Pendant mon enfance, le monde était simple: il y avait les bons et les méchants, il y avait les amis et les ennemis, il y avait le noir et le blanc. La Nature me présentait des problèmes simples (Dieu existe-t-il?) et mes parents me proposaient des solutions simples (Oui/Non, biffez ce qui ne convient pas). J’avais réponse à tout.
Peu à peu, le monde est devenu très compliqué: il y avait les moins bons et les relativement méchants, il y avait les bons copains et les mauvais camarades, il y avait le rouge, le noir et mon daltonisme. La Nature commençait à me proposer des problèmes complexes (l’Amour Vrai existe-t-il, l’Homme naît-il Bon, Faut-il Mettre des Majuscules Aux Concepts?), mes parents ne me proposaient plus aucune solution et j’avais de moins en moins de réponses. J’ai commencé à douter.
Pourtant, on m’avait déjà averti que le doute était d’une infinie sagesse: Socrate et son « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », c’était une théorie en béton. Mais ça ne m’a pas beaucoup aidé pour draguer les filles; les filles, elles voulaient se sentir en sécurité, savoir où on allait manger et qui c’est qui allait payer, elles voulaient sentir un corps chaud contre lequel on peut se blottir, pas un cerveau froid qui philosophe à longueur d’hiver.
En plus, ce qui est déprimant dans le fait de douter, c’est qu’on est quelque part persuadé qu’on est en accord avec le monde, qu’on en perçoit toute sa subtilité et ses paradoxes. On parvient à douter que 2 et 2 font 4, que la terre tourne autour du soleil et que les chats sont des mammifères: on n’a plus aucune réponse tranchée. On louvoie. On funambule. On ambiguïse.
Du coup, on devient beaucoup moins intéressant dans les discussions des cocktails mondains: puisque vous êtes incapable de prendre position, les autres ne retiennent rien de ce que vous dites. Ils cherchent à épouser une solution simple, vous leur offrez d’embrasser toute l’ambiguïté du monde. C’est pas ça qui vous aménera au pouvoir.
J’imagine bien un chef d’État dans le doute: « Hum, voyons Nielsen, je ne suis pas sûr que nous devrions continuer cette guerre. Tous ces morts sont-ils bien raisonnables? » Vous l’imaginez, au journal de 20 heures, parlant à la nation toute entière: « Chers contribuables, finalement je pense que notre pays a trop voulu chercher à contrôler le monde, je suis en train de réfléchir à un autre système, j’attends les propositions de mes conseillers et je suis dans le doute. Profondément dans le doute. »
Suivriez-vous un tel chef?
Le problème avec les gens de pouvoir, c’est qu’ils ne doutent jamais. Et le problème avec les vrais philosophes, c’est qu’ils ne seront jamais assez sûrs d’eux pour se présenter aux élections.
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D’où la nécessité selon Platon de faire gouverner les empires par des rois reposant sur les épaules de philosophes. Le Roi a la carrure, le philosophe le doute.