Hier soir à 18h45, je téléphone pour commander deux burgers. Quelque chose comme « J’aimerais vous commander deux burgers que je viendrai chercher; deux Hippie Jay en version normale, avec une frite pour les deux; Yvan; à 19h30. Oui. Merci. »
(Je vous laisse deviner les questions comme ça ça reste un peu interactif)
J’arrive au restaurant à l’heure dite. Enfin presque, j’ai deux minutes d’avance – autant dire que je suis autant fier de moi qu’affamé. On me demande mon prénom et la serveuse cherche ma commande mais fait chou blanc. Elle me dit qu’il n’y a pas de commande à ce nom. Il y a une autre collègue qui est débordée mais qui paraît plus compétente – alors que la première hôtesse paraît plus calme, mais moins compétente. Peut-être qu’elle a développé un certain flegme face à sa maladresse, ou peut-être que je spécule sur ses manoeuvres hésitantes. Je ne sais pas, à ce moment-là, je préfère ne pas trop spéculer. Je veux juste mes deux burgers et une frite pour les deux. On me redemande mon prénom. Je réponds. On me redemande la commande. Je réponds. On me redemande l’heure à laquelle j’ai appelé. Une autre personne du service – je crois que c’est la patronne, ou en tout cas elle fait preuve d’un body-language assez assumé; si elle n’est pas patronne, il faut peut-être qu’elle songe à le devenir – me demande si j’ai bien donné mon prénom et l’heure de livraison. Je dis oui. Elle me la redemande. Pour être sûr.
C’est à ce moment que je me dis que ce n’est peut-être pas un restaurant de burgers, mais un restaurant où on redemande des choses aux gens. Probablement travaillent-elles très fort à préparer le terrain pour le slogan-phare de leur nouvelle campagne marketing. « Ici, on en redemande« .
Au bout du compte on me dit qu’on va ré-envoyer ma commande et qu’il faudra attendre 10 minutes. On me redemande ma commande pour être sûr. Comme c’est la troisième fois que j’articule cette commande, mes neurones-miroirs et ma capacité d’auto-suggestion se liguent pour déclencher une salivation abondante, ce qui n’aide pas beaucoup à articuler une nouvelle fois « deux Hippie Jay et une frite ». Peut-être que je postillonne, mais personne ne se formalise.
Au bout de 15 minutes, la serveuse me livre. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle s’excuse. Auparavant, elle a bien maugréé contre la cuisine, contre sa collègue, contre la caisse, contre le téléphone au bout duquel on ne comprend pas toujours tout, contre le bruit, contre le mois de janvier, contre la réalité du monde qui nous entoure. Dangereux, ça d’être contre la réalité du monde qui nous entoure – la réalité, c’est toujours elle qui gagne.
Je trouve que les excuses arrivent un peu tardivement, mais je suis soulagé d’avoir mes burgers. Le frisson de réjouissance rassasie suffisamment mes neurones de dopamine pour me faire oublier toute idée de vengeance à la hache à deux mains dans ce restaurant qui en redemande. Victime de mon éducation judéo-chrétienne où le pardon est une valeur centrale, je gratifie tout le personnel de quatre (4) (four) francs de pourboire.
Je ressors et je soupe avec mon amoureuse.
Ce soir, j’ai appris une chose sur moi : j’ai une tolérance infinie pour les erreurs. C’est probablement de la déformation personnelle d’improvisateur : vous pouvez foirer, merder, échouer, vous tromper, vous prendre les pieds dans le plat, dégringoler dans les sondages, faire un impair, bafouiller, crever au poteau, faire nawak – ça n’est absolument pas un problème pour moi. À quarante-deux ans, j’ai largement compris que la réalité est assez complexe pour ne pas attendre plus d’un ou deux moments parfaits par décennie. Je vais vous sourire, vous attendre, vous donner un pourboire.
MAIS vous ne pouvez pas avoir une attitude de merde. Votre réaction aux évènements, votre grimace qui dit que ce n’est pas votre faute, le sarcasme susurré à l’encontre de votre collègue, c’est sous votre contrôle total. Là je suis resté très calme, mais c’est parce que je n’avais pas de hache à deux mains.
Bravo j’aime beaucoup la fin. Je vous rejoins sur ce point.