Enseignement, Improvisation et créativité

Rentrée

J’entame ma dixième rentrée d’entraîneur d’improvisation théâtrale. C’est beaucoup et c’est peu.

C’est beaucoup, parce que j’ai eu la chance d’expérimenter mille exercices, mille remarques, mille « théories globales » sur l’art de l’improvisation théâtrale. C’est peu, parce que je sais maintenant qu’un exercice qui « marche » avec un élève peut très bien « ne pas marcher » avec un autre. C’est ce qu’on appelle la pédagogie différenciée, et c’est très bien parce que ça rend ma dixième rentrée absolument passionnante.

J’aborde mes premiers cours avec philosophie. « Bonjour, vous allez apprendre à faire du théâtre, à raconter des histoires, à émouvoir. En plus (et ce sont des sous-produits), vous allez rire, développer votre confiance en vous et faire rire vos camarades (et votre public). »

J’annonce que ma pédagogie sera tout d’abord structurante (des bases, des règles, des fondamentaux), puis déroutante en deuxième partie d’année. Les règles d’impro sont comme les petites roues de côté, sur un vélo d’enfant. Il faut savoir rouler sans, pour aller vraiment où l’on veut. En même temps, mes élèves seraient perdus si je faisais l’impasse sur cette phase. Pour déconstruire, il faut avoir construit.

Je fais beaucoup d’exercices de lâcher-prise, de spontanéité; je dis à mes élèves que toutes les idées sont égales, qu’elles ne sont pas personnelles. Qu’il n’y a pas d’idée objectivement originale (tout a déjà été fait, mais par d’autres). Par corollaire, que toutes les idées subjectives sont originales (dis-moi ce que tu penses vraiment, ce que tu as vraiment dans le ventre, ton vécu; c’est toi qui m’intéresse). Plus tu me parles de toi, plus tu me parles de moi.

Je ris beaucoup avec les tout-petits. Cette gamine de dix ans, j’assiste à la première impro de sa vie. Elle joue une épicière, et au client qui lui demande si elle peut lui vendre 10 kilos d’huile, elle répond oui sans hésiter. Innocence de l’enfance!

J’essaie de parler moins. Je débriefe de plus en plus rarement. Je trouve ça très ennuyeux. Et de fait, si les exercices sont bien conçus, l’élève apprend suffisamment dans les interactions avec ses partenaires. Je ne veux pas le faire monter dans sa tête, le faire cérébraliser tout ça, en commençant à sur-analyser le moindre choix d’improvisateur.

J’ai bloqué pendant longtemps sur le fait de jouer moi-même certains exercices avec mes élèves. Je ne voulais pas les brimer, pas me poser en exemple. Je le fais de plus en plus, parce que je vois que ça leur fait gagner du temps. C’est la pédagogie explicite (à l’heure où les Vaudois ont refusé de revenir à une école qui glorifiait ce type d’approche).

Je viens de tomber sur le bouquin d’Asaf Ronen (pourtant sorti en 2005), et j’apprends plein de choses. C’est ce que je crois: si l’enseignant n’apprend pas autant que ses élèves, alors il enseigne un savoir mort.
Plus j’enseigne, plus j’apprends.

 

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5 réflexions sur “Rentrée

  1. finpoil dit :

    Ben… Plus vraiment, puisque j’ai lâché les équipes « amateurs » (20 ans et +) de Neuchâtel. Là, je travaille par projet avec certaines équipes, donc je n’enseigne pas à des adultes de manière régulière.

  2. Programme alléchant !

    Des questions/remarques :
    J’ai réellement un doute avec les règles. Ce dont je me suis rendu compte, c’est qu’enseigner à des gens qui maîtrisent les règles loin des règles a de prodigieux résultats, cependant, je n’ai jamais vraiment expérimenté un enseignement à de complets débutants sans règles. As-tu essayé ?

    Cela dit, un de mes improvisateur préféré (si ce n’est mon numéro 1) n’a jamais appris de règles, et il est fantastique…

    Je suis d’accord sur le débrief, mais ça peut être important de faire débriefer aux gens pour qu’ils donnent leur ressenti.

    En revanche, jouer aux jeux sois même est un formidable outil pédagogique ! Généralement, je le fais quand j’ai besoin de donner de la permission aux joueurs. Lorsque je veux qu’ils explorent des terrains où ils sont mal à l’aise, je donne un exemple ou j’essaie de pousser extrêmement loin ce que j’attends d’eux : extrême spontanéité, extrême enthousiasme, extrême « status », etc… Voir que le coach va si loin donne souvent la permission de faire au moins la moitié du chemin.

  3. finpoil dit :

    Pendant 3 ans, j’ai évité de présenter les règles d’impro à mes jeunes joueurs (10-16 ans) débutants. Je me suis rendu compte qu’en atelier, c’était viable. Mais en spectacle, peut-être sous l’effet du stress ou face à des joueurs avec lesquels ils avaient moins d’affinités, ils retombaient dans certains travers (ils s’enfermaient dans des refus, se cantonnaient dans des refus et lâchaient leurs personnages).
    Je suis donc revenu à une pédagogie en trois phases: explicite, introspective, puis exploratoire (voir: http://finpoil.wordpress.com/2007/04/02/prendre-pour-apprendre-puis-trier/).

    Encore un mot sur les exercices: j’ai fait une année de karaté, et on apprenait des « katas », des enchaînements de coups très abstraits, mais qui pouvait prendre du sens pendant un combat. Je me rends compte qu’on fait la même chose en pédagogie de l’improvisation: faire des exercices parfois sans application concrète, mais seulement pour être plus confiant pendant le spectacle.

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