la réalité de la conquête de l’Ouest américain. C’est donc une première stylisation. Dans Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone a écrit une histoire, mis en scène ses personnages. La lente séquence d’introduction (quand les trois truands attendent le personnage joué par Charles Bronson) n’est pas réaliste, au sens que le scénariste, le réalisateur, le monteur et les comédiens ont tous collaboré pour donner une version condensée (artistique, stylisée) de la réalité.
Deuxièmement, le public (et l’arbitre, dans un certain sens) s’attend à retrouver certains des codes du genre. Attention, ça ne veut pas dire qu’il faut tous les lui offrir. (Non, monsieur le buisson virevoltant, veuillez rester sur le banc). Mais dès lors que nous sommes dans un western, il faut pouvoir représenter la catégorie avec un certain nombre d’outils théâtraux à disposition (les jeux de regard, les positions des comédiens dans la patinoire, apparition/disparition derrière la bande, les mimiques) et un catalogue de signes (représenter la chaleur étouffante, les crachats des cow-boys, la tension palpable) pour rendre au mieux la catégorie imposée.
C’est parfois le problème des spectacles à catégories: la créativité des comédiens disparaît derrière l’étalage gratuit des signes et des figures imposées, comme si l’impro n’était qu’une énième variation d’un prototype inventé, il y a bien longtemps, au Québec ou à Chicago. Il s’agit donc, en atelier, de questionner les catégories en tant que globalité de signes et de techniques, de s’efforcer d’éviter les lieux communs, et de chercher à les réinventer.
Réinventer, encore et toujours.