Écriture, Improvisation et créativité

Épais silence

« Il comprend que cette impatience de parler est en même temps un implacable désintérêt à écouter. »

La Lenteur, Milan Kundera

Norman fait des vidéos, Cyprien aussi, le Palmashow s’entoure de bons amis et nous fait bien marrer.
Des capsules de cinq minutes, guère plus, un montage hyperactif de surdoué du FinalCut; des plans de 4 secondes, des répliques cinglantes, on incruste les répliques en surtitre pour accentuer le propos. C’est punchy, ça plaît aux jeunes, goûte, c’est de la bonne. Leurs cerveaux en prennent plein les synapses, sursaturés d’informations; on aligne joke sur joke, c’est à la quantité que ça se joue, madame. Au royaume de la vanne, les puncheurs sont rois.

Le problème, c’est que ces vidéos deviennent la référence dominante pour les jeunes improvisateurs, et que les codes de ce genre d’humour sont radicalement anti-théâtraux.

Le public prend le train en marche, bien sûr, demande de l’impro « rapide », des gags, des blagues, on est venus pour rigoler, oublier nos vies désespérantes. On ne vient pas pour écouter les états d’âme d’un prince Danois, ou attendre un Godot qui ne viendra pas. Nous voulons du pain et des jeux, hic et nunc. J’ai payé quinze balles ma place au premier rang, j’ai bien envie de donner une suggestion pourrie,  vous voir la traiter avec incompétence mais drôlerie. Donnez-moi mon fix d’humour rapide, je suis accro à la vitesse, mais si vous m’ennuyez, je vais décrocher à vitesse grand V.

Paradoxe.

Le spectateur vient aussi au théâtre pour construire du sens. Et il faut donc lui laisser un peu de place (l’éternel Espace vide…). Cette réplique sotto voce, ce mime approximatif… c’est du bonheur pour l’interprétation, pour la projection mentale du public. Ça le fait travailler, il est venu participer. Prenez le temps de l’ennuyer, que diable! Il va s’intéresser d’autant plus à la scène, s’il n’est pas certain de la comprendre dans ses moindres détails. Il va s’avancer sur son siège, décoller le dos du dossier, entr’ouvrir la bouche pour écouter avec toutes ses cavités le jeu du comédien.

L’attention devient intense, le silence l’épaissit. Et dans cet état de tension dramatique, tout est possible (et là, une blague réussie enflamme réellement le public: WHooOOSH!).

Il faut, par toutes petites touches, confronter le spectateur à son vide intérieur, pour le faire un tant soit peu avancer dans son existence. C’est pour ça qu’il est venu au théâtre: pour mettre sa solitude en commun, et voir que ses inquiétudes de quinquagénaire frustré sont aussi celles de ses semblables.

J’en vois qui s’inquiètent: attention, hein, je ne suis pas du tout en train de faire l’apologie d’une impro chiante, pas drôle, ennuyeuse. Bien au contraire. Pour moi, l’impro théâtrale doit être vivante, comique et enthousiasmante. Mais elle l’est parfois au prix

de

nombreux

 

silences.

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3 réflexions sur “Épais silence

  1. « Le problème, c’est que ces vidéos deviennent la référence dominante pour les jeunes improvisateurs, et que les codes de ce genre d’humour sont radicalement anti-théâtraux. »

    C’est si bien dit !

    A encadrer et à diffuser dans tous les ateliers d’impro !

  2. Sur ma branche, j’improvise rarement (plutôt rabâcheur mode ruminant), et je suis très d’accord avec l’idée que le silence et surtout l’ennui sont des préalables nécessaires -allez, zou, indispensables !- à une bonne écoute -des autres ou de soi-. quand on s’ennuie assez, on devient plus attentif, plus désireux.

    bref, ce petit laiüs maladroit pour dire que je vous suis sur l’intérêt du silence.

  3. Pingback: Théâtre taciturne | Dans le rétroviseur

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