C’est vrai, je l’avoue, j’ai regardé la saison 2 de Desperate Housewives sur un DVD pirate. Okay, j’ai également un ou deux mégas de musique téléchargée illégalement sur mon ordinateur. Effectivement, ça m’est arrivé de demander à un pote de me pirater un film en VO sur eMule pour parfaire ma culture cinématographique. Mais jamais, au grand jamais, je n’ai révélé ça dans une salle de classe.
En cours de didactique de l’anglais, on a récemment travaillé sur des chansons et des vidéoclips. Pour beaucoup, l’Internet se profilait comme une source bienvenue (et gratuite) de matériel pédagogique. Oui mais voilà, c’est illégal, ont dit les uns. D’accord, mais c’est à visée pédagogique, on rétorqué les autres. Ah-ah, d’accord, mais quel genre de valeurs on veut véhiculer si on montre même pas l’exemple, ont répété les uns.
Et je dois bien leur donner raison: un enseignant ne vole pas sur le Net, voilà tout. Ou en tout cas, il n’utilise pas le produit de ses larcins comme support de cours.
Avec certains de mes collègues, j’ai même dû argumenter avec un peu plus d’acharnement (j’avais la bave aux lèvres, à force), et voilà ce que je défendais: nous devons être ce que nous enseignons. Si nous voulons communiquer une certaine idée de l’éthique, alors nous devons nous montrer irréprochable, au moins sur le plan de l’école. Une nana m’a répliqué qu’on pouvait paraître. Ha-ha, je lui ai répondu. Si on ne fait que paraître irréprochable, les élèves vont nous prendre en défaut. Et plus dure sera la chute.
J’ai la chance d’avoir trouvé plusieurs échos dans ma littérature préférée; j’avais déjà lu l’histoire suivante dans un bouquin de pédagogie, et le texte se trouve à plusieurs endroits sur le Ouèbe.
Une mère et son fils font un long voyage pour rencontrer le Mahatma Gandhi. Le chemin est long et pénible, et la mère a bien des raisons de se plaindre. Quand elle rencontre enfin le maître, elle le supplie de résoudre un problème qui la torture depuis des années: « Dis à mon fils d’arrêter de manger du sucre! » Gandhi prend le temps de réfléchir, puis lui dit après un moment: « D’accord, reviens avec lui dans deux semaines. »
Deux semaines plus tard, les voici de retour comme prévu. La mère et son fils ont accompli une nouvelle fois le même voyage pénible. Leurs corps sont fourbus, leur âme est impatiente. De nouveau, la mère présente son fils à de Gandhi. Calmement, celui-ci regarde le jeune homme et lui dit: « Arrête de manger du sucre. »
Étonnée, la femme lui dit: « Pourquoi m’as-tu demandée de revenir dans deux semaines? Tu aurais pu lui dire cela la première fois où je suis venue. »
Gandhi lui répond: « Il y a deux semaines, moi aussi, je mangeais du sucre. »
Et le mot de la faim (!) pour mon père spirituel Keith Johnstone:
If you’re going to teach spontaneity, you’ll have to become spontaneous yourself.
With a couple of exceptions, my teachers thought that the incentive should come from us, but the incentive has to be generated, or increased by the attitude of teacher. If you’re teaching mantras you have to be serious and « stable », and to make the students feel « awe ». If you’re teaching clowning you might have to be lunatic. It’s never enough just to explain the games carefully and correctly, and then – if the students are unenthused – wish that you had better students.
(KJ, Impro for Storytellers, Faber & Faber, London, 1999, p. 54)
(ou autrement dit:)
Si vous voulez enseigner la spontanéité, vous devez être spontané vous-même.
À quelques exceptions près, tous mes professeurs pensaient que la motivation devait venir des élèves; mais la motivation doit bien être générée (ou améliorée) par l’attitude du maître. Si vous enseignez la méditation, vous devez être sérieux et « stable », et permettre aux étudiants d’accéder à la « transcendance ». Si vous faites un cours sur le clown, vous feriez mieux d’être lunatique à un certain point. Pour être prof d’impro, ça ne suffit pas d’expliquer les jeux clairement et simplement, en souhaitant – si le groupe est peu motivé – d’avoir des « meilleurs élèves » la prochaine fois.
Merci pour cet article. J’ai lu ce passage de Impro for storytellers, il y a un moment, mais j’étais complètement passé à côté.
Il y a plein de choses que je comprends en principe, mais les appliquer, c’est une autre paire de manches.
Salut Finpoil,
Je pense souvent à cet article que tu as écris parce que je le trouve très juste. J’ai récemment discuté avec un prof des problématiques du changement dans une entreprise, et lui me disait que le changement vient du leader, par l’exemple. C’est en adoptant lui-même les nouveaux principes, que le leader parvient à les faire adopter à son équipe, en insufflant une nouvelle dynamique.
Evidemment le plus dur c’est de devenir ce que tu enseignes, et là le prof m’a répondu « c’est un travail personnel ».
Sinon, je voulais savoir si vous alliez faire des spectacles cet été avec votre troupe. Parce que je viens de temps en temps sur Genève, alors je me disais que ce serait l’occasion de vous voir sur scène, je crois que ça n’est pas loin de là où vous êtes. Et je suis curieuse de voir à l’oeuvre des gens qui s’enrichissent d’auteurs comme Keith.
A plus!
Lily