J’ai retrouvé mon chat, ce qui est une bonne chose pour la paix de mon esprit.
Je tiens donc encore une fois à remercier la bonté et la diligence de Mmes Thévenaz et Niklaus, de la Promenade des Pins à Yverdon, ainsi que Mme Pillionnel du Chemin de l’Aurore à Pomy, qui m’ont signalé « un chat jaune qui vient depuis un mois manger de temps en temps ce qu’on lui donne sur la terrasse mais il ne se laisse pas approcher ».
Et maintenant, Mesdames et Messieurs, voici la parabole du chat égaré, avec des références explicites au fabuleux ouvrage de Christopher Vogler sur les structures essentielles des mythes:
Perte d’un membre de la famille
Pour lancer la quête du héros, il faut un événement qui provoque l’action, que ce soit un défi qui se présente, un objet à trouver, ou, à l’instar de nombreux contes russes, d’un parent proche du héros qui disparaît (ou se fait enlever par un ennemi à la mine repoussante). Symboliquement, cette perte provoque un déséquilibre dans l’environnement du héros, qui le pousse à l’aventure.
Tibert a donc subitement disparu le 25 février 2009.
Le héros refuse l’appel de l’aventure
Traditionnellement, le héros se raccroche à son univers primitif pour éviter de se mettre en danger. Tous les moyens sont bons: attitude de déni, mauvaises excuses, fuite dans l’alcool et les stupéfiants, reporter la faute sur les étrangers. Rappelez-vous que Bilbon le Hobbit met un bon chapitre (et encore) avant de se lancer à la suite des nains. Dans le cas de Tibert, je me suis dit « oh, il a déjà fugué l’automne passé, une bonne semaine et il sera de retour ».
Le héros rencontre son mentor
Faites l’expérience: annoncez à vos amis que vous avez perdu un chat et observez leurs réactions. Certains vous témoigneront une empathie intègre: « oh, comme c’est dommage, tu dois être triste, qu’est-ce que je peux faire pour toi? »; d’autres vous témoigneront une empathie toute limitée: « oh, le mien aussi il est parti une fois pendant dix jours, mais il est revenu, ils reviennent tout le temps, pas grave, tu reprends une bière? » et d’autres feront preuve d’une empathie très limitée (mais d’un pragmatisme déroutant): « depuis dix jours tu dis? oh, certainement un renard, tu sais CLAC dans ses machoîres, les mâchoires d’un renard c’est incroyable comme c’est puissant, un chat il a aucune chance contre, ou alors au bord d’une route, tu habites près d’une route, non? ».
Dans les propositions intéressantes, on m’a conseillé la patience (mes parents), une annonce dans la presse (mon véto) ou de faire recours à une interprète animalière qui contacte les animaux à distance et sur photo (si, si).
Le héros passe le premier seuil
Okay, j’avoue: relativement émoustillé par le brin de magie qui entourait le procédé, j’ai tenté en premier l’interprète animalière, qui n’a pas pu me localiser Tibert, mais m’a au moins assuré qu’il était vivant et qu’il se débrouillait pour trouver de la bouffe. Quel chasseur, mon minou!
Épreuves, alliés, ennemis
Là il y a quand même une majorité de potes qui se sont fichu ma poire pour le coup de la médium; je précise que l’interprète animalière m’a tout de suite annoncé noir sur blanc qu’elle ne pouvait généralement pas localiser les fugueurs, mais qu’elle pouvait au mieux obtenir des indices sur son état. Bon. D’autres amis m’ont signalé des chats jaunes un peu partout, et d’autres m’ont clairement fait comprendre qu’au-delà d’un mois, un chat perdu est un chat mort, et que les perruches c’est pas cher et c’est aussi joli (mais ça fait du bruit).
La dernière porte
J’ai fait paraître une annonce dans le journal local, un carré insignifiant de 5 centimètres sur 4, MAIS en couleur – au diable l’avarice et les avaricieux. Au deuxième appel venant du même quartier, j’ai filé fissa pour siffler de tout mon soûl.
