À chaque fois, ça me fait le coup. Je suis dans un magasin, je me rends compte que j’ai besoin de rien en particulier, je m’apprête à sortir sans achats… et je me sens tout à coup suspect. Un type qui n’achète rien dans un commerce, c’est suspect. En traversant le portail magnétique de sortie, je m’attends toujours à voir débarquer un agent de sécurité moustachu, en surcharge pondérale sévère, qui me criera « Freeze! » en me tenant en joue au bout de son Magnum calibre 38 au manche transpirant. Ça ne vient jamais, mais je m’y attends toujours.
Même chose pour la douane. J’ai beau être en règle, n’avoir rien à déclarer, je me sens suspect. Je suis terrorisé à l’idée de me faire contrôler. Je me dis bien que si ces gars-là en viennent à la fouille, ils vont bien me trouver des noises: deux lingots dans les bas-de-caisses, une cartouche de cocaïne compressée dans le pommeau de vitesse, des ossements humains sous les enjoliveurs. Je suis toujours suspect.
Identique avec les flics: si je me fais arrêter pour un contrôle de routine, je ne peux pas m’empêcher de leur dire que « oui, peut-être que mes pneus sont lisses, mais je pensais les changer ce week-end, vous comprenez? ». C’est forcé. Je suis toujours suspect. J’ai la tête du coupable.
Le pire, c’est dans la rue. Je me promène tranquille, flottant entre deux activités au centre-ville, et je me fais accoster. Des humanitaires, des ONG, des sociétés de téléphonie mobile, des démarcheurs aux prétextes débiles, des scouts, des pauvres, des musiciens, des Témoins de Jéovah, des pasteurs,… à quand les imams? Et pour tous, le même refrain hypocrite: « Est-ce que je peux vous parler cinq minutes? »
Alors pour finir, le dernier qui a fait le coup de m’arrêter en pleine rue, je lui ai demandé, « pourquoi moi? ». Il m’a répondu:
« On voit que vous savez pas trop où vous aller. Et puis, vous avez une bonne tête. »
C’est ça, ouais… Une bonne tête.