Enseignement

Agriculture et enseignement

Après trois mois d’école pédagogique (HEP/IUFM), je suis déjà fâché contre mes futurs collègues. Depuis le début, j’entends les mêmes plaintes: à-quoi-ça-sert-tous-ces-concepts, de-toute-façon-dans-les-classes-ce-sera-différent, c’est-beaucoup-trop-théorique…

Ô que j’aime ce regard bienveillant face à la nouveauté.

Tibert s’en pourlèche les babines

Au risque de passer pour un naïf néophyte converti à la cause des « nouvelles pédagogies », je maintiendrai pendant encore une bonne douzaine de mois un intérêt marqué pour des concepts aussi bizarres que le socio-constructivisme, le métacognitivisme ou les facteurs motivationnels (liste non exhaustive). Certes, dans l’enseignement qu’on nous dispense, il y a bien quelques affabulations, quelques mythes et de nombreuses théories de sac-à-pain; mais de grâce, ne jetons pas l’élève avec l’eau du bain, parce que les savoirs « abstraits » qu’on nous inculque maintenant nous servirons plus tard, bien plus tard, lorsque nous nous serons frottés au terrain concret.

En parlant de terrain, ça me rappelle ces histoires de village, où des fils de paysans à peine sortis de l’école d’agriculture ramenaient de nouvelles conceptions sur la fertilisation des champs à la maison. Bien souvent, leur paternel avait encore la maîtrise du domaine et se gardait bien d’appliquer ces nouvelles « théories »… Entre un vieux paysan qui refuse d’utiliser un engrais révolutionnaire et un enseignant qui reste sourd aux dernières découvertes en matière de méthodes d’apprentissage, c’est kif-kif bourricot: les deux restent des ânes.

Mais si mes éminents collègues sont un tant soit peu tête de mules, c’est parce qu’ils aimeraient qu’on leur donne des recettes, des tours de main, des marches à suivre; ils voudraient des outils prêts-à-l’emploi, des méthodes prémachées avec lesquelles ils débarqueraient dans une classe en « sachant enseigner ». Donnez-nous de la pédagogie en fast-food !

Probable danger : après plusieurs années, même les meilleures méthodes s’émoussent. Il s’agit de remettre l’ouvrage sur le métier, et de ré-inventer son enseignement. C’est là que les « théories » deviennent intéressantes, pour l’analyse de sa pratique et l’échafaudage de nouvelles solutions. Donne une méthode à un maître, et il enseignera une année; apprends-lui à construire des méthodes, et il enseignera toute sa vie.

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L’art de rester à sa place

L’avantage à travailler dans l’enseignement, c’est que vous devenez très vite le centre des conversations. L’inconvénient, c’est que tout le monde à des conseils à vous donner.

C’est bien normal: tout le monde est allé à l’école. Tout le monde a le souvenir du tableau noir, des cartes de géographie en couleurs et des petits billets pliés qui circulait au fond de la classe jusqu’à votre blonde dulcinée. Tout le monde a le souvenir de ses professeurs, de ceux qu’on aimait, de ceux avec lesquels on pouvait tricher, et de ceux dont on s’est inspiré pour devenir des adultes convenables.

Le problème, c’est que ce bagage de souvenirs plus ou moins positifs de l’école nous donne l’impression de nous y connaître en éducation. C’est comme si vous prétendiez connaître le job d’un ouvrier par votre seule présence dans l’usine. C’est comme si vous vous imaginiez savoir conduire un bus en étant simple passager. Alors c’est bien simple, les anciens élèves (c’est à dire les adultes) tendent à croire qu’ils feraient de bons profs. Ils vous assoment de leurs théories sur l’éducation.

Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de faire des remarques à votre plombier sur la manière d’installer une batterie de douche? « Oh, vous savez, j’ai lu sur internet que c’était bien mieux de mettre des tuyaux de 3 pouces et demi; et puis là, un coude en inox irait beaucoup mieux. »

Ou à votre médecin de famille: « Mon cher docteur Peinfeld, je me souviens bien de mes visites chez le docteur quand j’étais tout gamin: je préfère que vous utilisiez du bon Merfen(c) pour soigner mon Kévin; et puis vous me prescrirez un analgésique puissant pour la petite. »

J’imagine le mec répondre à son psychanalyste: « même si je peux comprendre que vous analysiez mes rêves de cette manière, je pense que vous devriez plus fouiller du côté de ma mère. J’ai lu dans Psychologie(s) que c’était souvent du côté de la mère qu’était le problème. Et puis Freud disait… »

La vérité, c’est que le métier d’enseignant, comme tous les autres, est un métier qui s’apprend. Et que malgré tous les conseils qu’on pourrait lui donner, on apprend pas à un singe à faire la grimace.

Tibert bâille

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