Mon approche (radicale) à l’improvisation:
1. Jamais de caucus.
Sur le banc, en réserve, hors-jeu, en coulisse: ne parlez pas avec vos partenaires hors-jeu. Vous n’avez pas besoin de préparer une scène. Vous n’avez pas besoin de préciser votre prochaine idée (hey, si vous avez une prochaine idée, êtes-vous encore en train d’improviser?). Mon approche radicale s’applique au format court, au format moyen et au format long. Vraiment.
1) Si vous parlez (en réserve), vous n’écoutez pas la scène qui est en train d’être jouée.
Chaque seconde d’inattention vous fait manquer des informations précieuses: vos camarades sont en train de jouer, ils sont actifs et pourraient avoir besoin de vous d’une minute à l’autre. Vous ne voulez pas manquer ça.
2) Même si vous chuchotez, vos partenaires sur scène vous entendent (et le public aussi, probablement).
Si je suis en train de jouer une scène, je suis dans un état d’écoute qui me permet d’entendre le moindre battement de cil du public; DONC j’entends aussi mes partenaires en réserve s’ils chuchotent. Et ce que je reçois comme signal, c’est qu’il ne sont pas à l’écoute, et trouvent ma scène inintéressante.
3) L’improvisation, c’est pas de l’écriture.
Quand vous chuchotez à l’oreille d’un partenaire « Hé, et si on faisait après une scène docteur-patient? Je fais le docteur, je poserai la scène », vous êtes en train de priver vos autres camarades (ceux qui n’ont pas entendu, ceux qui sont dans l’autre coulisse, ceux qui jouent la scène) d’une information capitale. Et s’ils veulent entrer au début de votre scène? En cherchant la sécurité du jeu, vous vous fragilisez terriblement: vous essayez de faire de l’écriture, alors que vous devriez faire de l’improvisation.
Cette approche peut paraître très rigide, mais elle développe une discipline centrée sur l’écoute et la confiance. Si vous habituez vos élèves à ne pas parler sur le banc pendant une scène, vous allez les contraindre à être complètement disponibles pour ce qui est en train d’arriver. Ils n’auront plus peur de commencer des impros « sans rien ».
Mon contre-argument n° 1 : L’impro dirigée. J’ai vu des scènes magnifiques qui l’étaient parce que le metteur en scène avait « préparé » un setup. Le setup était inspirant pour les joueurs et pour le public. Et le metteur en scène peut lui même se surprendre (et donc rester dans un état d’improvisation) en suivant et en explorant l’évolution de sa scène (qu’il n’a pas forcément anticipée). Par extension, on peut appliquer cette façon de faire à de l’impro non-dirigée (car le but de l’impro dirigée pour Keith est d’apprendre à coacher d’autres joueurs peut-être pour ultimement s’auto-coacher ?).
Dans le cas de l’impro dirigée, on peut partir du principe que le « setup » fait partie intégrante du contenu théâtral: c’est une information de premier plan, accessible à tous les joueurs (et tous les spectateurs). À mon sens, il ne s’agit pas d’un « caucus » à l’insu du public ou de certains comédiens.
Il faut donc bien faire la différence entre la préparation explicite à une scène d’improvisation (prise de suggestion, données du meneur de jeu, thème de l’arbitre) et le caucus « caché » auquel certains comédiens recourent en spectacle pour assurer une improvisation.
Beaucoup de concepts recourent à une phase d’émergence de contenu: dans un Harold classique, le premier jeu (« ideation ») est déjà théâtral et visible du public. Il n’est donc pas un caucus.
Un cas limite, c’est le caucus « caché » (dont on n’entend pas le contenu) mais mis en scène de manière visuelle. Après la prise de suggestion auprès du public, les comédiens se retrouvent ensemble et élaborent le spectacle au su et au vu du public (j’ai vu une version en ombre chinoise de la Lily, notamment). À ce niveau, le caucus est pertinent théâtralement (il se passe quelque chose, la recherche d’idée est assumée auprès du public), mais le public n’a pas accès à ce qui se dit. Il peut donc partir du principe que quelque chose est prévu entre les comédiens, mais il ne sait pas quoi.