En narratologie, c’est le « tournant » de l’histoire, le « twist », l’épreuve finale, l’apogée, le climax, l’apex, le moment où tout le monde retient son souffle pour savoir si le héros va s’en tirer vivant (et bien coiffé).
L’épreuve
Après cinq minutes de sifflotements, Tibert est sorti d’un buisson pour me sauter dans les bras.
Récompense
Il a eu droit à des croquettes au thon, et moi à des câlins.
Le chemin du retour
Cette étape prend parfois un certain temps dans la narration. Tolkien met plusieurs chapitres à conclure Le Retour du Roi, et on pourrait dire que Proust met 670 pages à revenir de sa Recherche. Avec Tibert, ça nous a pris cinq minutes, il y avait peu de circulation dimanche soir.
Résurrection
C’est super-bizarre de retrouver vivant un chat dont vous avez fait le deuil. Vous l’accueillez comme un nouveau-né, un Moïse-sauvé-des-eaux, un peu changé et méconnaissable. J’étais pas même certain que ce soit lui avant de le voir se ruer sur les croquettes au thon.
Dans les mythes, l’épisode de la résurrection achève la transformation du héros, lui confère de manière permanente l’objet de la quête (ou la caractéristique gagnée dans l’aventure). Le héros a normalement appris quelque chose, et le spectateur aussi.
Quelle quête! Et vu les lignes que Tibert t’a inspirées, je crois bien que tu as appris quelque chose. Et nous aussi. Ya plus qu’à pas oublier tout ça…
PS: Encore un livre qui a l’air bien chouette! Je te déteste, un jour tu vas me ruiner.
Contente pour vous deux. Quant à la parabole, je trouve que tu as négligé une étape – peut-être la seconde ou la troisième – sur « Le héros se creuse les méninges pour comprendre les raisons de la disparition de l’être aimé », cherche des indices, échafaude des hypothèses ». Non ?
Yeah, Zelda.
L’étape dont tu parles est probablement comprise dans les « épreuves, alliés & ennemis », ou alors dans le refus de l’aventure. Après, c’est sûr que je me suis fait pas mal de films sur ce qui avait pu lui arriver.
Comme par exemple le film du « une grand-mère qui sent le whiskas a enlevé mon chat jaune pour se faire un manteau avec la fourrure. »
Voilà un conte qui finit bien, j’avais le coeur serré de savoir que tu avais perdu Tibert.
Mon petit chat gris clair lui adresse un ronron amical.
Zelda, je crois que cette étape a été traité dans les étapes antérieures du récit… Ici par exemple:
http://finpoil.wordpress.com/2009/03/26/une-envie-pressante-decouter/
en cherchant l’orthographe de « patte à marmite », je suis tombée (à 4 pattes) sur ce site. Jolis textes (pas encore tous lus – je reviendrai) et joli chat. Un beau Garfield. Qui me rappelle ma Toffee (ben ouais, Caramel en anglais) disparue il y a quelques années. Une dame de caractère et qui ne rouspétait jamais. La dernière fois que je l’ai vue, je l’ai installée sur mon ventre. Elle ronronnait, malgré sa tumeur. De ses yeux fermés, s’est écoulée une larme …
Merci Lily, tu as raison. Je redécouvre ce blog depuis peu de temps, j’avais loupé ce billet, et c’était dommage.
Finpoil, en tant que future grand-mère à chats qui sentira le Whiskas (dans une quarantaine d’années), je m’insurge : c’est pas nous qui enlevons les chats jaunes ! (tu aurais un chat à pelage à grosses fleurs, par contre, je dis pas)
Ravie pour toi que tu aies retrouvé Tibert! Il est castré?
Il y a quelques années Bagha m’a fait deux jours de disparition (oui je sais, rien à côté de l’escapade de ton chat jaune). J’étais en mille morceaux.
Pas toujours simple, la vie avec ces petits fauves qui partagent notre espace et notre vie!